Communication scientifique
Séance du 3 février 2004

De la maladie de Morvan aux canalopathies potassiques

MOTS-CLÉS : crampe musculaire. fasciculation.. maladie de morvan. neuromyotonie
From Morvan’s disease to potassium channelopathies
KEY-WORDS : fasciculation.. morvan disease. muscle cramp. neuromyotonia

Georges Serratrice *, Jean-Philippe Azulay, Jacques Serratrice, Sharam Attarian

Résumé

La maladie décrite par Morvan en 1890 n’a pas perdu son actualité, encore que le terme — criticable — de neuromyotonie lui soit de plus en plus souvent substitué. La sémiologie comporte plusieurs degrés : fasciculations bénignes douloureuses, sémiologie pseudomyotonique avec doublets et multiplets sur l’électromyogramme, formes rigides, formes avec manifestations centrales correspondant au cas princeps de Morvan, associant à l’activité neuromusculaire continue, agitation, délire, confusion, hallucinations, insomnie, hyperidrose, troubles du rythme cardiaque. Le point de départ de l’activité spontanée siège sur les ramifications distales intramusculaires du nerf moteur. Divers arguments ont progressivement amené à établir une pathogénie autoimmune, donc susceptible d’être traitée. Plus récemment le mécanisme moléculaire a été déterminé, en relation avec un blocage des canaux potassium voltage dépendant par les anticorps sériques à l’origine de l’hyperactivité continue. Parmi les formes non immunologiques les plus intéressantes à considérer sont les formes génétiques en liaison possible avec l’ataxie périodique familiale de type 1 souvent associée à une hyperexcitabilité nerveuse et due à la mutation du gène d’une sous-unité du canal potassique De nombreuses dénominations s’appliquent aux syndromes d’hyperexcitabilité nerveuse continue, souvent inappropiées et non spécifiques. Le terme de syndrome d’Isaacs est une reconnaissance du premier cas publié et bien interprêté de forme périphé- rique. Celui de canalopathie potassium s’applique aux formes modérées ou sévères. Quant à celui de maladie de Morvan il doit être conservé en fonction de sa spécificité clinique, périphérique et centrale, son origine autoimmune paraissant possible.

Summary

The term Morvan’s disease, first coined in 1890, is still in use, although the generic term neuromyotonia — which is not exempt from criticism —— has largely superseded it. Symptoms and signs are variable, ranging from benign painful fasciculations, pseudomyotonic cases, rigid forms, cases in which central nervous system features are also present (with, in addition to nerve hyperexcitability, agitation, confusion, delirium, insomnia, hyperhidrosis and tachycardia). A distal peripheral motor nerve is the origin of nerve hyperexcitability. There is growing evidence that autoimmunity is involved in the pathogenesis of many cases. Antibodies to voltage-gated potassium channels are detected in the serum of many patients with peripheral nerve hyperexcitability. Other cases are probably genetic. Inherited disorders are related to episodic dominant ataxia type 1, with the same mutation of a gene coding for potassium channel subunit Kv 1-1. Many inappropriate or non specific names are used to refer to peripheral nerve hyperexcitability. Isaacs syndrome, voltage-gated potassium channelopathy, or Morvan’s syndrome are suggested.

INTRODUCTION

Le Dr Morvan de Lannilis était sans nul doute un clinicien de qualité mais aussi un littérateur doué [1]. Il n’est, pour s’en convaincre, que de consulter la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, dans son no 5 du 12 avril 1890 à la page 173. Le lecteur y trouve — entre autres — une description quasi flaubertienne des tressaillements dénommés alors contractions fibrillaires et qu’on qualifierait à l’heure actuelle de fasciculations : « L’irrégularité et la multiplicité des tressaillements sont telles qu’il est impossible d’en apprécier la fréquence dans un moment donné. Il faudrait avoir l’œil partout à la fois… Ces contractions s’éteignent sur place, c’est un travail sans effet utile. Le malade peut exécuter tous les mouvements…

