Publié le 15 mai 2001
Éloge

Claude SUREAU

Éloge de Philippe Blondeau (1926-2000)

Claude SUREAU

En me plongeant dans l’analyse de la vie et de l’œuvre de Philippe Blondeau, en me remémorant ces 50 dernières années au cours desquelles notre fraternelle amitié s’est construite, un air populaire, chanté par Edith Piaf, me revenait à l’esprit, obsédant et nostalgique. C’est celui où elle évoque la vie tout entière d’un personnage en trois étapes clés, la naissance, le mariage, et la mort.

Connaissant l’intérêt ou plutôt la passion de Philippe pour la musique classique, une telle référence lui eut sans doute paru triviale, mais qu’importe, ce sont ces trois dates majeures que je voudrais tout d’abord rappeler.

Il s’est endormi pour toujours, un soir de juillet, dans la douceur estivale de la campagne aixoise. Il est devenu pour nous le « dormeur du Val », de ce Vallon des Gardes que nous sommes quelques-uns à avoir fréquenté, apprécié, aimé, où nous avons goûté le charme de la Provence, la fascinante compagnie de Philippe, la chaleureuse hospitalité de Colette.

Il nous a quittés avec la discrétion, l’élégance et la dignité qui le caractérisaient, sans qu’il parût au cours des derniers mois de sa vie, marqué par les problèmes qui affectaient sa santé.

 

Je viens de citer Colette Blondeau. La deuxième date importante est en effet 1953, année de leur mariage. Et là apparaît un autre aspect de la personnalité, plus diverse qu’on pouvait le penser au premier abord, de Philippe Blondeau. C’est son aspect romantique, passionné, étroitement mêlé d’ailleurs à l’évolution de sa carrière. Il croisa Colette, assistante de Jean-Louis Lortat-Jacob, lors de son passage comme externe à Broussais en 1949, la revit lorsqu’il y fut interne, et l’enleva ou tout comme, lors d’un voyage touristico-sentimental en Grèce, sous le regard attendri de notre trésorier, Jean Civatte, qui se rappelle encore avec émotion la nuit émouvante et déterminante passée au pied du petit temple de l’Apollon pythien.

Il n’est que de se remémorer ou de relire les lignes qu’il consacra à Colette, le 23 janvier 1980, lorsqu’il reçut la Légion d’honneur des mains de Jean-Louis LortatJacob pour apprécier l’intensité et la pérennité de cette affection réciproque qui illumina toute leur vie, et dont naquît Christophe en 1957.

La troisième date est bien entendu celle de sa naissance ou plutôt de leur naissance le 18 octobre 1926, puisque Philippe naquît, semble-t-il, quelques heures après son jumeau monozygote, Michel. Lorsqu’ils voulaient l’un et l’autre plaisanter, ils prétendaient ne pas savoir avec certitude lequel des deux ils étaient et quel est celui qui attendit deux jours sur une banquette de piano l’achat d’un second berceau ; car ils illustrèrent, en l’aggravant, l’affirmation forte de notre lointain prédécesseur au sein de cette Compagnie, Capuron, selon laquelle le diagnostic de gémellité peut et doit être porté lorsque, après la naissance d’un enfant, on observe la présence d’un deuxième. Dans le cas particulier, il semble que cette observation ait même été plutôt tardive.

En tout cas, cette gémellité fut très certainement un élément marquant dans la vie de Philippe et de Michel.

Bien des années plus tard, je discutai souvent avec lui des problèmes métaphysiques que pose le principe de l’animation immédiate de l’embryon et son application à la gémellité monozygote. Lui-même restait marqué par cette forme particulière et spontanée de clonage, comme en témoignent les allusions qu’il y fit à l’occasion des 80 ans de son ami Louis Bertagna.

Plus sérieusement, l’habitude étant à l’époque de jouer avec la ressemblance de ces vrais jumeaux, leurs similitudes furent soulignées et non leurs différences, si bien qu’il n’était pas rare que lors d’un de leurs anniversaires ils s’offrissent le même disque ou la même cravate.

