Éloge
Séance du 28 avril 2009

Éloge de Raymond Houdart (1913-2008)

Claude-Henri Chouard *

Summary

Éloge de Raymond Houdart (1913-2008)

Claude-Henri CHOUARD *

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les membres de la famille du professeur Raymond Houdart, chères Consœurs, chers Confrères, C’est un honneur pour moi de prononcer l’éloge du professeur Raymond Houdart.

Ses vertus lui ont fait tenir une place essentielle dans l’histoire de la neurochirurgie française.

Il en comprit le retard dès le début de son internat.

Ses recherches ont apporté une énorme contribution à tous les domaines de cette spécialité. Il fut, pendant vingt-cinq ans, l’un des grands responsables du renom international, que possède maintenant la neurochirurgie française. En rappelant d’abord, brièvement, la naissance difficile de celle-ci, ce panégyrique montrera ensuite tout ce qui, par ailleurs, a permis à Raymond Houdart de prendre, parmi ses pairs, une place tout à fait originale.

Raymond Houdart est né au bord de la Seine, à Melun, le 22 octobre 1913. Il y passera toute sa jeunesse. Il aura connu les deux guerres, celle de 14-18, quand il était enfant, et puis celle de 39-45 qu’il traversera avec un courage et une modestie exemplaires, très peu de nous l’ont su, et j’en reparlerai. Mais, les fées se sont penchées sur son berceau. Elles lui ont donné une longue vie, les joies d’une grande famille avec beaucoup d’enfants, de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants, et puis une carrière chirurgicale, universitaire et académique à la hauteur de ses qualités.

Sa famille faisait partie des notables de la ville. Son père, Maxime, était notaire. Le frère de celui-ci, Gabriel, qui était son parrain, fut longtemps maire de cette cité. Sa mère, Marie Guilliez, était la fille d’un médecin d’origine limousine, qui après son externat s’était installé à Paris comme ophtalmologiste.

La marraine de Raymond Houdart, l’une de ses tantes dont il fut très proche, avait épousé le Docteur Jean Dechaume, neurochirurgien lyonnais qu’un bras arraché dans les tranchées de 14-18 contraignit ensuite à devenir neurologue.

Le couple Houdart eut cinq enfants, quatre garçons d’abord, puis une fille, AnneMarie. Raymond naquit le troisième ; le second, Jacques est prêtre ; le premier, Pierre, est aujourd’hui décédé, comme l’est aussi le quatrième, Paul, qui eut une conduite héroïque pendant la guerre, lutta ensuite contre tous les extrémismes, puis participa ultérieurement à la fondation des Resto du cœur ; Paul eut lui-même cinq enfants, dont deux sont médecins : Rémi est chirurgien à Paris, Emmanuel est neuroradiologue des Hôpitaux : il exerce actuellement à Lariboisière, et notamment dans le service qu’a dirigé son oncle Raymond.

Les frères et sœur Houdart ont tous eu une vie entièrement consacrée à autrui. Si Raymond embrassa la carrière médicale, ce fut sans doute en raison de son ascendance. Mais c’est aussi parce que l’environnement éducatif qui forma son adolescence l’amena tout naturellement à acquérir les deux qualités qui font un bon médecin.

Car il y a deux sortes de bons médecins : il y a ceux qui aiment soulager, consoler, rassurer, qui ont, en quelque sorte, la motivation d’une Sœur de Saint-Vincent-dePaul, si ce n’est celle d’une petite Sœur des Pauvres. Et puis, il y a aussi les bons garagistes, ceux qui aiment chercher les causes de la panne, en faire le diagnostic, puis la réparer, et parfois même inventer, pour y parvenir, un outillage ou une médication nouvelle.

Mais le médecin est encore meilleur, si ces deux tempéraments sont réunis ! Ce fut le cas pour Raymond Houdart. Son éducation chrétienne, dont la ferveur fut fondée sur l’amour de son prochain, et puis aussi les Scouts de France, aux activités desquels Raymond Houdart participa jusqu’au début de ses études de médecine, lui enseignèrent simultanément, dès sa plus tendre enfance et pendant toute sa scolarité, le respect de l’autre, le dévouement, la BA, c’est à dire la bonne action, le service rendu quotidiennement à celui qui souffre, ou qui est en peine.

