Publié le 24 février 2004
Éloge

Etienne Baulieu *


Éloge de Pierre Desgrez (1909-2002)

Etienne BAULIEU *

Pierre Desgrez était programmé pour le beau parcours de sa vie. Fièrement modeste, c’était un excellent chimiste au service de la médecine — du soin des autres, un homme qui savait aimer et était aimé.

Son père, Alexandre Desgrez illustra l’aspect chimique, moléculaire de la physiopathologie dans la chaire de Chimie de la Faculté de médecine de Paris. Epris lui aussi du souci de précision, qualitative et quantitative, Pierre Desgrez fut d’abord pharmacien, avant d’entreprendre des études de médecine et d’être agrégé de biochimie en 1950 auprès du Professeur Michel Polonovski. Celui-ci offrit à l’enseignement médical de notre pays les concepts et les applications du foisonnement incroyable de découvertes des années 30 et 40, expliquant les métabolismes organiques, leurs enzymes, les ‘‘ cycles ’’, les régulations. Pierre Desgrez était émerveillé de cette transition scientifique, dynamisant les descriptions analytiques antérieures. Il y contribua de plusieurs façons que l’on retrouvera en particulier dans l’exposé fait à notre Académie sur l’AMP cyclique.

Quand, à la suite de l’horrible accident de 1954, Max-Fernand Jayle succéda à Michel Polonovski, Pierre Desgrez devint son indispensable associé, l’aida considé- rablement à gérer la lourde responsabilité de la Chaire de Biochimie, et s’intéressa au domaine des hormones dont mon Maître était le leader incontesté. Il fut passionné par les effets de ces molécules informatives dont les très faibles quantités influencent fondamentalement toutes les réactions de l’organisme. Nous voisinions, en grande et amicale intimité, au 45 de la rue des Saints-Pères, le patron nous ayant défini à chacun un champ d’action préférentiel, pour Pierre Desgrez celui des corticoïdes.

Celui-ci mit au point des dosages et des épreuves fonctionnelles — en particulier radioimmunologiques, qui portaient la double marque de sa rigueur et de son élégance.

Quand l’enseignement fut réparti dans plusieurs facultés, Pierre Desgrez, chef de service à La Salpêtrière continua dans le même domaine avec J.C. Legrand en particulier, et il s’intéressa plus particulièrement à l’aldostérone, sa biosynthèse, son métabolisme et la pathologie qui y réfère.

Pierre Desgrez fut un homme droit et équilibré, qui contribua à l’importante influence de notre Académie aux questions de santé, en s’impliquant dans la gestion scientifique du thermalisme français. Sa réelle et très naturelle bonté lui permettait un jugement sûr, une sorte de moralité scientifique heureuse dont son entourage reconnaissant pouvait profiter. On peut lire sur son visage (photo) cette grande qualité, que l’on retrouve physiquement et mentalement chez les plus proches de sa famille, à qui l’Académie de médecine peut être fière d’avoir été associée plusieurs fois.

* Président de l’Académie des sciences.

Membre de l’Académie nationale de médecine.