On doit toutefois à la vérité historique de souligner que jamais ils ne se remplacèrent pour se livrer à quelque farce ou lors d’examen, révélant ainsi leur respect pour la loi et les règlements. Ils n’en avaient pas besoin d’ailleurs puisque, au cours de leurs études à Condorcet puis à la Faculté de médecine et dans les concours hospitaliers, c’est tout naturellement qu’ils s’adjugeaient symétriquement et à tour de rôle les premières places.

 

J’ai encore le souvenir de ma première rencontre avec eux, en 1946 ou 1947 ; jeune étudiant en médecine au cours d’une réception, on disait alors surprise-partie, j’entendis citer, avec une vive admiration, ces deux jumeaux exceptionnels qui venaient de réussir conjointement à leur premier concours de l’externat. Quelques années plus tard, avec la même apparente facilité, ce fut le concours de l’internat, puis le service militaire et la séparation des clones. Michel partit en Tunisie et Philippe fut affecté à l’Hôpital militaire Bégin, où je lui succédai l’année suivante dans le service d’un colonel qui me terrorisa mais à qui Philippe opposa la résistance d’une impavide sérénité.

Car notre amitié date de cette époque quand, avec Gérald Lord, nous préparions l’adjuvat. De cette époque date aussi la découverte que je fis des facettes multiples de sa personnalité.

Car Philippe Blondeau était un personnage complexe, beaucoup plus complexe que l’on pouvait le supposer lors de contacts superficiels, comme le sont souvent les relations professionnelles.

Certes, il se vêtait souvent d’une allure d’austérité, de rectitude, peut-être même parfois de réserve, voire de froideur. C’était certainement le cas lorsqu’il enfilait la robe rouge des juges ordinaux, et envisageait avec sérieux la responsabilité que lui conférait sa position de Président.

Cela, c’était la face assez dénuée de fantaisie, du représentant officiel de la Loi et de l’Ordre, dans tous les sens du terme.

Mais bien d’autres Philippe Blondeau se cachaient derrière cette carapace et ne se révélaient qu’en des occasions privilégiées et réservées à un cercle restreint.

C’était d’abord l’ami fidèle, disponible et attentif. Raymond Roy Camille bénéficia de cette touchante et fraternelle sollicitude pendant les divers épisodes évolutifs et thérapeutiques qui marquèrent douloureusement la fin de sa trop brève existence.

Et puis l’esthète, et ce terme n’est en rien péjoratif, bien au contraire, cultivé et mélomane. Pianiste de qualité, féru de musique classique, les festivals n’avaient pas de secret pour lui, mais mon incompétence m’empêchait d’apprécier à sa juste valeur la qualité et l’ampleur de son érudition.

En revanche, la parfaite maîtrise de la langue qui était la sienne éblouissait tous ceux qui l’approchaient. Quelques morceaux d’anthologie en témoignent et je ne ferai que citer, car ils sont dans les mémoires de nombre d’entre vous, son allocution lors de la remise de l’épée d’Académicien à Charles Dubost en 1976 ou l’éloge de celui-ci à la Société Française de Cardiologie en 1991, les mots prononcés à la mémoire de Louis René à St Ignace, de Jean-Louis Lortat-Jacob à St François Xavier, ou tout récemment le discours de remise de la Légion d’honneur à Bernard Glorion.

Mais ce don, cette exceptionnelle qualité d’expression, se révélaient aussi dans des circonstances plus ludiques, souvent en période de vacances, ou lorsque l’environnement se prêtait à un humour parfois décapant dont Philippe Blondeau était un spécialiste inspiré.

 

Son esprit inventif et sa fantaisie, celle-ci bridée dans la vie quotidienne, mais alors libérée, apparaissaient ainsi avec une force et une drôlerie inimitables. Il faisait bénéficier ses amis et en particulier Louis Bertagna, Louis René, Jean-Louis LortatJacob, de son goût pour la versification et s’ingéniait à composer quatrains et ballades, bouts-rimés et madrigaux, à imaginer les alexandrins, à pasticher Verlaine, voire à construire des mots croisés diaboliques. Il avait peut-être moins d’intérêt pour les déguisements ou pour les surprises un peu dérangeantes telle que la soupe à l’oignon qu’avec nos épouses, Raymond Roy Camille et moi-même nous lui rapportâmes des Halles un jour à 4 heures du matin. En cette occasion, Colette fut comme à l’accoutumée sublime.

