Autre
Séance du 6 novembre 2007

De l’autodiagnostic à l’automédication : risques et impact sur la relation pharmacien-patient

MOTS-CLÉS : auto-médication. pharmacien.. relations professionnelles de santé/patient
From self-diagnosis to self-medication : inherent dangers, and impact on pharmacist-patient relationship
KEY-WORDS : pharmacists.. professional/patient relationship. self-medication

Jean Parrot

Résumé

Bien qu’encore relativement limitée en France, la pratique de l’automédication est en développement, notamment du fait du désengagement des systèmes de prise en charge dans la couverture du « petit risque ». Mais qu’entend-on au juste par automédication ? Quelles sont les différentes situations d’automédication que l’on peut rencontrer, et quel est le rôle du pharmacien dans chacune de ces situations ? Quels sont enfin les risques de l’automédication ?

Summary

Self-medication is not yet very widespread in France, but it is growing, largely because health insurers are no longer covering treatments for minor ailments. The author examines the different situations in which the French self-medicate, and the role pharmacists can play.

CONTEXTE

Si l’automédication reste un phénomène relativement limité en France (chaque Français ne dépense en moyenne que vingt-huit euros par an pour s’automédiquer, contre soixante euros pour un Allemand), on constate une volonté croissante des citoyens d’être des acteurs de leur santé et de leur traitement. D’aucuns présentent ainsi le développement de l’automédication comme une réponse à un besoin accru d’autonomie des patients. Cette tendance est indéniable.

Un autre facteur de développement de l’automédication mérite d’être rappelé : les mesures de maîtrise des dépenses de santé liées aux difficultés de financement du système de santé. Ainsi, le développement des médicaments de conseil pharmaceutique est aussi une réponse au désengagement des systèmes de prise en charge dans la couverture du « petit risque ». La recherche d’autonomie des patients ne doit d’ailleurs pas occulter les risques associés à l’automédication.

 

AUTOMÉDICATION : DÉFINITIONS

Avant de traiter des risques et de l’impact de l’automédication sur la relation pharmacien/patient, il convient tout d’abord de définir ce que l’on entend par automédication. Il ne s’agit pas d’une question de vocabulaire, tant le sens donné à ce terme varie selon les pays et les acteurs concernés.

L’OMS définit l’automédication de la façon suivante : « Elle consiste pour une personne à choisir et à utiliser un médicament pour une affection ou un symptôme qu’elle a elle-même identifié » (OMS-DAP 98-13).

Cette définition se traduit par un autodiagnostic, qui mène à une autoprescription puis à une autonomie d’achat ou le recours à l’armoire à pharmacie.

La définition de l’OMS peut être utilement complétée par celle de la DRESS (Direction de la Recherche des Études et de l’Évaluation des Statistiques) de 2001, qui décrit bien les différentes facettes de l’automédication : l’automédication, traduction du terme anglo-saxon « self medication », est un terme générique qui peut décrire des réalités très différentes. En effet, le comportement d’un individu face à un problème de santé relève de l’automédication dès lors que ce dernier décide de ne pas avoir recours à un professionnel de santé dans le choix et le suivi d’un traitement. Le traitement relève alors de la seule responsabilité individuelle. En pratique, tout médicament est susceptible d’être utilisé sans avis médical, par exemple avec le recours à l’armoire à pharmacie, que ce produit soit à prescription obligatoire ou non. De même, tous les médicaments peuvent être prescrits par un médecin, indépendamment de ses conditions réglementaires de délivrance [1].

Quelle est la situation en France ?

En France, aujourd’hui, le médicament en libre service ou en gondole n’existe pas, puisque toute demande de médicament passe nécessairement par un pharmacien (CSP art. R. 4235-55). Des services d’aide à l’automédication en ligne sont en cours de développement par certaines mutuelles (service développé par Santeclair par exemple). Ces services représentent un développement positif en termes d’information des patients. Toutefois, il convient de veiller à ce qu’ils ne remplacent en aucun cas le conseil personnalisé du pharmacien, et à ce qu’ils ne portent pas atteinte à l’homogénéité du réseau pharmaceutique en ne renseignant que certaines officines.

Par ailleurs, la Ministre de la santé s’est récemment prononcée en faveur d’une mise en accès libre, au sein des officines, des médicaments non soumis à prescription obligatoire.

L’Ordre partage l’objectif de mieux informer les patients-consommateurs sur ces médicaments, y compris sur les prix. En revanche, il ne peut accepter aucun système qui banaliserait le médicament et qui, en pratique, rendrait très difficile, voire impossible, le rôle de sécurité et de conseil du pharmacien. Nous devons donc trouver et expérimenter des solutions qui ne présenteront pas ce risque. En outre, elles devront s’accompagner de plusieurs mesures importantes.

