Publié le 20 octobre 2014
Éloge

Raymond Ardaillou, Pierre Ronco

Né en 1916 au cours de la 1ère guerre mondiale, Gabriel Richet représentait la 4ème génération d’une lignée illustre de médecins, tous professeurs à la Faculté de médecine de Paris, dont son grand père, Charles Richet auquel le Prix Nobel fut décerné en 1913 pour la découverte de l’anaphylaxie. Gabriel Richet avait 23 ans lorsque la 2ème guerre mondiale éclata. Il venait juste d’être reçu à l’internat des hôpitaux de Paris. Mobilisé, il participa à la campagne de France et fut cité à l’ordre de son régiment. Après une courte captivité, il revint à Paris où il reprit son activité médicale dans les hôpitaux. Toute sa famille participa à la lutte contre l’occupant. Son père, Charles Richet fut déporté à Dachau, son frère Olivier à Dora et sa cousine, Jacqueline Richet-Souchère à Ravensbrück. Sa mère, Marthe, fut emprisonnée à Fresnes. Gabriel Richet s’engagea dès la libération dans l’armée qui sous le commandement du général Leclerc, libéra Strasbourg en novembre 1944. Durant tout le début de l’année 1945, les combats continuèrent autour de la poche de Colmar. Gabriel Richet y participa comme médecin des commandos de France. Il fut blessé, cité 3 fois à l’ordre de l’Armée et décoré de la Légion d’Honneur par le Général de Gaulle en avril 1945.

Démobilisé, Gabriel Richet rejoignit le service de Louis Pasteur Valléry Radot où il rencontra Jean Hamburger qu’il suivit à l’Hôpital Necker pour créer en 1950 le 1er service français de néphrologie. Il resta l’adjoint de Jean Hamburger pendant 10 ans. Il fut avec ce dernier un des reconstructeurs de la médecine Française d’après-guerre. A Necker, il introduisit le traitement de l’insuffisance rénale aiguë par le rein artificiel transformant le pronostic des septicémies post-abortum et des syndromes d’écrasement. Il participa à tous les travaux qui firent la renommée mondiale du service de néphrologie. Citons l’allogreffe rénale entre mère et fils en 1952 qui ouvrit la voie aux succès ultérieurs, le démembrement des néphropathies glomérulaires par l’examen histologique des prélèvements obtenus par biopsie rénale, les premières études des reins en microscopie électronique, la démonstration que le pronostic létal de l’insuffisance rénale chronique terminale dépendait des troubles hydro-électrolytiques et non de l’urémie. Dès 1955, il conceptualisa avec Jean Hamburger et Jean Crosnier la notion de réanimation médicale, c’est-à-dire de correction des grandes fonctions métaboliques, vite étendue avec succès à d’autres disciplines, ouvrant ainsi le nouveau secteur des soins intensifs.

Après Necker, ce fut Tenon où Gabriel Richet créa un centre de néphrologie clinique et de recherches. Il y resta de 1961 à sa retraite en 1985. Son premier souci fut de réunir une équipe avec Claude Amiel, Raymond Ardaillou et Liliane Morel-Maroger auxquels s’adjoignirent plus tard Françoise Mignon, Jean-Daniel Sraer, Pierre Ronco, Eric Rondeau et bien d’autres encore. Il fut aidé dans ses efforts par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris qui fournit un terrain et y construisit un pavillon moderne d’hospitalisation et de laboratoires, l’INSERM qui lui attribua la direction d’une Unité de recherches et la logea dans de nouveaux locaux, l’Université, l’Association Claude Bernard et le CNRS qui contribuèrent à l’acquisition de matériel et aux crédits de fonctionnement. L’objectif de Gabriel Richet était de faire de la néphrologie de Tenon un centre de soins performant et un foyer intellectuel. Il y réussit pleinement comme le prouve le nombre important de néphrologues français et étrangers qui y furent formés et font partie de son Ecole. Il est impossible d’énumérer tous les travaux et découvertes qui jalonnèrent cette période de 24 ans. Gabriel Richet avait sa propre équipe de recherches et fut le premier à décrire une variété de cellules « sombres » rénales impliquées dans l’excrétion des ions acides. Il laissa toujours à ses élèves une grande liberté dans leurs sujets de recherches et se réjouissait de les voir acquérir une reconnaissance internationale.

Gabriel Richet est considéré comme l’un des géants de la Néphrologie mondiale. Il fut un membre fondateur de la Société Internationale de Néphrologie, secrétaire général du premier congrès mondial de néphrologie à Genève et Evian en 1960, président de la Société Internationale de Néphrologie de 1981 à 1984. Parmi d’autres nombreuses récompenses et Doctorats Honoris Causa, il fut le lauréat du prestigieux Prix Jean Hamburger de cette même société en 1993. Gabriel Richet est Grand Officier de la Légion d’Honneur.

A sa retraite, Gabriel Richet laissa comme héritage 2 services de néphrologie, un service d’explorations fonctionnelles, une unité INSERM, sans compter tous les services de néphrologie de Paris et de province dirigés par ses élèves. L’élan qu’il a donné fait que l’Hôpital Tenon occupe une place grandissante dans la néphrologie mondiale. L’esprit alliant clinique et recherche qui y règne, l’outil forgé et les néphrologues qui y travaillent portent la marque frappée par Gabriel Richet sur cette discipline dont il a été un des créateurs.

Raymond Ardaillou, Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine

Pierre Ronco, Chef du Service de Néphrologie et Dialyses, Directeur de l’unité INSERM 1155 ; Hôpital Tenon ; membre de l’Académie national de médecine