Et puis, c’est aussi à l’école Saint-Aspais, ce Collège catholique de Melun dans lequel il effectua des études secondaires brillantes, que Raymond Houdart, entre 1925 et 1930, fut initié, par le biais des sciences naturelles, à la biologie, à la physiologie, et surtout à la rigueur de la recherche scientifique. Et ceci grâce à l’enseignement d’un jeune agrégé Normalien, ancien élève de Saint-Aspais, de dix ans son aîné. Celui-ci apprécia la jeune intelligence de Raymond Houdart, qui émergeait des autres par sa réserve et sa subtilité généreuse et passionnée. Dans une communauté de vues et de foi certaine, les deux hommes se retrouvèrent plus tard dans la Résistance, dans les temps précédant la Libération de Paris, et conservèrent ensuite l’un pour l’autre la même estime et la même sympathie.

Ce double enseignement donna à Raymond Houdart les deux incitations qui font les grands médecins. C’est pourquoi, dès le baccalauréat franchi, il monta à Paris s’inscrire à la Faculté de Médecine. Et pour se loger, il prit une chambre d’étudiant :

elle était, déjà, située quai de Béthune, encore au bord de la Seine, ce fleuve qu’il n’allait pas quitter, pratiquement jusqu’à ses derniers jours.

Alors commencent les vraies études. Il les entreprend, en préparant les Concours, dans le cadre rigoureux de la Conférence Laënnec. En 1934, il est nommé à l’externat.

Raymond Houdart a souvent dit qu’il avait été très tôt séduit par le caractère précis, rigoureux et analytique de la neurologie. Le choix de ses stages le confirme.

Après un passage en chirurgie chez Cadenat, Raymond Houdart, en plus des classiques services de médecine, choisit, fait assez rare, d’être externe en ophtalmologie, puis en ORL chez Ombrédanne. Ces spécialités, à la fois chirurgicales et très proches de la neurologie, lui permettaient d’embrasser toutes la physiologie sensorielle, si importante dans la prise de conscience du monde extérieur, et dans le développement de la personnalité de chaque être humain.

C’est dans l’un de ces stages de médecine générale qu’il rencontre en 1938, celle qui venait, elle aussi, d’être nommée externe. Elle deviendra sa femme deux ans plus tard. Coïncidence, ou vertu supplémentaire : Françoise Goulfier était la fille du Docteur Goulfier ophtalmologiste, installé à Reims, que Raymond Houdart remplacera plusieurs fois pendant son internat.

En septembre 1939, il est mobilisé. Il se fiance pendant l’hiver. Il sert courageusement comme médecin auxiliaire dans la 3e Division d’Artillerie Légère, où il est remarqué, pendant toute la tourmente de la débâcle de l’été 1940, par ses aînés Milliez et Guillaumat. Survient l’armistice : Raymond Houdart est démobilisé ; il rentre à Paris ; il épouse Françoise Goulfier en septembre. Ils vont avoir huit enfants, presque tous présents aujourd’hui :

Dominique, metteur en scène ;

Anne, qui fit ses études de médecine, exerça quelques années, puis se consacra à sa famille ;

François, artiste peintre ;

Michel, océanographe, spécialiste à IFREMER ;

Thierry ingénieur sylviculteur ;

Violaine agrégée de lettre, Catherine, mère de famille ;

Laurent, le plus jeune, avocat spécialisé dans la défense des médecins.

En octobre 1940, Raymond Houdart reprend la préparation de l’internat. Il y est reçu major en 1941. D’emblée il s’oriente, dans le choix de ses stages, vers la neurochirurgie. Il y songeait sûrement depuis longtemps, rappelons-nous son oncle maternel, auquel il était tant attaché : Houdart savait par lui que la neurochirurgie, dans sa pratique quotidienne, avait trouvé ses lettres de noblesse dans les tranchées, dans l’urgence vitale des blessures cérébrales.

Mais, en construisant son internat, Raymond Houdart montra qu’il avait compris les raisons du regrettable retard que la neurochirurgie avait ensuite subi en France entre les deux guerres.

Résumons-les : c’était avant tout un problème de formation, que le pragmatisme du monde anglo-saxon avait su éviter. Mais il fut attisé en France par des querelles de chapelle, particulièrement vives à Paris. Car Cushing, en 1907, avait introduit la notion de « neurological surgery », terme dont la traduction française en « chirurgie neurologique » semblait signifier, pour certains, une illusoire supériorité du geste chirurgical sur la connaissance neurologique.