Cette attirance très intellectuelle pour la langue ne le détournait pas des activités sportives, tennis, marche surtout, et nous sommes quelques-uns à avoir déclaré forfait devant des projets ascensionnels qui dépassaient nos capacités mais ne le rebutaient pas, que ce soit dans la région aixoise ou hors de France où son amour des voyages et son plaisir de la découverte du monde l’attiraient régulièrement.

Permettez-moi de me laisser aller à l’évocation d’un souvenir, vieux d’un demisiècle, mais, je le sais, resté très présent dans sa mémoire, celui d’un voyage que nous fîmes en Écosse avec Michel et notre très cher, très regretté, et toujours présent dans nos cœurs, Jean Himbert.

C’est cet homme, souvent ignoré ou méconnu, que j’ai voulu avant tout vous présenter.

Le reste, mes chers Confrères qui avez eu entre les mains, il n’y a pas si longtemps, ses épreuves de titres et travaux, vous le connaissez.

Interne des Hôpitaux au concours 1948-1949, militaire en 1949-1950, Interne successivement chez MM. Mondor, où il fut en particulier le collaborateur direct de Claude Olivier, Laurence, Jean Gosset, Patel, d’Allaines, Couvelaire, Baumann ; il passa sa thèse en 1954, devint chef de clinique chez Monsieur d’Allaines, Assistant des Hôpitaux et Prosecteur en 1956, chirurgien des Hôpitaux en 1961 dans la même promotion que Christian Cabrol et Claude Richard, Agrégé de chirurgie générale en 1963, professeur sans chaire en 1970, membre de l’Académie de Chirurgie en 1975 et de l’Académie de médecine en 1996.

Derrière cette liste de succès à des concours difficiles, avec leur corollaire de préparation harassante, d’incertitudes, de hasard même lié aux aléas toujours injustes des tirages au sort des jurys et à leurs conséquences lourdes lorsque deux assistants en chirurgie étaient nécessairement évincés sans recours chaque année de toute promotion, derrière cette énumération un peu sèche de dates, il faut comprendre et apprécier la place essentielle qui fut celle de Philippe Blondeau dans la naissance et le développement de la chirurgie cardiaque et cardiovasculaire.

Je l’avais retrouvé, en fin d’Internat, en 1954 à Broussais, alors qu’il était lui-même Chef de clinique ; ce service prestigieux que dirigeait avec sa fabuleuse et subtile autorité Monsieur d’Allaines, où œuvraient avec un talent qui suscitait l’admiration de tous, le précis et méticuleux Jean-Louis Lortat-Jacob, le fascinant virtuose

Charles Dubost, mais aussi Claude d’Allaines, Allary, Vaysse, et combien d’autres, Christian Cabrol étant cette année-là Médaille d’Or et Madeleine Roy Camille collaboratrice de Mme Dubouchet, ce service connaissait en effet une évolution ou mieux une mutation, fondamentale.

Alors, au faîte de sa maîtrise et de sa réputation de chirurgien digestif, Monsieur d’Allaines n’avait pas hésité à se lancer dans l’aventure de la chirurgie cardiaque. Il avait trouvé déjà en Charles Dubost le continuateur idéal qui devait amplifier, magnifier l’élan originel, et Charles Dubost lui-même eut l’intuition qu’en Philippe Blondeau existaient toutes les potentialités, les qualités nécessaires pour qu’à son tour celui-ci transmette aux successeurs, tout en poursuivant l’effort initial, l’héritage technique et culturel, fait de travail, de qualités chirurgicales, de méticulosité, d’esprit d’innovation. Il en fit donc son assistant, et son choix fut le bon.

