Communiqué
Séance du 20 mars 2012

Détection et prévention des conduites suicidaires chez l’adolescent

Detection and prevention of suicidal behaviour in adolescence

Xavier Pommereau * et Jacques BATTIN **, Jacques Battin **

 

COMMUNIQUÉ

Détection et prévention des conduites suicidaires chez l’adolescent

Detection and prevention of suicidal behaviour in adolescence

Les auteurs déclarent qu’ils n’ont aucun conflit d’intérêt avec le contenu de cette information

Xavier POMMEREAU * et Jacques BATTIN **

Chaque année, on déplore une quarantaine de décès par suicide chez les moins de quinze ans, et environ six cents chez les quinze-vingt-quatre ans, avec une surmortalité masculine dans la proportion de trois pour un — comme dans les autres tranches d’âge [1-4]. L’Inserm-CépiDc admet une sousestimation de ces chiffres d’environ 20 à 25 % en raison de biais statistiques.

Au moins quarante mille adolescents tentent de se donner la mort chaque année, constat qui conduit, à évaluer les éléments de dépistage pour éviter les risques de récidive.

Ces dernières années, les urgentistes hospitaliers signalent une forte augmentation des admissions concernant des adolescents de plus en plus jeunes (moins de seize ans) pour intoxication médicamenteuse volontaire, ivresse aiguë massive (alcoolémie ≥ 2gr/l) et automutilation.

L’enquête nationale ESCAPAD initiée à la demande de l’Académie à l’occasion de la Journée d’appel de préparation à la défense [5, 6] indique, dans sa septième version menée en mars 2011 auprès de plus de trente mille jeunes gens âgés de dix-sept ans, que l’usage régulier d’alcool est orienté à la hausse (10,5 %), avec une augmentation notable des ivresses répétées et régulières [7]. L’enquête européenne « European school survey project on alcohol and other drugs (ESPAD) » qui concerne les élèves de seize ans [8] va dans le même sens : usage régulier d’alcool (13 %), ivresses répétées (3, 5 %), consommation régulière de cannabis (3, 4 %). À la lumière de tels chiffres, on peut penser que l’abus de substances psychoactives (médicaments psychotropes compris) est sans doute responsable d’une partie des accidents de la vie courante et de la circulation survenant chez les moins de vingt-cinq ans, notamment par noyades et chutes, sachant que dans un cas sur cinq les circonstances restent non précisées [9].

Lorsque les conduites à risque sont répétées, elles doivent faire prendre en compte la volonté d’autodestruction. Ces conduites figurent très souvent parmi les antécédents des jeunes qui se suicident ou tentent de le faire [10, 11]. Cinq critères de gravité sont à prendre en compte : l’âge de survenue des premiers troubles de conduite (avant quinze ans), le cumul de différentes formes (ex. :

ivresses répétées + scarifications + fugue), leur gravité, leur répétition, l’inversion des conduites habituellement observées dans chaque sexe (ex. : automutilations chez les garçons, ivresses et violences antisociales chez les filles).

Les circonstances alléguées rendent insuffisamment compte des causes profondes de ces comportements. Il s’agit souvent de souffrances identitaires :

maladie mentale débutante (troubles de la personnalité ou de l’humeur), histoire de l’adolescent (violences sexuelles subies), ou de sa famille (ruptures et instabilités).

La Haute autorité de santé (HAS) a repris les recommandations professionnelles publiées par l’ANAES en 1998 [12], considérant comme indispensable la triple évaluation somatique, psychologique et sociale des jeunes admis pour- tentative de suicide en service hospitalier d’urgence ou de réanimation. Ces recommandations sont aujourd’hui appliquées dans la plupart des hôpitaux français. Elles ne concernent pas cependant tous les jeunes ayant mis leur vie en danger à l’occasion de ces conduites non revendiquées comme suicidaires.

En conclusion, les auteurs préconisent de :

— de diffuser auprès des médecins de ville, des infirmières scolaires et des professionnels en charge d’adolescents une grille d’évaluation simple du risque, à partir d’une liste des conduites ayant valeur d’alerte.

— de veiller à la mise en œuvre d’un bilan approfondi médico-psycho-social en milieu hospitalier de quelques jours pour tout adolescent ayant fait une tentative de suicide, ou pour tout adolescent considéré à risque « suicidaire » en raison de ses troubles, bilan associant l’accueil des familles et dépassant la simple évaluation aux services d’urgences.

— de mettre en place dans les panneaux d’affichage des villes et communes et faire connaître le numéro vert d’appel : « ado en difficulté ».

 

BIBLIOGRAPHIE [1] POMMEREAU X —

Les conduites suicidaires à l’adolescence , Communication à l’Académie de médecine, 14 février 2012, Paris.

[2] CÉPIDC — Causes médicales de décès en France, année 2009, résultats provisoires, Le Vésinet, Inserm, 2011.

[3] MOUQUET M.-C., Bellamy V., Carasco V. — Suicide et tentatives de suicide en France, Études et Résultats , DREES, no 488, 2006.

[4] AOUBA A., PEQUIGNOT F., CAMELIN L., LAURENT F., JOUGLA E. — La mortalité par suicide en France en 2006, Études et Résultats, DREES, no 702, 2009.

[5] HENRION R. — Sur les journées d’appel de préparation à la défense.

Bull. Acad. Natle Med.

2000, 184 , 491-493.

[6] HENRION R., COSTES JM., BECK F., LEGLEYE S., PERRETI-WATEL P. — Sur les journées d’appel de préparation à la défense. Premiers résultats d’une enquête sur la santé et le comportement des jeunes. Bull. Acad. Natle Med. , 2001, 185 , 445-450.

[7] SPILKA S., LE NEZET O., TOVAR M.L. — Estimations 2011 des consommations de produits psychoactifs à 17 ans, Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD), mars 2011, OFDT, 2011.

[8] LEGLEYE S., SPILKA S., LE NEZET O., HASSLER C., CHOQUET M. — Alcool, tabac et cannabis à 16 ans. Évolutions, usages récents, accessibilité et modes de vie. Premiers résultats du volet français de l’enquête ESPAD 2007. OFDT-INSERM, Tendances , no 64, 2009.

[9] BARRY Y., LASBEUR L., THELOT B. — Mortalité par accidents de la vie courante en France métropolitaine, 2000-2008, Institut de veille sanitaire, Bull. Epidémiol. Hebd. , no 29- 30, 2011.

[10] POMMEREAU X. — L’adolescent suicidaire, 3e édition, Paris, Dunod, 2001.

[11] CHOQUET M., POMMEREAU X., LAGADIC C. — Les élèves à l’infirmerie scolaire : identification et orientation des jeunes à haut risque, Paris, Éditions Inserm, 2001.

[12] ANAES ( Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé ) — Prise en charge hospitalière des adolescents après une tentative de suicide.

Recommandations professionnelles de bonnes pratiques . Paris, 1998.

 

<p>* Psychiatre des hôpitaux, chef du Pôle aquitain de l’adolescent, Centre Abadie, CHU de Bordeaux, 89, rue des Sablières — 33077 Bordeaux cedex ; e-mail : xpommereau@gmail.com ** Membre de l’Académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Xavier Pommereau, même adresse</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 3, 751-753, séance du 20 mars 2012