Ainsi naquit une dispute de gaulois, entre chirurgiens et neurologues, particulièrement vive à Paris, surtout au début de l’entre deux guerres. Car, à Paris, cohabitaient alors, à la la Salpétrière, d’un côté la Mecque neurologique, mais aussi, de l’autre côté : Antonin Gosset. Or, pour les chirurgiens de ce début du xxe siècle, la dextérité et les automatismes du geste opératoire, longuement appris au pavillon d’anatomie, étaient l’enseignement initial essentiel, dont Antonin Gosset fut le grand promoteur, en raison des dangers que présentait la moindre anesthésie générale.

Sur les champs de bataille, ces qualités firent merveille, au détriment sans doute d’une séméiologie clinique minutieuse. D’où le conflit latent, qui ensuite opposa en France, jusqu’à la Libération en 45, les chirurgiens venus à la neurochirurgie, aux médecins neurologues apprenant sur le tard la gestuelle opératoire : la caricature conduisait les uns à reprocher aux autres de ne pas savoir opérer ; mais ceux-ci prétendaient que les premiers ne savaient pas examiner un patient neurologique.

Ce conflit fut porté à Paris par Clovis Vincent et Daniel Petit-Dutaillis, qui furent d’ailleurs l’un et l’autre Membre de notre Compagnie. Mais tous deux s’accordaient au moins sur un point : vanter le génie de Thierry de Martel, chirurgien de formation, qui lui aussi opéra sur les champs de bataille de 14-18, puis devint neurologue avant de venir opérer à Paris, en électron libre de toute attache universitaire ou hospitalière.

Comme on peut le lire dans l’ouvrage de notre Confrère Jacques Philippon, en accueillant dans son service, aux débuts de leur carrière, à la fois Thierry de Martel et Clovis Vincent, un des mérites de Babinski fut de permettre bientôt à l’un d’apprendre, à l’autre à opérer. L’élève, Clovis Vincent, déjà dans la force de l’âge, fut néanmoins si brillant, qu’il opéra seul dès 1928, puis parvint en 1933 à faire transformer le service de neurologie de la Pitié en un service de chirurgie, et finalement à y faire créer pour lui, à la Libération, la première chaire de neurochirurgie française.

Pour toutes ces raisons, finement observées, Raymond Houdart commença d’emblée son internat en allant apprendre à opérer chez Brocq, puis chez Mondor.

Ce fut l’une des raisons pour lesquelles, bien avant de le connaître, Petit-Dutaillis estimait de loin ce jeune interne, dont il entendait parler dans le monde neurologique, avant même d’avoir pu l’apprécier ensuite pendant plusieurs années, comme chef de clinique d’abord, puis comme assistant à la Pitié.

Après cette solide formation chirurgicale, Raymond Houdart passe à la Salpêtrière, quelque mois chez Hagueneau, puis en psychiatrie, chez Levy-Valensi, puis chez Garcin, qui était alors encore à Saint-Antoine, puis il revient en chirurgie chez Clovis Vincent à la Pitié en 1944, Il finit enfin son internat en 1945 à la Salpétrière chez Alajouanine, qu’il avait connu pendant la Résistance, et qui lui avait, depuis longtemps, gardé une place d’interne pendant un an.

Remarqué par tous ses patrons, Raymond Houdart voit alors sa carrière hospitalière progresser rapidement. Il est d’abord Médecin Assistant des Hôpitaux de Paris en 1946, avant d’être nommé Chef de Clinique Neurochirurgicale en 1947, puis promu dans le corps nouvellement créé d’Assistant de Neurochirurgie des Hôpitaux de Paris. Houdart est élu membre de la Société Française de Neurologie en 1953, et enfin nommé Neurochirurgien des Hôpitaux de Paris en 1954.

À cette époque de l’après-guerre, Jean Cambier me le rappelait, l’aura d’Alajouanine à la Salpétrière était extraordinaire. Ses deux consultations, véritables grandmesses neurologiques, attiraient une foule d’élèves, de correspondants, de visiteurs.

Celle du vendredi matin était réservée aux indications et aux suites chirurgicales des malades neurologiques du service. Raymond Houdart y assistait toujours, et c’est lui qui emmenait ensuite les patients du service à la Pitié pour les opérer chez Clovis Vincent ou Lebeau, puis chez Petit-Dutaillis.

Dans cette première partie, en quelque sorte propédeutique, de son cursus, Raymond Houdart montre déjà ce qui va le passionner.