Il convient en premier lieu de mettre fin au maquis des marques ombrelles qui associent, sous le même nom, des médicaments et des non-médicaments, de supprimer les médicaments qui ont perdu leurs principes actifs tout en gardant leur nom d’origine. À ce titre, une révision des autorisations de mise sur le marché s’impose à notre sens.

Par ailleurs, les patients vont avoir besoin d’une information plus lisible sur le bon usage du médicament. Les notices devront ainsi être révisées avec les associations de patients afin de mieux répondre aux attentes de ces derniers.

En définitive, il faut absolument éviter une mise en œuvre de changements dans la précipitation. L’Ordre milite pour que la démarche soit réfléchie, et que les gardefous nécessaires à la sécurité des patients soient organisés au préalable. Il n’y a pas d’urgence, il n’y a pas actuellement de déficit de prise en charge des besoins de santé pour les patients-consommateurs, il n’y a que certains intérêts financiers impatients.

L’Ordre n’entend pas, pour les satisfaire, brader la qualité et la sécurité de la dispensation.

Les termes d’OTC ou d’automédication ne sont pas utilisés dans les textes réglementaires français, lesquels font uniquement référence à deux catégories de médicaments conformément aux recommandations de l’OMS : les médicaments de prescription médicale obligatoire (PMO), et les médicament de prescription médicale facultative (PMF).

L’automédication est donc un comportement du patient, qui est indépendant du statut du médicament (soumis à prescription obligatoire ou non). L’automédication peut ainsi avoir lieu en utilisant tous les médicaments dispensés en officine, qu’ils soient soumis à prescription ou non, ou achetés par Internet. Dans tous les cas, il s’agit d’un choix du patient de ne pas avoir recours à l’expertise d’un professionnel de santé (prescripteur ou pharmacien).

 

SITUATIONS D’AUTOPRESCRIPTION/ AUTOMÉDICATION

Trois situations d’automédication peuvent être distinguées : le traitement des affections courantes, l’autogestion d’une pathologie chronique, l’achat de médicaments par Internet par effet de publicité.

Le traitement des affections courantes

L’accès aux médicaments couramment (mais improprement, comme nous l’avons vu) dénommés d’ automédication est sécurisé en France par le pharmacien : il s’agit de la médication officinale .

Dans ce cas, l’intervention préalable du pharmacien consiste à cerner la demande du patient, à s’assurer de l’adéquation du traitement à la pathologie ou au trouble mineur évoqué, à orienter le patient dans la conduite du traitement, prévenir le mésusage, signaler des limites à ne pas dépasser, donner des critères devant amener le patient à consulter son médecin, inviter le patient à reconsulter son médecin en cas de difficulté ou de survenue d’un événement nouveau, etc.

Autogestion d’une pathologie chronique

Dans le cas de l’autogestion d’une pathologie chronique, le rôle du pharmacien consiste à parfaire l’éducation thérapeutique du patient et à l’aider dans l’autogestion de sa maladie. Ce soutien consiste à la fois à expliquer comment utiliser les outils de suivi (exemples : utilisation des débitmètre expiratoire de pointe (DEP) pour l’asthme, des autotests pour la glycémie, des stylos injecteurs, etc.), à expliquer comment exploiter les résultats, et à vérifier comment le patient ajuste ses doses au regard des recommandations du médecin. Le pharmacien doit également orienter les patients vers une consultation médicale, en cas de signes d’aggravation de la maladie, ou en cas de négligence du patient au regard du suivi médical recommandé.

Il peut renouveler les traitements chroniques le cas échéant. Dans certains pays, le système de soins a confié au pharmacien un rôle de prescripteur partenaire du médecin, en Grande-Bretagne par exemple.

Médicaments « de société » vendus par Internet

Il s’agit de médicaments à forte demande sociale, recherchés sans lien nécessaire avec le traitement d’une pathologie (exemple : le Viagra). Le rôle du pharmacien consiste notamment à alerter les patients sur les risques liés à la fois à l’acquisition directe de médicaments sur Internet (expliciter en particulier les dangers de l’utilisation de médicaments soumis à prescription hors de tout suivi médical), et au risque lié à la contrefaçon présent dans environ 50 % des offres proposées sur Internet.

 

RISQUES DE L’AUTOMÉDICATION

L’automédication n’est pas sans présenter un certain nombre de risques. De nombreux exemples peuvent ainsi être donnés :

Au Royaume Uni, le paracétamol est la première cause d’intoxication par médicament, devant l’ibuprofène et l’aspirine [2]. De même aux États-Unis, on dénombre actuellement « cent décès et treize mille visites aux urgences chaque année aux États-unis pour des personnes victimes d’un surdosage de paracétamol non intentionnel » [3]. Aux Pays Bas : les surdoses de dextrométhorphane par surconsommation de produits contre la toux chez les jeunes sont une préoccupation importante [4].

