Éloge
Séance du 5 octobre 2010

Éloge de Maurice-Alexandre Guéniot (1918-2008)

Denys Pellerin *

Summary

Éloge de Maurice-Alexandre Guéniot (1918-2008) par Denys PELLERIN *

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et Messieurs mes chers Confrères, Mesdames et Messieurs Madame, Le 22 juin 1999, à cette tribune, Maurice Guéniot prononçait l’éloge de son ami très cher Pierre Denicker.

Je cite ses premiers mots : ‘‘ Quand Pierre Denicker et moi avons été admis à l’Académie nationale de médecine en 1982, nous nous étions fait la promesse mutuelle que le survivant ferait l’éloge de l’autre ’’. Et il le fit avec une grande sensibilité. Mais ni l’un ni l’autre n’avait indiqué qui ferait l’éloge du survivant.

Maurice avait seulement ajouté :

‘‘ C’est ainsi que j’ai la tâche difficile pour un médecin étranger à la psychiatrie de faire l’éloge d’une personnalité exceptionnelle de cette discipline ’’.

J’ai, croyez le bien, à cet instant le même sentiment de gêne mais aussi de fierté de m’être vu confier, à moi, chirurgien pédiatre, par vous-même, Madame, l’honneur de prononcer l’éloge du Président Maurice Guéniot.

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Maurice-Alexandre Guéniot est né à Paris, au foyer de Paul et Marguerite Guéniot.

le 24 octobre 1918, à la veille de l’armistice qui marquait enfin le terme de la première guerre mondiale.

Son père, le Docteur Paul Guéniot, a durant tout le conflit servi comme chirurgien aux Armées. Il ne tarde pas à reprendre le cours d’une carrière correspondant à ses aspirations, dans la tradition familiale. Fils du brillant et déjà célèbre Professeur Alexandre Guéniot, il deviendra rapidement, à son tour, Accoucheur des Hôpitaux de Paris, comme l’on disait alors !

Sa mère, Marguerite est la fille du Docteur Henri Parent, originaire du Pas-de-Calais.

Formé à l’École de santé militaire de Strasbourg puis à Montpellier, du fait des tragiques événements de 1870, Henri Parent avait achevé ses études au Val de grâce où il découvrit « l’oculistique ». Après une inévitable affectation comme aide-major à la division des Alpes, il mit fin à sa carrière de médecin militaire pour se consacrer à sa nouvelle orientation, l’optique et l’optométrie. Le skiascope dont il s’est fait le promoteur lui valut d’acquérir une place éminente parmi les ophtalmologistes de la fin du siècle 1.

Vous aurez observé que Maurice s’appelait en fait Maurice-Alexandre dans le souvenir fidèlement gardé de l’aïeul héroïque, officier de Napoléon, abandonné, blessé à Malo-Iaroslavets, lors de la violente contre offensive des Russes. Des milliers de fantassins, et cavaliers barraient les routes de la retraite des armées de Napoléon après l’abandon de Moscou en Octobre 1812. Les Russes achevaient tous les blessés… sauf les officiers. Le Tsar, passant par là, le fit ramasser et soigner. Rien de plus. Guéniot regagna la France par ses propres moyens dans des conditions rocambolesques. Par reconnaissance pour le Tsar de Russie, le rescapé donnera à son fils le prénom d’Alexandre. La tradition familiale sera respectée pour son arrière petit-fils.

Dans cette ambiance chaleureuse, d’une famille cultivée et privilégiée, qui régne dans l’appartement du Boulevard St Germain, bientôt comblée par la naissance d’une petite sœur, Yvonne 2, Maurice a une enfance heureuse, dans la tradition des 1. De 1890 à 1895 il fut secrétaire général de la Société française d’ophtalmologie. Chibret était parvenu à l’imposer aux oculistes à une époque où, semble-t-il, les rivalités étaient grandes notamment entre les officiels de la Faculté et les Quinze vingt.

2. Yvonne Guéniot fera une belle et longue carrière de Conservateur en chef de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris (devenue Bibliothèque interuniversitaire de médecine) après l’éclatement de la Faculté de médecine en onze UER, médicales. Elle achèvera sa carrière à La Bibliothèque de France François Mitterrand.

grandes familles médicales de l’époque. Il tire grand profit d’une scolarité tout entière accomplie au collège Stanislas, elle répond à son désir d’apprendre, à sa curiosité. Elle s’exprime particulièrement à l’égard de la géographie, de l’histoire des populations, de la diversité des cultures et des arts. La fin de ses études secondaires approchant, il ne dissimule pas qu’il ne lui déplairait pas de devenir professeur d’histoire.

Il doit cependant satisfaire à la pression non seulement paternelle mais aussi globalement de la famille qui souhaite voir l’unique garçon Guéniot poursuivre la tradition médicale dont il serait la troisième génération. Nous sommes en 1935, Maurice a dix-sept ans. Il s’inscrit en médecine. Deux ans plus tard, au concours de 1937, il est nommé Externe des Hôpitaux, en rang honorable.

Hélas ce premier succès est vite assombri par un accident de santé, de ceux qui touchent hélas encore beaucoup de jeunes, à cette époque. À peine a-t-il pris ses fonctions d’externe à Laennec que la maladie les lui fait interrompre, pendant près de deux ans. Il ne perd néanmoins pas son temps durant sa maladie. Le repos n’interdit pas de satisfaire au besoin de savoir. Cependant, sa vocation de médecin encore fragile s’en est trouvée aussitôt ébranlée. Il faudra toute la compétence et l’insistance d’un cousin de son père, médecin physiologue, pour l’encourager à poursuivre ses études en même temps que son traitement et le convaincre que, guéri, il pourrait mener une carrière normale. Vous avez reconnu là cette conjonction de compétence et de sagesse qui caractérisait Alfred Courcoux le réputé chef de service de l’Hôpital Boucicaut que notre Compagnie devait accueillir peu après, en 1941, comme membre titulaire de la section de médecine.

Heureusement, rétabli, notre jeune externe prend en mai 1939, ses fonctions effectives , en chirurgie, comme il se doit alors, chez Grégoire, à St Antoine. Aux jours tragiques de Juin 1940 il est mobilisé, mais, on le conçoit, réformé un mois plus tard pour raison de santé. Maurice ressent cette décision comme une nouvelle épreuve.