L’enseignement : Houdart va être un conférencier actif et renommé, qui succède à Paul Milliez à la Présidence de la Conférence Laennec ; notre Confrère Jean Natali, qui l’avait eu comme conférencier de chirurgie, se souvient : « Il était brillant, synthétique, il nous préparait des questions courtes, nous apprenait la rigueur d’esprit.

Et de plus, il fut ensuite très fidèle à tous ses élèves ». La recherche clinique : notre confrère Michel Arsac, qui était l’interne de Petit-Dutaillis quand celui-ci quitta Bichat pour la Pitié, a souvent aidé Houdart dans ses premières recherches expérimentales per-opératoires sur l’épilepsie, ou la quantification de l’effet du sulfate de magnésie sur l’œdème cérébral. La méthodologie de celui-ci l’avait frappé par sa minutie et sa rigueur.

Mais la qualité de sa relation avec le malade était déjà pour Raymond Houdart l’essentiel de sa vocation. On a pratiqué, dans le monde neurochirurgical des années cinquante, la lobotomie pour traiter les tics obsessionnels compulsifs. Il s’agissait d’une intervention bénigne en elle-même, qui consistait à déconnecter chirugicalement, si ce n’est détruire, les lobes pré-frontaux . Mais l’état psychique postopératoire de ces patients était tel que Raymond Houdart fut parmi les premiers à s’insurger contre ce geste, qui détruisait définitivement la personnalité du patient. Il n’accepta plus de la pratiquer, que dans des cas bien différents, les douleurs cancé- reuses subintrantes en phase terminale, d’où le livre « La douleur et les douleurs » qu’il publia seul chez Masson dès 1956.

En 1960 Raymond Houdart prend la chefferie de service de Lariboisière. Il arrive là secondé par un tout jeune neurochirurgien des Hôpitaux, Yves Lebesnerais, élève de Petit-Dutaillis, et par un ancien de l’équipe de Vincent, Jean-Baptiste Tavernier. Il va y effectuer tout le reste de sa carrière hospitalo-universitaire, intégrant le temps plein et l’Université quatre ans plus tard.

Épaulé avec dévouement par Mademoiselle Depardieu, très vite son équipe s’étoffe :

Jean-Charles Cophignon, puis Michel Hurth et Henri Julian, qu’on appela longtemps les Trois Mousquetaires du Service, contribuèrent au renom de celui-ci, développant notamment l’usage du microscope opératoire. Puis vinrent Alain Rey, Claude Thurel. Pendant près de vingt-cinq ans Raymond Houdart donne le meilleur de lui-même, à la spécialité, à ses élèves et à l’hôpital, si bien qu’il est élu doyen de la faculté de Lariboisière Saint-Louis de 1976 jusqu’à son départ à la retraite en 1983.

Houdart fut un doyen modèle. Rassembleur et conciliateur, il mit à profit son goût de l’écoute de l’autre, pour canaliser les compétitions qui animent toujours une Faculté, avec la même efficacité que celle qu’il déploya au niveau national au sein de la 46e Section du Comité Consultatif des Universités.

Pendant ces vingt-trois années passées à Lariboisière, l’innovation et l’enseignement vont être deux préoccupations, qu’objectivent la longue et sobre liste de ses deux cent vingt-sept publications, ses sept films médico-chirurgicaux, ses dix-sept ouvrages d’enseignement, dont la plupart sont dans notre Bibliothèque, et restent encore très consultés comme traités de référence .

Avec ses élèves et son équipe, il apporta des innovations essentielles dans tous les domaines de la neurochirurgie. Je n’évoquerai ici que celles nées de son pragmatisme, et dont il était le plus fier. Car, en s’entourant de collaborateurs qui avaient le goût de la découverte, en favorisant leurs recherches, en les soutenant toujours dans les inéluctables moment difficiles qu’ils connurent, il se révéla être un très grand patron, dont l’indépendance d’esprit fut remarquable. Je veux en rappeler un exemple célèbre. Raymond Houdart s’intéressait depuis longtemps aux angiomes de la moelle. C’est pourquoi, à peine arrivé à Lariboisière, il sut donner les moyens à René Djindjian, neuro-psychiatre, de mettre au point l’artériographie de la moelle épinière, puis la neuroradiographie interventionnelle ; celui-ci travaillait le matin à Lariboisière, tout en recevant chez lui l’après-midi ses patients psychiatriques. C’est grâce à Houdart que les recherches de Djindjian furent connues et appliquées dans le monde entier, et poursuivies ensuite dans son Service par des radiologues comme les Professeurs Merland et Thérond, et depuis quelques années par son propre neveu, le Docteur Emmanuel Houdart.