Lorsqu’on se plonge dans la lecture des titres des quelques 500 articles, en français ou en anglais, dans les revues les plus prestigieuses comme les plus pratiques, des conférences en France ou dans quasiment tous les pays du monde, des réunions et tables rondes, dans cette œuvre que l’on peut sans exagération qualifier de gigantesque, deux faits frappent particulièrement.

D’abord qu’il est difficile au sein de cette œuvre coopérative, de ce vrai travail d’équipe, d’individualiser ce qui fut spécifiquement la part de Philippe Blondeau.

Tous les grands thèmes de la chirurgie cardiovasculaire y sont présents : la chirurgie à cœur fermé, objet de sa thèse sur la commissurotomie mitrale ; l’assèchement cardiaque pour chirurgie à cœur ouvert, avec le recours à l’hypothermie modérée, à l’arrêt circulatoire total sous hypothermie profonde, à la circulation extracorporelle, et à ce sujet tous ceux qui dans cette assemblée en ont bénéficié ne peuvent manquer d’éprouver un sentiment de reconnaissance bien entendu pour le chirurgien qui a réalisé le pontage, remplacé ou reconstruit leur valve, mais aussi pour les pionniers qui ont rendu possible cette chirurgie audacieuse, et parmi eux, après François d’Allaines et Charles Dubost, Philippe Blondeau ; la correction des cardiopathies congénitales, shunts gauche droit, sténoses isolées, anomalies du retour veineux, malformations cyanogènes complexes, celle des cardiopathies acquises, en particulier les cardiopathies valvulaires, mitrales, aortiques, tricuspides, les myxomes intracardiaques, celle des obturations coronariennes, la chirurgie des gros vaisseaux thoraciques, de l’aorte abdominale, la transplantation cardiaque en 1967-1968.

On suit dans cette liste avec fascination les progrès de cette chirurgie, et par exemple l’évocation de la possibilité de la chirurgie à cœur ouvert en 1956, et le rapport du premier succès français de fermeture de communication interventriculaire, en 1957 déjà 24 interventions à cœur ouvert, 1944, puis 1967 en 1959. Bien d’autres exemples pourraient en être donnés.

Le deuxième point qui frappe est la participation à ces travaux et à ces publications de pratiquement tous les noms, de ceux qui furent, car certains ont déjà disparu, ou sont les maîtres actuels de la chirurgie cardiaque. Tous sont passés par Broussais ou par Marie Lannelongue, où Philippe Blondeau partagea son temps avec Charles

Dubost de 1955 à 1963, avant le retour de celui-ci à Broussais, tous ont travaillé sous son autorité, bienveillante certes, mais rigoureuse et parfois austère, tous ont bénéficié de ses conseils, de son exemple, de son expérience.

Celle-ci se traduisit aussi par la réalisation de films, sa participation aux Comités éditoriaux de revues internationales prestigieuses et surtout la rédaction d’ouvrages majeurs : « Chirurgie à cœur ouvert » avec Charles Dubost en 1957, « Résultats éloignés de la chirurgie de l’aorte sous rénale » avec Sautot en 1967, l’imposant « Chirurgie du cœur », Tome V du traité de Technique chirurgicale en 1972, et bien d’autres dont l’énumération serait fastidieuse.

Je citerai toutefois, car ce texte est un petit chef-d’œuvre de précision, de réflexion et d’intelligence, son « Histoire de la chirurgie du cœur » présentée à la Société de chirurgie thoracique et cardiovasculaire de langue française en janvier 1999.

Ses mérites furent reconnus par l’ensemble de la communauté très fermée des chirurgiens cardiaques, puisqu’il présida en 1980 la Société de chirurgie thoracique et cardiovasculaire de langue française, qu’il fut Secrétaire général de la Société européenne de chirurgie cardiovasculaire de 1981 à 1991, Vice-Président pour l’Europe de la Société internationale de chirurgie cardiovasculaire de 1991 à 1993, et membre d’honneur à titre étranger de nombreuses sociétés de la spécialité.

