Éloge
Séance du 10 avril 2018

Éloge de Pierre RONDOT (1923-2017)

Jean-Marc LÉGER*

Le Professeur Pierre Rondot nous a quittés le 25 avril 2017 des suites de ce qu’il est convenu d’appeler une longue maladie, qui l’avait conduit à diminuer ses activités et à espacer sa participation aux travaux de notre Compagnie.

L’honneur de prononcer son éloge est dû au fait que j’ai été son externe en 1974 dans le Service de Paul Castaigne à la Salpêtrière, puis l’un de ses premiers Internes en 1976 dans le tout nouveau Service de Neurologie que la Faculté de Médecine Cochin-Port Royal l’avait chargé d’ouvrir au Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris, j’y reviendrai. J’ai eu également le privilège de le compter comme Président de Thèse, thèse consacrée à la description des manifestations trophiques au cours des syndromes Parkinsoniens, soutenue le 23 janvier 1980 à la Faculté Broussais-Hôtel Dieu. Mais voilà, les carrières sont parfois imprévisibles et tortueuses, et c’est à la Salpêtrière que j’ai finalement effectué mon clinicat dans le Service de Paul Castaigne, dans l’Unité de Pascal Brunet, cheminement qui m’a éloigné progressivement de la thématique des mouvements anormaux, chère à Pierre Rondot, pour embrasser celle de la pathologie neuromusculaire. Ce faisant, j’ai quand même pu partager avec Pierre Rondot un intérêt pour les neuropathies dysglobulinémiques, et en particulier les neuropathies de la maladie de Waldenström, dont il a rapporté les premiers cas en 1958 avec Raymond Garcin. J’ai d’ailleurs rappelé cette filiation neurologique lors de la présentation que j’avais faite le 19 mai 2009 devant notre compagnie, ce qui lui avait causé un vif plaisir.

Pierre Rondot est né le 6 juillet 1923 à Morteau dans le Haut Doubs où le ramenaient souvent ses pas, et où il a été enterré dans l’intimité familiale. Il y a passé son enfance, son père, Albert Rondot était médecin et sa mère Marie-Louise Nappey était la fille du fondateur de l’Hôtel « La Guimbarde ». Une consultation de la dernière édition du Guide Michelin m’a permis de constater que cet établissement existe toujours. Il y est qualifié d’« imposant édifice du 19°, en plein centre-ville. Le Week-End piano-bar au salon, mais sans guimbarde ». Après des études secondaires au lycée Saint-Jean de Besançon, il commença une première année de médecine à Paris, qui fut interrompue lorsqu’il rejoignit la Résistance puis la Première Armée française en Franche Comté. A ce titre, il reçut la médaille des Combattants volontaires de la Résistance en 1944, la médaille des Engagés volontaires de la Résistance la même année, et la Croix de Guerre en 1945. Il fut fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1981. De retour à Paris, il envisagea la psychiatrie mais nous verrons que sa rencontre avec Raymond Garcin fut déterminante et décida de son orientation vers la Neurologie. Il fut nommé Externe des Hôpitaux de Paris en 1946 dans le Service de Théophile Alajouanine. Il dut interrompre à nouveau son cursus hospitalo-universitaire pendant cette période pour une tuberculose qui l’obligea à séjourner plusieurs mois en établissement spécialisé.