Si l’on essaye de dresser une typologie des risques liés à l’automédication, il apparaît que ceux-ci sont de plusieurs ordres :

Le premier risque, et le plus évident, est celui d’un mésusage du produit. En mars 2005, une étude irlandaise a ainsi montré qu’un patient sur deux ne lit pas les notices quand il s’automédique. C’est un facteur de risque qui, en l’absence de conseil du pharmacien, peut aboutir à un mésusage. Le mésusage peut avoir un impact durable sur l’efficacité du traitement. Ainsi, une prise d’antibiotique à des doses insuffisantes développe l’antibiorésistance du patient, une consommation répétée d’antihistaminiques, d’antalgiques, ou de laxatifs, rend le patient dépendant.

Le second risque identifiable est le retard de diagnostic : le patient traite un symptôme sans traiter sa cause. Le diagnostic n’en sera que plus complexe à établir.

En troisième lieu, il convient d’évoquer les risques liés à des circuits non autorisés.

Ceux-ci sont d’autant plus dangereux qu’il est souvent difficile pour un patient de distinguer le circuit officiel d’un circuit illégal et non sécurisé. Or, selon l’OMS, 50 % des médicaments qui circulent sur Internet sont contrefaits (données de novembre 2006). Par ailleurs, nous savons qu’Internet est un vecteur de commercialisation de produits non autorisés car présentant un rapport bénéfice/risque défavorable.

Je ne développerai pas les risques iatrogènes de l’automédication, qui font l’objet de l’intervention de Jean-Paul Tillement. Permettez-moi simplement de rappeler l’exemple récent de cette patiente anglaise de soixante-quatre ans qui, s’étant auto diagnostiquée une encéphalomyélite myalgique, consomma durant quatre ans, 10 à 40mg de prednisolone par jour achetés sur Internet, et développa un glaucome et une cataracte [5].

Les risques de l’automédication sont donc multiples. Y a-t-il une solution ?

 

UNE SOLUTION FACE À CES RISQUES : LE DOSSIER PHARMACEUTIQUE, UN LIEU DE COHÉRENCE DE L’ENSEMBLE DES TRAITEMENTS

Pour mémoire, le Dossier Pharmaceutique est un dossier patient électronique, qui sera commun à toutes les officines, et regroupera l’ensemble des médicaments dispensés au patient (sur ordonnance ou non) en n’importe quel point du territoire, au cours des quatre derniers mois.

Relativement à l’automédication, ce nouvel outil présente un intérêt majeur : il permettra de détecter les interactions médicamenteuses et les redondances, notamment entre médicaments prescrits et non prescrits.

CONCLUSION

Le pharmacien doit être un partenaire naturel du patient qui s’automédique dans le cadre d’un traitement courant. Pour les patients qui gèrent de façon autonome une pathologie chronique, le rôle d’éducation thérapeutique et d’accompagnement du patient du pharmacien est également primordial. À ce tître, la formation des pharmaciens à l’éducation thérapeutique doit être renforcée, et l’acte d’éducation doit être reconnu. Dans le cas de ces pathologies chroniques, le pharmacien doit également devenir un partenaire plus actif du médecin.

En définitive, le pharmacien se doit d’assurer la cohérence de l’ensemble des traitements utilisés par le patient.

BIBLIOGRAPHIE [1] Définition de la Collection des Études D.R.E.S.S. (Direction de la Recherche des Études et de l’Évaluation des Statistiques) — Ministère de l’Emploi et de la solidarité, 2001.

[2] National Poisons Information Service UK , annual report 2005-2006.

[3]

Non Prescription Drugs Advisory Committee — FDA, Présentation de Parivash Nourjah, 19 septembre 2002.

[4] KNMP Mars 2006.

[5]

Lancet, 2007, 368 , p618.

 

DISCUSSION

M. Pierre DELAVEAU

La référence à la définition du médicament au code de la santé publique (L 511) doit être sans cesse réinsérée dans le cadre de toute discussion relative aux médicaments et aux produits qui sont lancés pour les concurrencer. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens continue-t-il à se fonder sur cette définition de grande sagesse ?

Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens continue effectivement à se fonder sur cette définition. Nous luttons malheureusement sans cesse contre des fabricants divers qui mettent sur le marché des produits parfois présentés comme des médicaments, avec des allégations plus ou moins trompeuses, des périphrases telles que ‘‘ perte de poids ’’, pour éviter d’utiliser le terme amaigrissement. À ce jour, le CNOP a engagé plus d’une centaine de procès pour exercice illégal de la pharmacie. Par ailleurs, certains laboratoires ont aujourd’hui développé, à côté des médicaments, une gamme de produits prétendument destinés au confort des patients qui, sous l’appellation revendiquée de diététique, contournent la législation pharmaceutique. ’’

* Président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Tirés-à-part : Docteur Jean PARROT, 4, rue Ruysdaël 75739 Paris Cedex 08 Article reçu et accepté le 15 octobre 2007.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1509-1515, séance du 6 novembre 2007