Il a retenu une place d’externe pour le semestre d’hiver chez M. Raoul Boulin à SaintAntoine. Après quoi, ce sera Bichat, chez le Professeur Pasteur Valery-Radot. C’est aussi le temps de son premier Concours de l’internat. Il y est nommé « provisoire, no 38 », le titre officiel est alors « Externe en Premier ». Cela lui vaut de bénéficier de six mois supplémentaires dans le service de celui qu’avec familiarité mais respect, tout le monde appelle PVR Pasteur Valery-Radot ! Tout me porte à penser que le jeune Guéniot ne réalisa pas alors que son destin se dessinait ici auprès de ces hommes d’exception !

Dès son second concours, en 1943 (concours différé de l’année 1942), Maurice est nommé à l’internat, vingt-deuxième. Il sera l’interne de Touraine, de Sèze, Julien Marie, de Mollaret à la Salpêtrière. Il a réservé son dernier semestre de quatrième année chez Monsieur Boulin, à Saint-Antoine. Il lui est demeuré très attaché depuis son externat. Nous sommes en novembre 1946. Dès le 15 janvier suivant, c’est le retour à l’hôpital de la Pitié dont la réouverture était impatiemment attendue. C’est là que se trouvait la clinique médicale de Marcel Labbé dont Raoul Boulin avait été l’élève et dont il avait assuré la suppléance, durant les deux dernières années de sa vie, qui devait s’achever peu avant l’été 39. Mais il avait fallu quitter la Pitié tristement devenue « Hôpital allemand de Paris » en mai 1940. On sait en quel état les troupes d’occupation le laissèrent en août 1944, quelques jours seulement avant la Libération de Paris en y abandonnant, dans leur fuite honteuse, un grand nombre de blessés alliés et même quelques-uns des leurs. Je peux en attester. J’y fus alors affecté…

L’interne Guéniot reste un semestre encore chez M. Boulin du fait de l’année d’internat supplémentaire que lui vaut la médaille d’argent de l’internat, obtenue cette année là. Il choisit de passer les six derniers mois, toujours à la Pitié, chez M. Mouquin.

Durant son année d’internat chez Raoul Boulin, Maurice a complété sa formation en Sorbonne, dans le respect du conseil donné par son père, hélas tôt disparu. Paul Guéniot avait eu néanmoins la satisfaction de voir son fils nommé à l’internat de Paris. Il y acquiert (1946) une licence ès sciences avec un certificat de chimie biologique et un certificat de physiologie générale. Mais profitant de sa fréquentation de la Sorbonne il ne peut s’empêcher de succomber à son hobby réfréné : il y ajoute un certificat d’ethnologie et d’anthropologie ! Puis, comme sa soif de connaissance est sans limite, il enchaîne par le Certificat d’études spéciales de médecine du travail.

Dans le même temps il est un conférencier d’internat réputé, éblouissant par son érudition. Celle-ci cependant inquiète parfois certains de ses élèves : il n’est pas toujours aisé d’en extraire l’essentiel, qui fait « la bonne question d’internat » — nos confrères Jean Natali et Pierre Bégué s’en souviennent encore !

En 1947 il soutient sa thèse de doctorat en médecine faite évidemment chez Raoul Boulin sur « L’élimination rénale de l’insuline et des substances hyperglycémiantes ». Ce travail lui vaudra l’attribution par notre compagnie du Prix Ferdinand Dreyfus. Sans quitter la Pitié, Guéniot sera Chef de clinique un an au sein de la Chaire des maladies infectieuses, du Pr. Mollaret, — puis une seconde année à la chaire de clinique médicale, du Pr. Mouquin. L’un et l’autre ont été ses maîtres d’internat. Il rejoint alors son maître Boulin, aux côtés duquel il souhaite poursuivre une carrière de diabétologue.

Très vite son succès au concours de médecin assistant des hôpitaux de Paris de 1951 lui permet d’entrer officiellement dans l’équipe Boulin. Le service est un service de médecine interne, mais selon la terminologie d’alors, il est sera bientôt officiellement reconnu « semi spécialisé en diabétologie ». L’activité y est intense.

Un centre d’urgence y est organisé, dans des conditions matérielles assez rudimentaires, cependant centre unique pour la région parisienne. Il lui revient d’assurer l’utilisation optimale de l’insuline, encore rare à cette époque.

Maurice Guéniot y a la charge des comas diabétiques. Leur gravité est alors prégnante et le taux de mortalité demeure impressionnant. À l’époque la médecine anatomo-clinique a toute sa place. Dans une publication d’alors Guéniot pourra faire état de deux-cents autopsies. Cela lui permettra de décrire un cas princeps de « Tumeur endocrine du pancréas à action diabétogène » interprété comme une « sécrétion pathologique massive de principe pancréatique hyperglycémiant antagoniste de l’insuline ».

En 1954, l’opportunité d’étendre la surface du service permet à Raoul Boulin de concrétiser le projet d’un Centre d’urgence de coma diabétique, unité de réanimation spécialisée alors unique en France qui recevra tous les comas de la région parisienne. Guéniot en a la responsabilité. En dépit de la vétusté des lieux et de ce que M. Boulin appelle « notre misère hospitalière due aux réticence administratives » le centre, dispose de jour et de nuit de la présence d’un équipe associant médecins, assistants, internes et laborantines. Dès la première année de fonctionnement, il accueille deux cents urgences dont cent comas diabétiques proprement dits. Très rapidement le protocole observé améliore grandement la situation jusqu’à réduire à seulement 2 % la mortalité de cette redoutable affection, égalant la meilleure statistique mondiale d’alors de Joslin, à Boston. Au total Guéniot y traitera personnellement plus de cinq cents patients atteint de coma diabétique.

Auprès de Raoul Boulin, Maurice Guéniot acquit une renommée internationale dans le domaine de la nutrition, soutenue par de nombreuses communications et près de cinquante publications sous la signature de M. Boulin et de ses collaborateurs notamment Claude Lapresles et François Meyer 3. Il n’est pas dans mon intention de vous les rapporter ici d’autant que je n’ai pas la compétence requise pour en dégager la valeur scientifique.

Je retiendrai seulement, que Maurice Guéniot put rapidement prétendre à la qualité de diabétologue. Elle lui fut d’ailleurs reconnue par l’Association des diabétologue de langue française, qui l’élit Membre titulaire dès 1952 .

Cette même année il est admis définitif au concours de médicat des hôpitaux de Paris .

Malheureusement ses souhaits de poursuivre une carrière hospitalière vont se trouver contrariés par un échec au médicat final. Lui-même et les siens le ressentent douloureusement. Mais l’événement plus décisif encore sera pour lui la mort brutale de son Maître Raoul Boulin, le Ier août 1958 alors que quelques jours plus tôt, au Congrès de Düsseldorf , celui-ci « présidait cette extraordinaire séance de travail au cours de laquelle se joua sur le sulfamides hypoglycémiants (BZ 55) le duel, ou brilla le montpelliérain Loubattieres » 4.