 

Il fut nommé au Concours de l’Internat des Hôpitaux de Paris en 1954, et accomplit ses stages dans le service de Guy Tardieu à Bicêtre puis de Raymond Garcin. Comme il l’a écrit lui-même de ce dernier dans son exposé de Titres et Travaux pour notre Académie : « Il n’était pas possible de résister à son enthousiasme, à son appétit insatiable de la recherche qu’il arrivait à faire partager en valorisant le travail de chacun. » Il fut également l’Interne de Théophile Alajouanine où il fut initié à la neuropsychologie par ses 2 assistants Paul Castaigne et François Lhermitte, intérêt qui le conduisit à développer plus tard sa recherche dans ce domaine. C’est également dans ce Service qu’il soutint sa thèse de Doctorat en Médecine sur l’épilepsie tumorale. Il accomplit aussi des semestres en psychiatrie dans les Services de Léon Michaux et Jean Delay et un semestre en rhumatologie dans le Service de Florent Coste, où il assura ultérieurement une consultation de neurologie. Ce passage en rhumatologie lui permit de nouer des contacts avec Florian Delbarre, futur Doyen de la Faculté de Médecine Cochin-Port Royal, et fut décisif pour la suite de sa carrière. Pierre Rondot conserva une relation étroite avec le Service de Rhumatologie du CHU Cochin-Port Royal et en particulier avec notre confrère Charles-Joël Menkes, décédé en 2016. Enfin, il accomplit un semestre supplémentaire dans le Service de Médecine Interne et d’Endocrinologie de Lucien de Gennes qu’il qualifia dans son exposé de Titres et Travaux pour notre compagnie d’ « un des esprits les plus brillants de sa génération à qui nous lie une grande dette de reconnaissance ». Raymond Garcin lui ayant proposé un poste d’assistant, il fut Chef-de-Clinique Neurologique de la Faculté de Médecine de Paris de 1958 à 1959, puis Chef-de-Clinique Rhumatologique de 1959 à 1960. Il opta définitivement pour la Neurologie en recevant le CES de Neuro-Psychiatrie en 1960. Il fut ensuite nommé Médecin des Hôpitaux de Paris en 1961, Maître de Conférence Agrégé en 1964, Professeur sans chaire en 1971 puis Professeur Titulaire des Universités en 1979.

Assurant pendant son séjour à la Salpêtrière l’enseignement de Neurologie à la Faculté de Médecine Cochin-Port Royal, c’est fort logiquement qu’il lui fut proposé par le Doyen Delbarre d’ouvrir un Service de Neurologie en 1974 au Centre Hospitalier Sainte-Anne, qui disposait déjà de 2 Services de Neurochirurgie et d’un Service de Neuroradiologie. Il y fut accueilli avec bienveillance et enthousiasme par Jean Delay, qui lui céda pour l’implantation de son Service un de ses pavillons, dans l’attente de la construction du Centre Raymond Garcin.  Il compléta ce plateau avec la neurophysiologie assurée par Nguyen Bathien, alors maître de recherches à l’INSERM. Peu après son arrivée à Sainte-Anne, le Directeur Général de l’INSERM, Constant Burg lui proposa de le seconder au titre de conseiller scientifique et Directeur de l’objectif Cerveau, fonction qu’il occupa pendant 8 ans de 1974 à 1981. Il fut ensuite Directeur de l’Unité 111 de l’INSERM en neuropsychologie et neurolinguistique, de 1982 à 1986, fonction dans laquelle il succéda à Henri Hécaen.

Pierre Rondot participa à partir de 1987 à l’aventure de l’European Neurological Society avec Gérard Saïd, Société Européenne de Neurologie dont il fut Président de 1990 à 1992. Il fut élu membre de notre Compagnie dans la Première Division le 27 février 2001. Il n’était pas un inconnu pour les Académiciens car il avait été lauréat du Prix Pierre Marie en 1969, et du Prix Aimée et Raymond Mande en 1990, conjointement avec Jean de Recondo et Marc Ziegler, pour leurs travaux sur la maladie de Parkinson. Il serait fastidieux d’énumérer ici les nombreuses Sociétés Savantes dont il fut fait membre, je retiendrai la Movement Disorder Society en 1985 et la Société Japonaise de Neurologie en 1986. Il eut de nombreux collègues et amis dans ce pays tels que le Professeur Makoto Iwata de l’Université de Tokyo, qui fut élu membre correspondant étranger dans notre Compagnie en 2006. Il retourna au Japon en 2014 où il reçut un hommage solennel de ses anciens élèves. Enfin on se doit de mentionner son rôle dans la fondation de la Ligue française contre la dystonie en 1987, maladie rare et invalidante, dont il fut et demeure un pionnier.

