Éloge
Séance du 13 mars 2012

Éloge de Louis-François Hollender (1922-2011)

Christian Meyer *

Summary

Éloge de Louis-François Hollender (1922-2011)

Christian MEYER *

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et Messieurs, Chers Collègues Louis-François Hollender est né le 15 février 1922 à Strasbourg au sein d’une vieille famille alsacienne. Son père pharmacien et chimiste lui a inculqué très tôt les valeurs du travail et de la discipline avec une sévérité que tempérait une mère affectueuse et indulgente. Le jeune Louis fait ses études secondaires au Collège épiscopal SaintÉtienne de Strasbourg sous l’autorité et l’exigence d’excellence des frères marianistes. De cette « éducation » il aura gardé le sens aigu de la rigueur et de la solidité morale. Après une « rhétorique » classique consacrée au latin et au grec, il passe en juillet 1939 son baccalauréat en philosophie.

Deux mois plus tard c’est la guerre et Strasbourg est évacuée. Dans ce contexte, Louis-François Hollender s’inscrit en octobre 1939 à la Faculté des Sciences de Nancy et réussit son examen qui lui permet d’accéder aux études de médecine. Un an après il entre à la Faculté de Médecine de Fribourg en Brisgau où il fera ses deux premières années et c’est en juin 1942 qu’il rejoint, au péril de sa vie, la zone libre.

À Clermont-Ferrand, Louis-F. Hollender intègre la Faculté de Médecine de Strasbourg qui s’y trouvait repliée et s’inscrit en troisième année. Refusant d’être envoyé de force en Allemagne pour le service de travail obligatoire, il décide d’y échapper et pour ce faire passe le concours d’entrée de l’École du Service de Santé des Armées de Lyon qu’il réussit en avril 1943. Dix-huit mois plus tard, en août 1944, il participe comme jeune médecin aspirant aux combats pour la libération de Paris.

Démobilisé et de retour en Alsace fin 1945, Louis-F. Hollender décoré de la Médaille des Evadés et Réfractaires, réussit en 1946 le concours de l’Internat des Hôpitaux de Strasbourg et obtient, en1947, un poste d’interne à la clinique chirurgicale B, à l’époque un grand service de trois-cents lits dirigé par le Professeur Alfred Weiss pour lequel il conservera sa vie durant estime et affection.

Nommé Chef de Clinique en 1952 il bénéficie d’une bourse d’études qui lui permet de séjourner comme « Visiting surgeon » pendant un an aux États-Unis.

Cette année passée outre-Atlantique va beaucoup le marquer car elle lui permet de découvrir la chirurgie moderne de l’après-guerre aux côtés de chirurgiens célèbres tels que Eugène Bricker à Saint-Louis, chez qui, il voit les premières vessies intestinales, Alexander Brunswig à New-York qui lui enseigne les exentérations pelviennes, Richard Sweet et Kenneth Warren à Boston qui l’initient respectivement à la chirurgie oesophagienne et pancréatique, Lester Dragstedt à Chicago, promoteur de la vagotomie dans le traitement de l’ulcère gastro-duodénal et Warren Cole qui excellait dans la réparation des voies biliaires.

Ébloui par cette expérience qu’il considéra comme inégalée, l’homme gardera de cette année féconde une profonde fascination pour les États-Unis, l’organisation de la chirurgie et la stimulation constante insufflée par l’esprit libéral et concurrentiel qui règnait dans ce pays. Nonobstant les propositions qui lui étaient faites au plan professionnel de rester en Amérique du Nord, Louis-F. Hollender a préféré rejoindre l’Alsace, région à laquelle il était profondément attaché, pour ensuite passer successivement en 1956 et 1959 les concours d’Assistanat et de Chirurgicat des Hôpitaux de Strasbourg.