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3. Le service disposait par ailleurs de l’important laboratoire de biochimie mis en place par Marcel Labbé que continuait à diriger l’éminent chimiste, Fl. Nepveux, et développait en étroite collaboration avec le physiologiste Daniel Santenoise une active recherche en matière de traitement de certains diabètes par les sulfamides hypoglycémiants.

4. Je cite ici les termes du Pr. Aubertin président de la Société des diabétologues de langue française, annonçant l’événement avec émotion, à l‘ouverture de la séance de rentrée la société.

Dès lors que tout espoir de carrière hospitalière « traditionnelle » avait pris fin pour lui, Maurice Guéniot décida de mettre fin à ce qui était perçue par certains comme une ambiguïté dans ses centres d’intérêt et sans doute dans ses objectifs. Perception qui n’avait peut-être pas été étrangère à son échec au médicat.

Il décide de recentrer toute son activité sur ce que l’on appelait depuis peu la « Médecine sociale ». Depuis déjà dix ans, avec quelques-uns, il en était le pionnier.

Finalement, ce bon choix le mènera jusqu’à la Présidence de notre Compagnie !

Il n’abandonnera cependant son activité de diabétologue, qu’après la mort de Raoul Boulin il poursuivit quelque temps encore à Saint-Louis dans le service de M. Moussoir.

Sa vie durant, Maurice Guéniot revendiquera son appartenance à la grande famille des nutritionnistes et diabétologues, il suivra ans défaillance la constante évolution de sa spécialité d’origine et maintiendra une pratique clinique notamment préventive 5 au sein de l’Institut pré clinique et en activité libérale.

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Rappeler les circonstances qui, il y a près d’un demi-siècle, firent apparaître les notions de Médecine Sociale et d’Économie médicale est le meilleur hommage que l’on puisse rendre à ceux qui en furent les pionniers : Maurice Guéniot fut l’un de ceux-là. Je ne saurais évoquer sa mémoire sans m’y attarder et rappeler la part essentielle qu’il y prit .

Il me faut remonter au 12 mai 1941 où l’externe Maurice Guéniot prend à Bichat ses fonctions dans le service du Professeur Pasteur Valery-Radot.

Il fait connaissance d’un lnterne du service Paul Milliez, par ailleurs conférencier réputé et d’un garçon, externe comme lui, Pierre Denicker.

Il n’apprendra d’eux qu’un peu plus tard, quand il se connaîtront mieux et quand chacun se sentira en confiance, qu’ils œuvrent en toute discrétion à répondre à la demande qui leur a été formulée par « le Patron ». À sa demande, à la suite d’une réunion organisée à Marmottan par Milliez avec Olivier Monod, le chirurgien, leur aîné, Pierre Deniker et un ami de celui-ci, Didier Duché, également externe, se met en place un « Groupe d’instructeurs des secouristes et moniteurs de la direction générale de l’enseignement de la Croix rouge française ». Sous ce sigle anodin et peu suspect — je rappelle que nous sommes à Paris, en 1941, aux débuts des plus pesants de l’occupation allemande — se dissimule en réalité la création avec l’aide d’étudiants en médecine, notamment des externes, de postes de secours et de dépôt de matériels, en fait d’équipes de secouristes, moyen et prétexte à la création d’un 5. Il contribua à l’élaboration de la partie diabétologique d’un programme informatique de contrôle du résultat des analyses biologiques dans une conception nouvelle de la médecine préventivre (1969) avec notamment Jean-RobertDebray, Jacques Chrétien, Pierre Pichot et Gabriel. Richet.

Groupe médical de secours, le GMS, acte précurseur de ce que sera plus tard le Service de santé de la Résistance.

Pierre Denicker et Didier-Jacques Duché en sont les deux premiers « engagés », en janvier 1941. L’un et l’autre formés à l’école du scoutisme, l’un éclaireur protestant, l’autre scout de France catholique, habitués à encadrer les groupes de jeunes, il auront la charge d’encadrer les jeunes « instructeurs » recrutés la plupart parmi les externes : Henri du Sorbier, François Goursolas, Jacques Toulet, André Decaudin, Louis Orcel, Paul Malvy et d’autres encore, la plupart hélas aujourd’hui disparus.

Jean Natali étaient aussi de ceux là. Il signa son engagement le 3 juin 1942 ! Invité à les rejoindre, peu après la fin du concours de l’internat qui le fit « provisoire » Maurice, sans hésitation, signe son engagement le 7 novembre 1942.

C’est pour lui une évidente opportunité de compenser sa frustration du désir de servir. Les membres du GMS, formeront une équipe enthousiaste. En juin 1944, ils devaient rendre les plus grands services aux populations civiles des zones bombardées tant à Paris que lors du débarquement et de la campagne de France sous l’autorité du « Capitaine » Pierre Denicker.

Nous devons à notre Confrère Jean Natali, ici présent, que je remercie, les témoignages directs des faits que je viens de rapporter, qu’il vécut avec Maurice Guéniot.

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À la fin de la guerre, on le comprend aisément, les membres du GMS, resteront très unis et prêts à prendre leur part dans l’action de rénovation de la France.

En cette époque de renaissance de la presse, Denicker et Guéniot choisissent, pour s’exprimer, de créer leur propre journal, un mensuel, « L’équipe médicale ». Deniker en sera le directeur, Maurice Guéniot l’éditorialiste, particulièrement en charge des problèmes de « médecine sociale ». Ils entendent par là inciter des médecins à contribuer à la réflexion sur l’extension des assurances sociales d’avant-guerre, à la totalité des salariés, comme le prévoit l’ambitieux projet d’une vaste institution de protection sociale souhaitée, comme l’on disait alors, par « La Résistance ».

Sur mission du Général de Gaulle, le conseiller d’État Pierre Laroque s’emploie à la mettre en place.

En ce qui concerne « l’assurance maladie , cette sécurité sociale » donne lieu — déjà !

— à une situation conflictuelle avec le corps médical. Elle se concrétise notamment par la création d’un mouvement qui en appelle à la « médecine libre ».

Beau sujet pour le journaliste en herbe. Maurice Guéniot se livre dans ses éditoriaux de l’Équipe médicale à l’analyse juridique et économique de cette situation nouvelle.

Il ne pouvait pas alors imaginer les conséquences qu’aurait pour sa carrière cette modeste et éphémère activité journalistique.