Ses travaux de recherche ont débuté, ainsi que je l’ai mentionné, par les neuropathies périphériques dysglobulinémiques, en collaboration avec Raymond Garcin, Jacques Mallarmé et Lucien Hartmann. Il apporta sa contribution dans la description des neuropathies associées à une cryoglobulinémie dite « essentielle », dont nous savons maintenant qu’elles sont associées dans la majorité des cas à une infection par le virus de l’hépatite C. Il rapporta les premiers cas de neuropathies associées à la macroglobulinémie de Waldenström, description qui sera suivie ultérieurement, grâce aux travaux de l’équipe de PK Thomas à Londres, par celle des neuropathies associées à une gammapathie monoclonale IgM de signification indéterminée, désormais mieux connue sous l’acronyme « MGUS » pour les auteurs Anglo-Saxons et « GMSI » pour les auteurs francophones.

Mettant à profit l’enseignement de neuropsychologie reçu à la Salpêtrière, il développa le concept d’ataxie visuo-motrice qu’il imposa de préférence à celui d’ataxie optique rapporté par Rezsö Balint dès 1909. Cette description concerne des patients chez qui la préhension est défectueuse malgré une acuité visuelle normale et l’absence de paralysie des membres supérieurs et des muscles oculo-moteurs. Plusieurs publications majeures, dont une dans Brain en 1977, ont permis à Pierre Rondot d’affiner ce concept en précisant les notions d’ataxie visuo-motrice uni ou bi-latérale, directe ou croisée, et d’en décrire les mécanismes faisant intervenir une lésion dans les voies de connexion entre le cortex occipital et le cortex moteur.

Mais c’est bien sûr dans le domaine des mouvements anormaux que Pierre Rondot apporta ses contributions les plus importantes. Il rapporta en 1971 dans la Revue Neurologique le cas de 2 frères atteints d’une dystonie rare améliorée de façon spectaculaire par la L-Dopa, qui faisait alors ses premières armes comme traitement de la maladie de Parkinson idiopathique. Il individualisa 2 formes, récessive d’évolution souvent sévère mais sensible à la L-Dopa, et dominante, moins sévère, avec des fluctuations diurnes. Ces 2 formes sont dues à une insuffisance dopaminergique striatale, qui fut ultérieurement rattachée soit à une mutation du gène de la tyrosine hydroxylase pour la forme récessive, soit à une mutation du gène de la GTP Cyclohydrolase 1 pour la forme dominante, ces deux gènes codant pour des enzymes qui interviennent dans la cascade de synthèse de la dopamine. D’autres travaux, plus fondamentaux, furent conduits par Pierre Rondot et Nguyen Bathien pour améliorer la compréhension des hypertonies d’origine centrale, avec la description des réactions d’étirement et de raccourcissement, dans la maladie de Parkinson, mais aussi dans l’athétose et dans les dystonies. Pierre Rondot conduisit de nombreux essais sur l’utilisation de la L-Dopa seule puis associée aux inhibiteurs de la décarboxylase dans la maladie de Parkinson, essais qui ont permis la généralisation de ce traitement qui reste 40 ans plus tard la thérapie la plus efficace dans cette maladie. Il rapporta également les effets secondaires de ce traitement au long cours, en particulier la survenue des mouvements anormaux liés aux fluctuations des taux sériques de L-Dopa, et fit une description minutieuse des troubles psychiques accompagnant les troubles moteurs. Il participa aux premiers essais de chirurgie stéréotaxique conduits à l’Hôpital Foch par Gérard Guiot. Enfin, il apporta une contribution majeure dans la nosologie des dystonies et de leur prise en charge par une rééducation appropriée, démarche à laquelle il est juste d’associer Jean-Pierre Bléton, présent ici aujourd’hui.