Le gynécologue-accoucheur que je suis osera-t-il ajouter qu’il découvrit dans cette impressionnante liste de travaux, deux publications que je ne peux résister au plaisir de citer : l’une sur l’endométriose de la vulve en 1951 avec Claude Olivier, et l’autre sur une rupture gravidique de l’artère iliaque primitive gauche.

Le rôle qu’il remplit à Broussais, l’influence qu’il exerça furent donc majeurs.

Mais là ne se borna pas son activité. Au début de sa carrière, il exerça aussi la chirurgie générale, en particulier digestive, dans le service de Broussais, ce dont témoignent quelques publications avec M. d’Allaines, puis à l’Hôpital de la Croix Saint Simon ; en effet, sa situation de chirurgien temps partiel à Broussais lui permettait d’exercer une activité chirurgicale extérieure.

Il devint ainsi en 1955 le collaborateur de Louis René qui, victime comme tant d’autres du couperet absurde du concours de chirurgien des hôpitaux, eut le mérite de comprendre qu’il pouvait faire de l’Hôpital de la Croix Saint Simon un centre chirurgical de premier ordre et de se donner les moyens de réaliser cette ambition.

L’un de ces moyens fut de s’associer des collaborateurs au premier rang desquels se trouva Philippe Blondeau, et je me rappelle avec émotion l’équipe soudée et amicale qui fut la nôtre au début de cette entreprise avec Gérald Lord puis Raymond Roy Camille, Jean-Marie Brisset, et la merveilleuse anesthésiste que fut Madeleine Roy Camille.

Dans ce cadre Philippe Blondeau orienta très vite son activité vers la chirurgie des glandes endocrines, en particulier surrénales et surtout corps thyroïde.

 

Et là encore, il donna la mesure de son immense talent. En quelques années, grâce à la confiance de MM. de Gennes et Bricaire, il devint en effet le spécialiste universellement admiré et mondialement reconnu de la chirurgie thyroïdienne. Son expé- rience portant sur 8 600 interventions se traduisit dans ses 3 lectures à l’Académie de médecine sur ce thème (chirurgie de l’hyperthyroïdie en 1991, cancers thyroïdiens en 1992, goitres plongeants en 1994), et surtout un ouvrage majeur intitulé « Chirurgie thyroïdienne » en 1996.

Je ne fus pas le témoin direct de l’acquisition de cette maîtrise ; n’est-ce pas d’ailleurs le drame des grands chirurgiens, à la différence des autres artistes prestigieux qui laissent derrière eux tableaux, partitions ou enregistrements, de n’avoir pour témoins admiratifs mais éphémères que leurs assistants et quelques observateurs.

Philippe eut toutefois, au début de son activité chirurgicale thyroïdienne exercée en pratique libérale, un observateur privilégié en la personne de notre confrère Bernard Glorion et je tiens de lui l’immense admiration qu’il éprouva pour la qualité de l’acte opératoire qu’il réalisait. La précision, l’aisance, la perfection du geste, faisaient, m’a-t-il confié, de ces interventions un spectacle fascinant, éblouissant, dont rendait compte le caractère aisé des suites et qui évoquait l’exécution parfaite d’une partition musicale.

Parmi ses multiples activités, Philippe Blondeau occupa d’autres fonctions importantes, d’abord de Chef du département de chirurgie de 1982 à 1987, puis de Président du Conseil Médical et de Gouverneur, c’est-à-dire de Membre du Conseil d’Administration de l’Hôpital Américain de Paris, et ce dans une période difficile, conflictuelle qui fut d’ailleurs à l’origine du seul désaccord survenu entre nous pendant ce demi-siècle, désaccord heureusement vite effacé et oublié.

Expert près la Cour d’Appel, ses compétences juridiques et son goût pour le respect de l’ordre, des règles, de la bienséance et de la correction, le conduisirent à occuper pendant 23 ans les fonctions présidentielles au sein du Conseil Régional, où il fut réélu peu avant sa disparition.