Tout naturellement des liens se créent avec Henri Péquignot, son aîné de quelques années, ancien interne comme lui, mais qui fait prisonnier en 1940 s’est évadé, puis est passé de la zone libre en Algérie en 1942. Il avait alors occupé diverses fonctions auprès du Commissaire du gouvernement provisoire d’Alger, en charge des problè- mes de la santé. De retour à Paris. en septembre 1944 Péquignot, reprend ses fonctions au sein du service de son maître Justin Besançon mais il est aussitôt affecté au Cabinet du Ministre de la population dans le premier gouvernement provisoire formé par le général de Gaulle, Robert Prigent 6. Maurice Guéniot a trouvé en Péquignot un interlocuteur privilégié. Ils partagent les mêmes idées. Ils ont les mêmes sources de réflexion, les mêmes convictions.

Ensemble ils ne signeront pas moins de cinquante communications ou articles traitant de la sécurité sociale et des problèmes économiques de la médecine qui seront publiés dans la « Semaine médicale », de Péquignot, supplément de la Semaine des hôpitaux, de Justin Besançon, ou dans l’«

Équipe médicale » de Guéniot.

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Très confraternellement les tenants de la « Médecine libre » avaient souhaité, eux aussi, rencontrer leurs jeunes confrères. Leurs publications les intéressaient.

C’est ainsi que Maurice Guéniot et son « directeur » Pierre Denicker entrèrent en relation avec les deux principaux dirigeants de Médecine libre, leurs aînés qui n’étaient autres que, le Président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins de Paris, l’ORL des Hôpitaux, Richier et le Secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des médecins 7, le Docteur Jean Robert Debray.

L’entente entre eux fut immédiate. Une étroite collaboration aussitôt décidée.

Denicker sera sans tarder élu membre du conseil départemental de l’Ordre. Maurice Guéniot le rejoindra l’année d’après. Un peu plus tard l’un et l’autre intégreront le Conseil national de l’Ordre.

Bonne opportunité pour Maurice Guéniot de tisser des liens étroits avec Jean Robert Debray dont la forte personnalité dominera la « médecine sociale » pendant un quart de siècle 8 mais aussi le privilège d’y côtoyer en ces années décisives les présidents successifs du Conseil national de l’ordre notamment le Professeur René Piédelièvre qui présidera le Conseil national de 1952 à 1956, et le Professeur Robert 6. Pequignot sera plusieurs fois le conseiller technique ou le Directeur de Cabinet des ministres successifs de la santé. Jusqu’à ce que nommé agrégé de médecine interne, au concours de 1953 il cesse toutes fonctions administratives pour se consacrer notamment à la gériatrie. Il y sera remplacé par l’un de ses élèves Georges Röesch.

7. Le Conseil National de l’Ordre des médecins créé sous Vichy, avait été dissout le 27 août 1944 par une Ordonnance du Gouvernement provisoire de la République, à Alger. Une deuxième Ordonnance du 22 octobre 1844 avait créé un Ordre provisoire qui ne se réunira qu’une seule fois, sous l’égide du Professeur Pasteur Valery-Radot et la présidence du Pr. Coustela. Le Conseil de l’Ordre définitif résulte de l’Ordonnance du 24 septembre 1945. Il sera successivement placé sous la présidence des professeurs Portes (1945-1950) puis René Piédelièvre (1952-1956), puis Robert de Vernejoul auquel succédera le Pr. Jean-Louis Lortat-Jacob.

8. Jean-Robert Debray sera parlementaire en 1958 puis Membre de l’institut.

de Vernejoul qui lui succédera 9. Maurice Guéniot a participé à toutes les réflexions qui au sein du Conseil national de l’ordre, autour du Président Piédelièvre ont conduit à une nouvelle rédaction d’un code déontologie, qui devait aboutir à l’édition de 1955. Les principes essentiels en sont, chacun le sait, « Liberté de choix du médecin par le malade, Liberté de prescription par le médecin, Secret médical ».

Cette réflexion laissait de côté l’aspect économique de la médecine, car à l’époque, l’assurance maladie ne concernait encore qu’une partie de la population salariée.

Depuis près de dix années déjà, Maurice Guéniot est témoin des débats suscités au sein du monde médical entre ces principes de la médecine libérale et le principe d’une prise en charge solidaire des risques de maladie, tels que l’on prévu l’Ordonnance de 1945. qui s’inscrit dans un dispositif global de protection sociale. Bien que l’on continue à utiliser le terme « d’assurance maladie », il s’agit bien en effet d’un dispositif de « sécurité sociale ».

Mais Il observe avec regret que la majorité des médecins libéraux, même parmi ceux qui siègent au Conseil national de l’ordre, ne se sentent que peu concernés par cette évolution de la société ! Avant beaucoup, Guéniot fût l’un de ceux qui avaient compris que la médecine, notamment du fait des rapides progrès qui s’amplifiaient, dans le domaine du médicament rendaient de plus en plus souhaitables, et même nécessaire, une vision médicale de l’organisation sociale de l’accès des soins 10.

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Vint le jour où fut déposée devant l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à la création d’une Académie nationale des sciences sociales, dont la mission serait d’« envisager les problèmes sanitaires sous l’angle social ». Le Président Piédelièvre, par ailleurs titulaire de la Chaire de médecine légale de la Faculté de médecine de Paris, réagit aussitôt et se fait l’ardent avocat de la cause au sein du Conseil de la Faculté de médecine. Celle-ci fait sienne à son tour la notion de « médecine sociale » : La chaire de médecine attribuée à Raoul Boulin en 1955 portera le nom de « chaire de diabétologie sociale » ; peu après Julien Marie sera nommé titulaire d’une « chaire de pédiatrie sociale ».

Ici même, en Juin 1955 à la suggestion de René Piédelièvre, qui préside alors la 7e section de notre Compagnie, le Conseil d’administration puis un Comité secret approuvent l’adjonction de l’intitulé « médecine, sciences sociales » à celui de « membres libres » de la section au sein de laquelle, aux côtés de Frédéric Joliot-

Curie et Georges Duhamel, siégent alors d’authentiques spécialistes de la médecine 9. Jusqu’au terme de sa longue vie, le Président Robert de Vernejoul, prodiguera à Maurice Guéniot les conseils les plus avisés.