Reçu au concours d’Agrégation de Chirurgie Générale en 1955, à l’âge de 33 ans, il est nommé Professeur sans chaire en 1970 et promu Professeur titulaire en 1971, fonction qu’il occupera durant près de vingt ans jusqu’en 1990 avant d’accéder à l’Éméritat.

Attaché au progrès, curieux de toute innovation, il n’a de cesse de se former et de voir ce qui se fait ailleurs. C’est ainsi qu’il fait de courts séjours à Lyon chez Paul Santy et Pierre Mallet-Guy, grands spécialistes pour l’un de la chirurgie oesophagienne et pour l’autre de la chirurgie pancréatique, avant de fréquenter plus tard à Paris les services de Jean Quénu puis de Lucien Léger à l’Hôpital Cochin, de Jean-Louis Lortat-Jacob à l’Hôpital Beaujon, de Jacques Hepp à Bichat et de Marcel Roux à

Vaugirard. Il ira également à l’étranger, notamment à Bonn chez le Professeur Gutgemann réputé pour exceller dans les anastomoses porto-cave, chez Boerema à Amsterdam qui avait mis au point une technique originale d’anastomose oesophagienne mécanique par un « bouton » qui portera son nom et au Saint-Marks Hospital de Londres, haut lieu de la chirurgie colorectale.

Dans son service, qu’il dirigea avec maestria de 1971 à I988, il était considéré comme un chef d’école charismatique, intransigeant mais juste, effectuant une technique opératoire rigoureuse et précise, soucieux d’une surveillance attentive de ses opérés et d’un engagement sans faille à leur égard. Très proche de ses patients et de leurs familles, éminemment respectueux d’une approche humaniste de la chirurgie, il était très aimé de ses malades.

Fort de sa notoriété nationale et internationale, notamment servi par une aisance d’expression tant en anglais qu’en allemand, Louis-F. Hollender a parcouru le monde pour faire connaître la chirurgie française. En retour, il a reçu dans son service et contribué à former de nombreux jeunes chirurgiens étrangers originaires de divers pays d’Europe et surtout d’Amérique du Sud qui ont toujours gardé en souvenir la bienveillance de son accueil. Certains d’entre eux ont par la suite accédé à de hautes fonctions académiques dans leur pays et ont conservé des liens étroits avec la France.

Infatigable à la tâche et doué d’un grand sens de l’organisation, très urbain dans ses rapports avec ses collègues et ouvert sur autrui et sur le monde, Louis-F. Hollender a organisé et présidé avec succès, à plusieurs reprises à Strasbourg, des congrès chirurgicaux internationaux. C’est ainsi que se sont tenus en 1973 le Congrès mondial du Collegium International de Chirurgiae Digestivae puis le 1er Congrès français sur la vagotomie et en 1982 le Congrès de la Société Internationale de Chirurgie Colorectale.

Impliqué dans la défense et le devenir de la profession, il a présidé pendant huit ans le Collège National des Chirurgiens Français et de ce fait participé à plusieurs commissions ministérielles dont une, remarquée, sur la chirurgie ambulatoire.

L’œuvre scientifique du Professeur Louis-François Hollender est remarquable à tous égards. Elle porte sur plus d’un millier de publications, communications et conférences prononcées à travers le monde dans lesquelles tous les domaines de la pathologie chirurgicale et surtout de l’appareil digestif sont abordés. Il a également rédigé une dizaine d’ouvrages concernant la chirurgie gastro-entérologique, les pancréatites aiguës et chroniques, les stomies intestinales, les vagotomies et la chirurgie du grand épiploon, ouvrages parus aussi bien en langue française qu’en allemand et en anglais. Il a par ailleurs collaboré à de nombreuses revues chirurgicales françaises et étrangères parmi lesquelles les réputés World Journal of Surgery et Digestive Surgery, dont il fut un des membres fondateurs.