L’enseignement le passionna autant. À la Faculté, il prit très vite personnellement la charge de tout l’enseignement magistral de la neurologie. Il avait de don de transformer la complexité de l’information en un message intelligible et facilement assimilable pour le néophyte, sans pour autant tomber dans la vulgarisation rudimentaire. Il aimait séduire son auditoire, pour retenir son attention. Il avait des talents de théâtre. Nombreux sont ceux qui furent ses élèves, et qui se souviennent de cette aptitude à communiquer par le geste, qui l’amenait par exemple, à mimer de sa chaire les phases d’une crise d’épilepsie, pour qu’elle soit mieux mémorisée.

Ces qualités se retrouvèrent plus tard dans la manière dont il s’empara des connaissances récentes en paléontologie, et en sciences cognitives, pour écrire ses tout derniers ouvrages sur le cerveau de l’hominisation.

Puis vint la troisième partie de sa vie.

En 1987, il fut élu membre titulaire de la deuxième division de notre Académie.

Pendant près de vingt ans, il va participer très activement aux travaux de notre Compagnie. Par six lectures il nous a informés des progrès qu’a connu sa spécialité.

Son assiduité à toutes les séances était exemplaire. Ses remarques étaient brèves, mais incisives. Elles témoignaient de l’humilité de son savoir. Il fut toujours conscient de l’aspect empirique de la médecine. Comme Jean Cambier, qui fut très proche de lui jusqu’à la fin, me le rappelait il y a peu, Raymond Houdart respectait les guérisseurs, les rebouteux, tant que ceux-ci, disait-il, n’avaient pas fait la preuve de leur dangerosité. Cette position s’est exprimée parfois par son abstention, voire son opposition, à certaines décisions concernant l’encadrement et la réglementation de ces professions paramédicales, quand elles étaient votées à main levée dans notre Assemblée.

Sa longue réflexion silencieuse sur l’homme et son devenir, entamée dans son adolescence, se poursuivit dans cette retraite active, devenue solitude lorsque son épouse le quitta en 1994. Elle s’exprima en plusieurs articles, parus dans notre Bulletin ou dans la Revue des Deux Mondes :

• le langage de l’homme et l’immaturité du cerveau à la naissance, • le plaisir et l’affectivité dans le système nerveux • le langage, la pensée et l’hominisation, et plusieurs livres, dont notamment :

• le système nerveux de l’homme ou le dieu emmuré en 1990, • et puis surtout en 2002, le cerveau de l’Hominisation : du primate à l’homme ; la naissance du langage. Cet ouvrage avait reçu le prix de l’Information Médicale, et il eut un succès certain, dépassant de beaucoup le monde de la santé.

Je n’ai connu personnellement Raymond Houdart qu’en 1999, en le rencontrant enfin dans le cadre de notre Académie. Très vite il me fit l’honneur de me choisir comme l’un de ces multiples interlocuteurs qu’il utilisait pour tester ses démonstrations. Je suis venu plusieurs fois le voir quai de Béthune pour jouer ce rôle avec plaisir : son amabilité souriante était égale à son humour. Notre argumentation quittait parfois l’objectivité scientifique du texte ; il lui arrivait d’évoquer François Villon, et l’aspect de ses pendus en ballade. Souvent nous parlions transcendance, multiplicité des religions . A l’ombre du néo-darwinisme et du grand mécanicien, nous évoquions Teilhard de Chardin, et glosions sur les devoirs civiques du chercheur croyant, autant que sur le devoir d’obéissance du jésuite homme de science.

De ces heures passées avec lui dans son bureau, devant le soleil sur la Seine, est née en moi une affection quasi filiale pour lui, qui ne s’éteindra pas.

Puis Raymond Houdart s’est retiré dans le cercle affectueux de sa famille proche, au bord de la Seine toujours, mais à Thomery, où il passait la plupart de ses vacances.

Nous ne le voyions plus rue Bonaparte, mais nous savions qu’il était heureux, entouré de ses enfants et petits-enfants.