10. Maurice Guéniot avait toujours en mémoire que durant toute l’occupation, son Maître Raoul Boulin avait lutté pour la survie des diabétiques. Dans des conditions qu’il qualifiait de burlesque, il était parvenu à obtenir pour eux un régime spécial mais surtout il avait bataillé dur pour obtenir que soit institué un Comité national de l’insuline, qui sous sa présidence, à travers des centres de répartition tentait d’en assurer la répartition en dépit de la pénurie.

sociale : Serge Gas, Justin Godard, Bernard Lafay, Xavier Leclainche, Louis Mourier. Certains, par ailleurs, que l’application des mesures prévues dans le nouveau dispositif de ce que l’on continue à appeler l’assurance maladie exigeront des dispositions réglementaires, pas enseignées dans le cadre de la médecine légale, le même trio, le président de Vernejoul, Jean-Robert Debray, et René Piédelièvre ont fait admettre qu’il conviendrait que les médecins universitaires qui ont été pour les pouvoirs publics les seuls interlocuteurs vraiment concernés, soient étroitement associés à la mise en place des structures médicales de conseil et de contrôle des caisses d’assurance maladie, mais aussi qu’il convient de former les étudiants en médecine à cet aspect nouveau de la pratique médicale *

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C’est dans ce contexte, et dans les circonstances, que j’ai rappelées, qui venaient de marquer sa carrière hospitalière, que bénéficiant de l’approbation et des conseils de ses maîtres Maurice Guéniot fut encouragé par ceux-ci à entreprendre un nouveau parcours universitaire en médecine légale .

Sans tarder, il se remet au travail, en 1956, il satisfait au CES de médecine légale ; en 1957, il devient Préparateur du cours de médecine légale. L’année d’après, il sera Agrégé de médecine légale et de médecine du travail à la Faculté de médecine de Paris 11. Ses fonctions le font travailler à l’Institut médico-légal de la Place Mazas. Il y côtoiera le célèbre médecin légiste Dérobert — qui s’illustrait alors dans quelques procès célèbres. Il signa avec lui plusieurs articles dans les « Annales de médecine légale et de criminologie », organe de la Société du même nom dont, à cette époque, il avait rapidement été élu membre 12. Comme il en a reçu mission, il s’efforcera dans son enseignement d‘agrégé de médecine légale de sensibiliser les étudiants aux problèmes nouveaux posés par la sécurité sociale.

Vinrent les événements de Mai 1968, qui arrêtent toute activité à la Faculté, puis les examens de septembre qui vont remettre la machine en marche. Maurice y prend une part active.

Peu après en application des dispositions prévues dans la Loi d’orientation de l’enseignement supérieur 13, d’Edgar Faure, il est affecté à la nouvelle l’UER Necker Enfants Malades du fait des fonctions d’assistant de consultation qu’il y exerce au sein de la nouvelle et éphémère chaire de Pédiatrie sociale du Pr Julien Marie qui ne survivra d’ailleurs pas à la tourmente de 1968. À « Necker on innove ». En 1970 Guéniot enseigne dans le cadre d’une unité officiellement intitulée pour la première 11. Dans la chaire dont le titulaire est le Pr René Piédlièvre.

12. Je citerai, notamment « Le suicide par insuline, Les intoxication volontaires par insecticides organophosphorés, La pendaison mortelle accidentelle par ceinture de contentions chez les enfants du premier âge ».

13. La Loi d’orientation de l’enseignement supérieur répartit les enseignants dans les nouvelles UER en fonction de la localisation de leurs fonctions hospitalières.

fois « Médecine légale, droit médical, déontologie et économie médicale ». Il devra néanmoins attendre 1975 pour que puisse être dégagé en sa faveur, sous le même intitulé, un emploi de Professeur titulaire. On doit dire désormais PU-PH. À Necker les robes alors sont bannies. Il n’aura que plus tard quelques occasions de la revêtir lors de missions à l’étranger. Peu de temps après sa prise de fonction universitaire à Necker il est nommé « Médecin conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs non salariés ». Ce troisième régime de protection sociale avait été créé par la loi du 12 juillet 1966 (dite Jeaneney). Venant après celui des travailleurs salariés né des ordonnances de 1945, et celui de la Mutualité Sociale Agricole issu de la loi du 25 janvier 1961 portant réforme de la sécurité sociale. Cela nous a été parfaitement rappelé dans la très belle présentation de Gérard Milhaud lors de notre avant-dernière séance avant l’été.

Il avait fallu toute la détermination du Président de Vernejoul pour faire admettre enfin la nécessité de placer un médecin hospitalo-universitaire à un tel poste de responsabilité. Maurice Guéniot, ici encore en pionnier, sera le premier médecin à exercer à mi-temps une telle fonction 14. Avec l’aide inestimable de son médecin adjoint, à plein-temps, Claude Rossignol, notre confère, ici présent, il lui fallut pas moins de six années pour parvenir, à partir de rien, à créer au niveau des régions un service conciliant une indispensable et réelle indépendance des praticiens conseils, sur le plan technique, avec les exigences des services administratifs 15. Cette fonction le fit tout naturellement désigner pour siéger au Haut comité médical de la sécurité sociale 16, instance créé par décret dès 1946 et enfin mise en place en 1970, sous la présidence du Pr. de Vernejoul. Tandis qu’il continuait à siéger à la Commission permanente des médecins de la Communauté Economique Européenne. Désigné pour cette mission en 1966, par Pr. J.L. Lortat-Jacob, alors Président du Conseil de l’Ordre, il y siégera pendant vingt ans. Enfin, des années durant Maurice Guéniot sera un membre particulièrement actif et écouté au sein de la Commission d’autorisation de mise sur le marché des médicaments.

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14. Valant fonctions hospitalières, il les exerçait à mi-temps, assisté d’un médecin national adjoint temps plein.

15. Dés 1976 il était parvenu à mettre au point, ici encore le premier, l’informatisation des services médicaux pour le traitement des dossiers. Cette novation qu’il ne cessa d’améliorer au fil des années contribuait à l’harmonisation des services médicaux régionaux en même temps qu’à l’amélioration des conditions de travail.

16. Bien qu’elle relève d’un décret de 1946, (article 112 bis du Décret no 46 — 1378 du 8 juin 1946) qui prévoyait l’institution d’une instance, composée exclusivement de médecins, dont la mission devait être d’orienter et harmoniser les missions des médecins contrôleurs, au sein des divers régimes, notamment dans leurs réponses aux longues maladies. L’institution d’un 4e régime général, en rendait la mise en place plus que jamais nécessaire. Elle ne fut néanmoins mise en place qu’en 1970 par un arrêté (16 juin 1970), qui lui donnait pour mission de « définir les principes d’ordre médical destinés à permettre l’orientation générale du contrôle exercé par les médecins-conseils ».