Intéressé par l’histoire de la chirurgie il a publié en 2000 avec sa fille, le Docteur Emmanuelle During-Hollender, un livre très documenté intitulé « Chirurgiens et Chirurgie à Strasbourg » et en 2008 avec son ami, Jean Roethinger « Les Chirurgiens d’Alsace à l’Académie de Médecine ».

Membre de l’Académie nationale de chirurgie depuis 1976 où il a présenté de nombreuses communications il en a été le Président en 1981. Elu membre correspondant de l’Académie nationale de médecine en 1981, puis membre titulaire en 1993, il en fut le Président en 2003, devenant ainsi le premier chirurgien strasbourgeois à occuper ce fauteuil prestigieux. Son discours prononcé à cette occasion a notamment souligné de façon brillante la grandeur et les servitudes du métier de chirurgien.

Fortement impliqué dans la vie de l’Académie nationale de médecine et doté d’un extraordinaire dynamisme il a organisé au sein de notre illustre Institution plusieurs sessions à thèmes et rédigé des rapports traitant en particulier de « L’accompagnement de fin de vie » et réalisé deux vastes enquêtes remises à l’autorité ministérielle qui concernaient « La désaffection pour les carrières hospitalo-universitaires », et « L’avenir des chefs de service des hôpitaux généraux ».

En marge de sa carrière hospitalo-universitaire, Louis-F. Hollender fut aussi Conseiller municipal de Strasbourg de 1983 à 1989, Président du Comité de Strasbourg de la Croix Rouge Française, Président de la section du Bas-Rhin de la Société d’Entraide de la Légion d’honneur, Président fondateur de l’Association Alsace — Etats-Unis et Vice Président de la Société des Amis de l’Université de Strasbourg.

Ces multiples activités, reflet à la fois de son engagement hospitalo-universitaire et de citoyen, lui ont valu de nombreuses récompenses et distinctions dont les titres de Docteurs Honoris causa des universités d’Athènes, de Cordoba et de Rome, le Prix National Ferdinando Palasciano décerné par la République Italienne, le Prix Gimbernat par la Société Royale de Chirurgie de Catalogne, la médaille d’Honneur de l’ Université de Lima et la médaille Aschoff de l’Université de Fribourg en Brisgau.

Louis Hollender était Commandeur de l’Ordre national de la Légion d’honneur et de celui des Palmes Académiques.

Sa personnalité dont il convient de souligner la distinction naturelle, l’élégance du propos et la grande courtoisie, pouvait pour certains paraître de prime abord comme distante, voire froide. En réalité, l’homme animé d’une intelligence pleine de finesse et non dénuée d’humour, était chaleureux avec ses proches et ses élèves, prévenant et attentif à l’égard des autres et fidèle en amitié.

Doté d’une excellente formation classique, féru d’histoire et fortement enraciné dans sa culture alsacienne et rhénane, il avait notamment animé pendant de nombreuses années les réunions annuelles de la « Regio », structure ancestrale qui fédérait jadis les universités du Rhin dit « Inférieur » à savoir celles de Bâle, Fribourg en Brisgau et Strasbourg. Il excellait avec bonheur aussi bien dans l’expression écrite que dans l’art de discourir et possédait un indéniable talent oratoire. Il est resté actif jusque quelques mois avant sa disparition et n’aurait manqué sous aucun prétexte les réunions des commissions et les séances pleinières hebdomadaires de sa chère Académie à laquelle il était très attaché.

Après une courte maladie qu’il surmonta avec force et dignité, le « Patron » nous a quittés paisiblement et pour toujours, entouré des siens, le 13 mai 2011.

Louis-François Hollender était un homme de bien et un chirurgien dans la plénitude de son être ; sans nul doute la chirurgie française a perdu une de ses figures emblématiques. Son souvenir restera à jamais dans nos mémoires et dans nos cœurs.

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Chirurgie générale et digestive, CHU Hautepierre — 67098 Strasbourg ; e-mail : christian.meyer@chru-strasbourg.fr Tirés à part : Professeur Christian Meyer, même adresse</p>