Ces travaux de recherche, Pierre Rondot eut à cœur de les faire partager à notre Compagnie. Je retiendrai la présentation consacrée aux dystonies Dopa-sensibles le 16 mars 1999, celle sur la topographie des lésions des dystonies secondaires le 16 janvier 2001, et la publication de recommandations sur la prise en charge de la maladie de Parkinson le 1 avril 2003, présentations qui furent suivies comme il se doit d’une publication dans le Bulletin de l’Académie. Il fut chargé de l’introduction d’une nouvelle séance dédiée sur les dystonies le 3 mai 2011.

Pierre Rondot était un homme pudique, pour ne pas dire réservé, et n’aimait pas évoquer sa vie privée. C’est donc grâce à ses amis, et en particulier au Docteur Marianne Simon, sa légataire, présente aujourd’hui, que j’ai pu faire connaissance avec l’histoire peu ordinaire de son épouse, Elisabeth Kasza, d’origine hongroise et de religion protestante, qu’il a rencontrée en 1953 après que celle-ci fut contrainte de fuir son pays en 1948. Un livre intitulé « La Nomade » et préfacé par Pierre Rondot a été publié en 2011 dans la collection « Témoignages de la Shoah » aux éditions Le Manuscrit. On y apprend qu’Elisabeth Kasza, née le 9 mai 1924, fut déportée avec ses parents en raison de leurs origines juives, au camp d’Auschwitz-Birkenau en mai 1944. Son père y mourut en juin 1944 et sa mère en octobre de la même année, elle-même fut libérée en mai 1945, puis traitée pour une myocardiopathie d’origine carentielle. Elle reprit ses études de biochimie à l’Académie des Sciences de Budapest et obtint en 1948 une bourse pour le Massachusetts Institute of Technology de Boston. Malheureusement les autorités interceptèrent une lettre de son frère Denis qui avait obtenu lui aussi une bourse aux Etats-Unis et ne souhaitait pas rentrer dans son pays. On lui confisqua alors son passeport et on la convoqua à la police. Craignant d’être emprisonnée, elle fuit alors la Hongrie et passa en Autriche où elle séjourna jusqu’en 1949, elle arriva en France la même année. Après avoir obtenu une bourse de l’Institut d’Hygiène et parachevé ses études à la Sorbonne, elle décida finalement de s’orienter vers une carrière de comédienne. Elle suivit les cours de Raymond Gérôme, Tania Balachova et de l’Actor Studio. Elle débuta sa carrière d’abord au théâtre puis au cinéma et à la télévision, en France et à l’étranger, en particulier en Italie. Elle décéda le 4 janvier 2004 des suites d’une intervention cardiaque, laissant Pierre Rondot meurtri.

Chers amis de Pierre Rondot, vous avez été réunis pour une messe du souvenir à l’église Saint-Thomas d’Aquin, qu’il aimait beaucoup et où il venait régulièrement se recueillir. Aujourd’hui ce sont les membres de notre Compagnie qui ont tenu à vous réunir pour cet éloge, plus particulièrement le Docteur Marianne Simon et le Docteur Françoise Odier, présentes aujourd’hui, et ceux qui ont collaboré avec lui au sein de la Faculté Cochin-Port Royal et de l’Université René Descartes. Tous partagent avec vous la tristesse du décès de Pierre Rondot. Ils garderont le souvenir de sa forte et attachante personnalité, et l’Académie Nationale de Médecine aura à cœur de conserver au sein de sa Bibliothèque, grâce au concours de son Directeur Jérôme van Wijland, les documents légués par sa légataire et témoignant de sa vie et de sa carrière scientifique exemplaire.

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, nos 3-4, 779-783, séance du 10 avril 2018