La création récente de ces comités et commissions témoignait de la part des autorités publiques de leur sérieuse préoccupation naissante face à l’augmentation régulière du « coût de la santé », d’autant que — cela aussi nous a été rappelé par

Milhaud — les régime généraux mais aussi les nombreux petits régimes spéciaux obéissent à des règles différentes, sans la moindre référence au conséquences économiques qu’ils induisent 17.

Maurice Guéniot était de ceux qui étaient persuadés que les médecins ne pourront se tenir écartés de la réflexion sur le coût de cette généreuse ambition.

On commençait à parler d’économie « médicale ». Il en avait été l’un des pionniers.

Il est désormais l’un des premiers à s’être vu confier mission de l’enseigner aux étudiants en médecine 18. Dans une très belle communication devant l’Académie des sciences morales et politiques, en février 1973, il définit la substance de cet enseignement et tenta d’en cerner les limites, non sans avoir souligné — je le cite — que « pour une fois l’administration de l’Éducation nationale généralement lente et prudente est allée vite et l’introduction de cette nouvelle discipline est une mesure si précoce que la mise en œuvre des instructions ministérielles suscite beaucoup de difficultés ».

Dépassant son objectif initial qui visait essentiellement les étudiants en médecine, son obstination concrétisera par la création en Juin 1982 d’un « Certificat d’études de démographie, économie de la santé et sécurité sociale » dans le cadre de l’Université René Descartes. Il pouvait ainsi étendre son enseignement à un public beaucoup plus large non exclusivement médical. C’était là la conséquence logique du succès croissant des « Journées de Necker ».

En mars 1973, il organise « la première Journée d’Économie Médicale et de Sécurité Sociale de la Faculté de médecine Necker-Enfants Malades ». Le thème en est « Le ticket modérateur, son principe, ses modalités d’application ». La session du matin est présidée par le Pr. de Vernejoul, celle de l’après-midi par M. Jean-Robert Debray, devenu entre temps membre de l’Institut. En avril 1998, sous la présidence de M. Jean Foyer, ancien Garde des Sceaux, la 25e journée, la dernière cependant, sera consacrée à « La crise structurelle de l’assurance maladie ». À l’évidence, tout n’a pas été réglé, loin de là !

Ces vingt-cinq journées annuelles ont été organisées, par Maurice Guéniot avec l’aide inestimable de Claude Rossignol, qui fut d’abord son médecin adjoint, et qui lorsque vint le temps de la retraite pour le médecin conseil national, et lui ayant 17. Non seulement cela pèse sur les autres bénéficiaires de la protection sociale, mais plus encore sur l’économie générale du pays, puisque le poids des cotisations sociales pèse directement sur coût du travail salarié.

18. Serré M — De l’économie médicale à l’économie de la santé — Actes de la recherche en sciences sociales — 3 — 2002, no 143, pp 68-79. — « Les (Ces) médecins obtiennent que l’enseignement de l’économie de la santé devienne obligatoire dans les facultés de médecine en 1970… La mainmise des médecins sur les premiers pas de l’économie de la santé… s’inscrit dans le prolongement de la domination qu’exerce, dans les années 1960-1970, l’élite hospitalouniversitaire sur la politique de santé et la planification sanitaire ».

succédé, ne lui ménagea pas sa collaboration. Les études qui y étaient présentées portaient sur « le coût des maladies », prenant en compte une donnée nouvelle celle du « rapport coût-efficacité. » Elle avaient été le plus souvent menées par le service médical du régime des Travailleurs Indépendants, associé à des étudiants de Necker, suivant une méthodologie mise au point par les médecins nationaux. Chaque année, les thèmes abordés étaient traités par les personnalités françaises ou étrangères les plus compétentes dans leurs divers domaines. Nombre d’entre vous, mes chers Confrères y avez apporté votre contribution 19. Au fil des années de plus en plus de non-médecins spécialistes en économie participaient à ces journées et y communiquaient, témoignant de l’importance et de l’intérêt de ces journées reconnues aux plus hauts niveaux de responsabilité. Chacune de ces journées était présidée par un membre de l’Académie des sciences morales et politiques.

La présence assidue de l’un d’eux, le Professeur Henri Guitton, qu’il préside ou non, y était particulièrement significative et appréciée. À 1’initiative du Chancelier Édouard Bonnefous, Henri Guitton avait créé et animait à l’Académie des Sciences Morales et Politiques un « Groupe d’études en Économie de la Santé ». Au sein duquel ce non-médecin professeur d’Économie qu’il était, l’un des premiers, à Paris-Panthéon ne dédaignait pas de travailler avec des médecins ! Très logiquement Maurice Guéniot figura parmi les membres du groupe. Y ayant moi-même été invité, j’ai eu le privilège d’en faire partie durant plusieurs années, je peux attester que Maurice Guéniot y était très écouté et respecté.

Durant toute ces années les publications de Maurice Guéniot sur tout ces sujets furent très nombreuses. En revoyant ses publications, j’ai retenu la présentation qu’il fit devant l’Académie de sciences morales et politiques en janvier 1978 sur le thème « Évolution de l’assurance maladie et le choix des risques », et observé qu’il demeurait aujourd’hui encore d’une brûlante actualité, à laquelle aucune solution durable n’a encore été apportée !

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En 198I, la 7e section de notre compagnie que préside alors M. André Thomas sollicite le Chancelier Bonnefous, d’accepter de la rejoindre en tant que membre libre. Le règlement, déjà, prévoyait qu’il y ait une mise en compétition. Également sollicité, pour satisfaire au règlement, Maurice Guéniot pose sa candidature. Involontaire maladresse, vis-à-vis d’une personnalité éminente. Le bon sens et la courtoisie de Maurice Guéniot, eurent vite fait de régler le problème qui, alors, n’en était pas un. Dès qu’il eut connaissance des faits, il retira sa candidature 20. Un an plus 19. À titre d’exemples, je citerai : « Étude économique et critique de la maladie d’Hodgkin » avec le professeur Bilski-Pasquier, «

Enquête sur le Coût de la spondylite rhumatismale » avec le professeur de Seze, «

Le Coût du diabète sucré » par Maurice Guéniot lui même.

20. Selon les termes de sa lettre au Secrétaire perpétuel, «

Ne pouvant imaginer se trouver en compétition avec celui avec lequel j’ai des liens de reconnaissance depuis des années… que je considère comme l’un de mes maîtres. » tard, en juillet 1982, il est élu membre titulaire à la place rendue vacante, dans la 7e section, par le décès de notre confrère et ami si regretté, Florian Delbarre.