Mais au-delà de cette énumération de dates et de fonctions, ce qui frappe à l’analyse rétrospective de sa carrière et ce qui frappait lors de sa fréquentation quotidienne, c’est la remarquable qualité intellectuelle et humaine de Philippe Blondeau.

Intellectuelle d’abord et ceci est bien révélé par la lecture de ses publications techniques, mais aussi et plus encore de ses réflexions sur l’évolution de la médecine et de la chirurgie, sur les difficultés de l’évaluation précise de l’acte chirurgical, sur les relations entre la qualité et la liberté, à une époque où les contraintes économiques pèsent sur la pratique médicale, sur l’avenir de la chirurgie ; ce qui marque ces nombreuses interventions, c’est l’honnêteté intellectuelle, la lucidité dont il fait preuve.

Mais je voudrais surtout souligner la qualité humaine de Philippe Blondeau traduite dans son attitude face aux patients, son attitude face à la maladie, son attitude face aux aléas de la vie, en particulier professionnels.

 

Face aux patients est d’ailleurs un terme impropre ; c’est à côté des patients qu’il faut dire. Car Philippe Blondeau savait à merveille, conseiller sans diriger, entourer sans contraindre, réconforter sans condescendance, les patients et leurs familles.

Dans une discipline dure, éprouvante, il savait masquer ses propres angoisses, bien réelles pourtant, à telle enseigne que l’arrêt de son activité chirurgicale cardiaque lui apparut à certains égards comme un soulagement. Mais il savait prendre ses responsabilités, assumer ses décisions, se charger d’une part du fardeau psychologique que comporte toute affection, grave ou bénigne, sans que pour autant l’autonomie, la liberté de choix et de décision du patient en soient affectées.

A une époque où la responsabilité médicale ne s’entend plus que sous son aspect judiciaire, et tend à être dépouillée de son aspect psychologique et humain par des mouvements consuméristes inconscients des effets pervers qu’ils génèrent, Philippe Blondeau était l’exemple même d’un paternalisme éclairé, efficace et réconfortant, que les générations futures risquent de regretter très rapidement.

Face à la maladie, certes non dramatique mais gênante, qui perturba la fin de sa vie, Philippe Blondeau révéla sa force de caractère, sa lucidité, sa dignité, en un mot son courage, énormément aidé par l’affectueuse sollicitude de Colette.

Mais ces qualités se révélèrent plus encore lorsque la conjonction des conséquences d’une réforme administrative non exempte d’effets pervers, tels que la durée limitée des fonctions d’agrégé et l’indisponibilité d’un poste universitaire à un moment critique, de la difficulté éprouvée par Philippe d’abandonner la chirurgie thyroï- dienne où il excellait, peut-être d’un certain attrait pour la liberté que confère le temps partiel, et il faut bien le reconnaître, de l’allergie constitutionnelle de son maître aux « assemblée bavardes et aux commissions inefficaces », comme Philippe le souligna lui-même de manière quelque peu prémonitoire, lorsque toutes ces forces conjuguèrent leurs effets pour priver Philippe Blondeau de ce qui constituait depuis le début son objectif, son rêve, son accomplissement, le service de Broussais et la succession de Charles Dubost.

Il en fut profondément affecté. J’en fus le témoin, mais je puis témoigner aussi du courage, de la dignité, de la force de caractère dont il fit preuve dans cette conjoncture qui amputait sa carrière de son aboutissement naturel.

Par tous les aspects si divers que j’ai tenté ce soir de vous présenter, Philippe Blondeau apparaît comme un honnête homme dans toute l’acception du terme, comme un chirurgien d’une haute et particulière qualité, comme un médecin exceptionnel, comme une personnalité humaine chaleureuse et non dépourvue d’humour.

Ce fut mon ami, je serais presque tenté de dire mon frère, mais ne le puis, car il m’en voudrait de chercher à occuper la place qui revient biologiquement et psychologiquement à son jumeau Michel.

Je me contenterai de dire que l’Académie a perdu en Philippe Blondeau un membre d’une rare envergure et nombre d’entre nous un ami très cher.