Il reste encore une question concernant son activité pendant la résistance. J’en ignorais les détails, mais savais qu’elle avait été importante. Je croyais trouver la réponse en lisant son exposé de titres et travaux. Mais Raymond Houdart était modeste. Le texte de ce document, sans emphase ni autosatisfaction, est réduit à l’essentiel. Il n’y a rien qui évoque son courage physique pendant les hostilités de 39-45. On y retrouve, succinctement indiqués, l’ordre de la Légion d’honneur, l’Ordre national du Mérite, dont l’appartenance s’expliquait bien par sa seule carrière médicale. Mais la Croix de guerre est bien plus rare chez un médecin.

Houdart ne parlait jamais des faits d’armes accomplis qui l’en avaient rendu titulaire. Merci à l’un de ses fils, Monsieur Michel Houdart de m’avoir transmis la citation qui l’accompagnait. Ce texte, après une longue énumération de ses actes de bravoure, au cours de ces semaines terribles de mai et juin 1940, conclut sobrement :

« A donné, dans toutes les circonstances, l’exemple d’une activité calme et utile, et d’un oubli total de soi-même au profit des blessés. »

Heureusement son courage a laissé des traces dans certains livres de souvenirs, tel celui de Paul Milliez : celui-ci raconte comment, dans Aumale longuement pilonnée par les Allemands, Raymond Houdart, sous les bombes qui pleuvaient, secourut des cohortes de civils blessés à moitié ensevelis sous leurs décombres.

Plus loin, on apprend que le même Raymond Houdart fut parmi les réservistes qui, désobéissant un matin de mai 40 à un certain colonel de Gaulle, retournèrent au feu, au de là des lignes ennemies, pour ramasser les blessés abandonnés par quelques éléments terrorisés de l’armée française en déroute.

Et puis, il est un autre ouvrage, beaucoup moins connu, paru après la Libération chez Flammarion, qui mentionne Raymond Houdart parmi les résistants actifs dans les deux ans précédant la Libération. Ce livre parle du Comité Médical de la Résistance, dont Houdart faisait partie, avec Alajouanine, Milliez, l’Hermitte, et Dufourmentel.

J’ai su que, comme quelques autres hospitaliers courageux, Houdart cacha des résistants et des familles juives recherchées par la milice française ou les SS. Mais, comme tant d’autres résistants silencieux, Houdart a gardé, comme en un réflexe conditionné indélébile, cette discrétion indispensable à la survie en clandestinité, qui s’est changée chez lui, une fois la paix revenue, en une modestie muette, conforme à son éducation chrétienne.

Dans cette activité secrète, emplie de méfiance méticuleuse, Raymond Houdart retrouva plusieurs fois dans la région parisienne le Normalien qu’il avait eu à Melun comme professeur de sciences naturelles au collège Saint-Aspais. Car tous deux, à des titres différents, redoutant pour Paris un siège à la Stalingrad, avaient reçu pour mission de préparer un long passage à la clandestinité totale pour une partie de la population parisienne, en y organisant tous les moyens de survie. Heureusement, Paris fut protégé par la désobéissance de von Choltiz, et la libération de la capitale ne dura qu’une semaine. Mais c’est parce que ce professeur de Sciences Naturelles au Lycée Saint-Aspais, plus tard devenu chercheur, était à la fois mon père et le beau-frère de Petit-Dutaillis, que, dès mes premières années de médecine, en les écoutant parler dans les réunions familiales, j’ai entendu vanter souvent les qualités d’un jeune chirurgien brillant, nommé Raymond Houdart, dont l’avenir me disaiton, très prometteur, m’était cité en exemple.

Vous comprendrez, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, mes chers Confrères, l’attachement et l’affection respectueuse que j’avais silencieusement pour Monsieur Houdart, et mon émotion lorsque est montée, dans l’église le jour de ses obsèques la voix de son arrière petite-fille, évoquant les poèmes qu’il aimait, Booz endormi, le dormeur du val, le soleil sur la Seine quai de Béthune, les mouettes et le calme de l’eau devant la maison familiale de Thomery…

Je veux conclure cet hommage, mes chers Confrères, en citant les dernières lignes de celui que lui rendit notre Président Marc Gentilini début décembre dernier, en nous annonçant son départ le 24 novembre à l’âge de 95 ans :

« Raymond Houdart, une noble figure de notre Compagnie qui vient de disparaître, brillant neurochirurgien, excellent neurologue, et paléontologue érudit, a voulu, jusqu’au bout, communiquer sa passion pour l’Homme et son cerveau, la merveille de l’univers ».

Son souvenir et son exemple resteront indélébiles dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connu.

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine</p>