Cette élection le comble de joie. Il lui semble, dit-il, « qu’il retrouve sa place dans la lignée des Guéniot académiciens ! ». Le voici bientôt secrétaire de la 7e section. Son rôle y sera déterminant, d’autant plus que sa qualité d’académicien a conforté son autorité face ceux qui depuis peu se revendiquent d’être « d’abord économistes…

puis de la santé » 21.

En janvier 1996 Maurice Guéniot succède à M. André Thomas. à la présidence de la 7e section. Il occupe cette fonction jusqu’en janvier 2000 ; Pierre Pichot puis Gérard Milhaud lui succèderont. Dans le nouveau Règlement de 2002 la 7e section est devenue la 3e Section de la IVe Division, sous l’intitulé plus significatif encore « Médecine sociale et membres libres ».

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Ainsi, pendant plus de vingt ans, Maurice Guéniot — et avec lui ceux qui avaient été des pionniers — ont contribué à défendre une approche médicale humaniste dans l’économie de la santé et pas seulement l’approche économique, mathématique, désincarnée, que les économistes s’étaient empressés d’importer des États-Unis à la fin des années quatre-vingts et sont parvenus à nous faire imposer par les pouvoirs publics 21.

Avec lucidité, après son Maître Piédelièvre, Maurice Guéniot, a su nous convaincre qu’il revenait plus que jamais à l’Académie nationale de médecine de veiller à ne pas laisser réduire à de seules données comptables la base de l’organisation des soins dans notre pays.

21. Serré M — De l’économe médicale à l’économie de la santé — Actes de la recherche en sciences sociales — 3 — 2002, no 143, pp 68-79.

« Les « économistes » s’intéressant au secteur de la santé dans les années 1950-1970 sont d’abord des médecins hospitaliers proches de la sphère publique, qui produisent des travaux sur la consommation médicale et les dépenses de santé. Mais ces travaux ne s’inscrivent pas dans les préoccupations que nous connaissons aujourd’hui… » « L’économie de la santé que l’on appelle alors plutôt « économie médicale » apparaît d’abord comme le prolongement, dans le secteur de la santé, de l’effort de rationalisation impulsé par le Plan et la comptabilité nationale au niveau global… » « La particularité du secteur de la santé est que cette expertise se développe sous la tutelle des médecins… Les travaux du CREDOC (…) marqués par cette conception très médicale (…) rencontrent un écho favorable auprès d’autres professeurs hospitaliers qui développent, de leur côté, des pôles d’économie de la santé, notamment Maurice Guéniot… » « Les acteurs qui entendent désormais prendre en charge l’économie de la santé en tant que discipline sont économistes de formation. L’équipe reste en apparence inchangée : pluridisciplinaire, elle regroupe statisticiens, médecins, économistes et informaticiens. Mais on observe en fait une forte montée en puissance des économistes, au détriment des médecins et des statisticiens purs . » « Sous leur influence émerge progressivement une définition concurrente de l’économie de la santé qui devient une branche de l’économie. L’économie de la santé prend alors comme signification l’application des théories et des méthodes économiques à un domaine donné, la santé. » *

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Au sein de notre Compagnie Maurice Guéniot n’eut aucune peine à tisser un réseau amical et à réactiver des liens anciens interrompus par les circonstances et le temps.

Pour beaucoup d’entre nous ce sera aussi l’occasion de le mieux connaître, voire de découvrir l’homme Maurice Guéniot.

Sous la belle allure de cet homme élégant, brillant et dynamique, au caractère de pionnier que n’altère pas les années, aux fonctions de responsabilités multiples, souvent prestigieuses et parfois enviées, il faut savoir reconnaître un homme chaleureux, pudique, sensible et discret, même dans ses manifestations d’autorité. Sa grande rigueur de pensée lui fait refuser toute compromission. Il sait être gai, bien qu’il ne faille pas attendre de lui qu’il soit comique. En toutes circonstances il reste fidèle à ses amitiés. J’ai évoqué le GMS des années quarante. J’ai rappelé l’amitié fraternelle, fusionnelle qu’il avait pour Pierre Deniker qui avait été « son chef » en ces circonstances tragiques !

Sa culture était immense, elle surprenait. Il n’en faisait jamais étalage. Servi par une mémoire exceptionnelle, il n’avait jamais abandonné, sa vie durant, son intérêt — je dirais plutôt sa passion — pour l’histoire, l’anthropologie, qui l’avaient tant attiré, à vingt ans. N’avait-il pas fréquenté avec assiduité 22 l’Institut Français d’anthropologie ? Il en avait gardé une curiosité des hommes et des cultures.

Sa vocation toujours inassouvie pour l’éthnologie, cette « anthropologie sociale et culturelle » telle que l’entendait Claude Levy-Strauss, lui fit parcourir le monde entier. Voyages et musées occupent tous ses loisirs. Il est grand connaisseur de Caravage, passionné de ses jeux de lumière et des peintres flamands du xviie siècle, dont il admire les soleils couchant mais aussi chez lesquels, en ethnologue, il lisait à livre ouvert la société de l’époque. Fait plus inhabituel, il est surtout devenu grand connaisseur des cultures extrême-orientales.

Par deux voyages dans les vallées himalayennes dont l’accès était alors interdit, il tenta d’y appréhender les arts et la culture Tibétaine.

À défaut de pouvoir y accéder, il y rencontrera celle qui allait devenir son épouse et partager ses goûts jusqu’au terme de sa vie !

N’avez-vous pas fait avec lui, Madame, neuf voyages au Japon, sept voyages en Chine, pour en percevoir les subtilités de la peinture asiatique et vous en pénétrer ?

L’étendue de sa culture dans le domaine de la peinture tant occidentale qu’asiatique l’avait amené à percevoir la différence essentielle de chacune d’elles, qu’il aimait à souligner.

— La peinture occidentale qu’il qualifiait de « peinture de mort », oiseaux morts et fleurs coupées.

22. Il y avait aussi communiqué : Les persistances linguistiques françaises dans le village de Friedrichs- dorf en haute Rhénanie (1949 ) , Les phénomènes récents d’immigration dans le Scheswig-Holstein (1949).

— La peinture asiatique : d’où jaillit la « force vitale » d’une « peinture de la vie ».

Son autorité en ce domaine fit qu’il fut invité à faire sur ce thème une conférence très remarquée dans le cadre prestigieux du Musée de Taïpe à Taîwan 23 dont à chacun de ses voyages il fréquentait et étudiait les inépuisables réserves.

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Le 6 décembre 1994, par une élection de maréchal ! Maurice Guéniot est élu Vice président de l’Académie natonale de médecine. Il sera donc notre Président durant l’année 1996.

Dans l’allocution — qu’il avait préparée à dessein, car il n’y avait que peu d’incertitude sur son élection — il laisse éclater son émotion, maîtrisée jusqu’alors.

Effacés les regrets qu’il avait eu de sa vocation initialement tiède, dont son père avait alors souffert, il en avait été conscient. Il faut nous souvenir aussi que Paul Guéniot, Professeur agrégé à la faculté, Accoucheur de l’Hôpital de la Charité, avait était candidat à l’Académie de médecine à la place devenue vacante en 1935, par le décès de notre confrère Champtier-de Ribes dans la section « accouchement ».

Le 16 janvier 2006 le nouveau Président de l’Académie nationale de médecine prend officiellement ses fonctions. Son émotion est plus grande encore.

« Je vais assurer la présidence pour l’année 1996, quatre-vingt dix ans exactement après mon grand-père Alexandre Guéniot qui fut président en 1906. » Il évoqua alors la carrière d’Alexandre Guéniot — chirurgien des hôpitaux de Paris, qui devint professeur agrégé d’obstétrique en 1869. Il avait été, à l’ère pastorienne, l’un des pionniers de la césarienne. Il nous rappela qu’élu membre de l’Académie nationale de médecine en 1883, il y battit un record de longévité, alors inégalé, puisqu’il fut assidu au sein de la Compagnie jusqu’à son décès en 1935, à l’âge de 103 ans.

On comprend mieux alors ce que dut représenter pour Maurice Guéniot le fait de porter à son tour l’habit dont il avait vu son grand père revêtu, lors de la séance donnée en son honneur à l’occasion de son centenaire, en 1932. Il se remémore ce jour où le garçon de quinze ans qu’il était, pénétra la première fois, ici même, dans l’hôtel de l’Académie, dont il est, à son tour, aujourd’hui, le Président !

Je ne suis pas certain que le jeune Maurice ait alors perçu l’humour des premiers mots de l’allocution du Ministre de l’Éducation nationale de l’époque, M. Le Mouzy, saluant l’éminent centenaire ! : « À défaut de conserver tous les malades la médecine conserve à titre publicitaire quelques médecins de choix ! » 23. Il y avait été particulièrement initié par le grand expert chinois le Pr. Tseng Yu au cours de plusieurs séjours à Taiwan où il avait eu accès aux fabuleuses réserves du Musée de Taïpe, et par sa fréquentation assidue des musées américains *

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La présidence de Maurice Guéniot fut courtoise, élégante, un peu bavarde cependant. Il sait tant de choses, en tous domaines !

Il ne peut s’empêcher d’apporter ses commentaires à toutes les communications, d’ailleurs judicieux, toujours documentés, faits de citations, d’anecdotes, de références précises.

Fait plus rare encore, il prend la parole le premier, dès la fin de la communication entendue, dérogeant en cela à la tradition académique qui veut que le président s’exprime, sil y a lieu, en dernier. Rien d’anormal à ce que la séance se prolonge souvent jusqu’à 18 heures, et pourtant moins clairsemée qu’elle est aujourd’hui dès 16 heures 30 !

Il innove, en organisant une séance commune avec l’Académie de chirurgie. Cette première s’imposait dans l’esprit de Maurice Guéniot, comme un devoir de mémoire. Son père et son grand père n’avaient-ils pas été chirurgiens avant d’être accoucheurs ? (j’emploie les termes de l’époque) son grand père avait présidé la Société de chirurgie en 1883 24.

Et plus encore peut-être par le fait que l’Académie de chirurgie était cette année là présidée par Jean Natali, celui qui l’avait accueilli avec P. Denicker et Didier-Jacques Duché parmi les jeunes externes du « GMS en 1942 ». 25.

Le Président Guéniot innove encore quand rappelant la mission de veille qui doit être celle de notre Compagnie, il invite Madame Brugère-Picoud — qui ne nous avait pas encore rejoints — à éclairer l’Académie sur les risques de la maladie de Creutzfeldt-Jacob . La « vache folle », sévit depuis peu en Grande-Bretagne et semble menacer l’Europe entière.

Sans plus attendre, dès les congés de l’Académie il se rend en Namibie pour voir et étudier chez les Buchemen, les descendants des Papous anthropophages.

Mais aussi, durant sa présidence, Maurice Guéniot dont l’énergie et la combativité, était demeurées intactes en ce qui concerne l’assurance maladie, ne manque pas de prendre et formuler au nom de l’Académie nationale de Médecine, des positions justifiées et courageuses fustigeant le remboursements abusifs (produits amaigrissants, homéopathie, médecines douces). Je le cite : « Les assurés pourraient continuer ainsi, mais en payant seuls les honoraires comme ils le font avec les cartomanciennes ! ».

De quoi réveiller la presse. Ce qui advint en effet.

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24. Elle ne redeviendra académie qu’en 1933.

Les années passèrent. Demeuré assidu en dépit d’une santé qui décline Maurice Guéniot garde cette mémoire qui ne lui fit jamais défaut. Il continue à lire et travailler, inlassablement.

Il bénéficie, il est vrai, de votre attention, Madame, et de votre aide permanente, grâce à laquelle il assiste assidûment à chacune de nos séances.

Il fut ici, dans sa famille, jusqu’au terme de sa vie Il s’est éteint le 15 décembre 2008 au matin.

Il était Officier de la Légion d’honneur.

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Au cours de ses obsèques, dans l’intimité, en la petite église moderne de la rue Michel Ange, un émouvant hommage lui fut rendu par notre confrère Gérard Milhaud, le Président de la 3e section, Médecine sociale et membre libre de la 4e Division qui poursuit son œuvre et son engagement.

Je ne peux mieux faire que reprendre ici les mots de sa conclusion que je fais miens :

« Dans les moments de doute, Cher Maurice Guéniot, nous chercherons inspiration et réconfort dans la rigueur de ta pensée et le refus de toute compromission qui a marqué toute ta vie. » *

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Madame, chère Marie-Reine, que ce modeste éloge de votre mari, vous apporte l’assurance que nous ressentons profondément son absence et nous associons à votre tristesse.

Soyez assurée qu’au-delà du fait que le nom de Guéniot est désormais gravé deux fois dans le marbre de la salle des bustes, sa mémoire restera vive au sein de notre

Compagnie.

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : dpeller@noos.fr</p>