Il y a mieux : les tressaillements cessent ou du moins diminuent quand un muscle entre en contraction volontaire. Par ailleurs les tressaillements tendent à se généraliser. Mais il s’en produit manifestement aux deltoïdes, aux sus et sous-épineux dont on voit les faisceaux s’élever et s’abaisser alternativement comme les touches d’un piano sous la main du pianiste ». La rédaction de ce cas princeps par Morvan est d’un bout à l’autre vivante, légère, précise et imagée. Le patient qui était un cultivateur de Plabennec avait donc constaté récemment ces tressaillements et se plaignait de lassitude. Bientôt apparurent des myalgies insomniantes. « On dort mal depuis trois jours. On souffre aussi des reins quand on est au repos. Mais dès qu’on marche la douleur se déplace et se porte aux mollets… » Puis le patient s’est aggravé probablement en raison de manifestations centrales. Il ne dormait pas, n’avait plus d’appétit. La transpiration était excessive. « On est en nage, la chemise est trempée comme si elle sortait de l’eau, et même le fond de la culotte ». Suit une longue description de l’aggravation et de la survenue d’une sorte de congestion des mains,
rouges, gonflées avec de petits abcès. La maladie, fatale, évolue rapidement. Elle avait débuté le 18 juillet 1885. La mort survient dans le coma le 6 août Cette description achevée faisait parfaitement apparaître les signes cardinaux de la maladie : contractions fibrillaires disséminées ; douleurs profondes et superficielles ;

troubles psychiques faits d’angoisse, de dépression, parfois de délire et surtout d’insomnie rebelle ; crises sudorales abondantes. A cette observation détaillée d’évolution fatale s’ajoutait la rédaction plus brève de 4 cas, tous d’évolution bénigne chez des sujets jeunes, caractérisés uniquement par des contractions « fibrillaires ».

De la description initiale à la physiopathologie

Ainsi était individualisée de façon saisissante, une maladie nouvelle dont il n’existait aucun cas décrit jusqu’alors [2]. Pendant une cinquantaine d’années cette entité paraît totalement oubliée. Ce n’est qu’à partir de 1930 que le nom de maladie de Morvan apparaît. En 1953 une série de 70 observations est publiée [3]. Le tableau clinique est d’intensité variable avec des formes rapidement mortelles mais surtout des formes d’allure bénigne évoluant pendant plusieurs mois. L’origine pourraît être [3] une encéphalite végétative prenant son origine dans le diencéphale. Par la suite des syndromes de fasciculations avec hypertonie musculaire et hypersudation sont décrits sous des dénominations très diverses souvent peu spécifiques. Les plus souvent citées sont celles de myotonie, myokimie, hyperidrose [4] et surtout de neuromyotonie [5]. Ce terme de neuromyotonie tend à être unanimement adopté, bien que criticable comme cela est indiqué plus loin. Il recouvre des formes de sémiologie variée : simples fasciculations avec douleurs, contractures pseudomyotoniques, rigidité musculaires diffuse, manifestations cen trales, ces dernières correspondant au cas princeps de Morvan.

La physiopathologie de la maladie reste imprécise jusqu’à ce qu’Isaacs [6] montre que le point de départ de l’hyperactivité spontanée siège dans les ramifications distales du nerf moteur périphérique. En outre divers arguments sont en faveur d’une origine autoimmune et amènent à proposer une thérapeutique immunosuppressive [7]. Des dépôts d’anticorps sur les canaux potassium voltage-dépendant, favorisant une dépolarisation prolongée sont prouvés par diverses preuves expérimentales. L’origine dysimmunitaire d’un certain nombre de syndromes d’hyperactivité nerveuse continue est ainsi établie. Dans les autres cas aucun facteur immunologique n’est détecté mais une origine génétique due à une mutation du gène de certaines sous unités du canal potassium voltage dépendant apparaît possible [8, 9].

Bien que ces travaux soient le plus souvent publiés sous l’appellation de neuromyotonie, le terme, ancien, de chorée fibrillaire de Morvan n’a pas perdu son actualité [10, 11, 12, 13] et mérite sans doute d’être conservé au moins pour les formes avec atteinte centrale. L’appellation de neuromyotonie prête à confusion et doit être critiquée. En effet une définition exacte de la neuromyotonie est essentiellement une
activité continue de la fibre musculaire (caractérisée par des fasciculations et des myokimies permanentes mais non par une myotonie) elle même déterminée par une activité du nerf périphérique, isolée ou associée à des manifestations centrales, d’évolution tantôt sévère et même mortelle, tantôt bénigne, relevant d’une cause autoimmune le plus souvent, plus rarement toxique, mécanique ou héréditaire.

Manifestations cliniques.

La description de Morvan comportait deux extrêmes, une forme gravissime associant des manifestations centrales, une forme bénigne évoluant quasi spontanément vers la guérison. Les descriptions ultérieures — de maladie de Morvan ou de neuromyotonie — confirment et illustrent les degrés de sévérité croissante de la maladie.

Les fasciculations bénignes douloureuses [14, 15, 16, 17] se limitent à des douleurs des membres inférieurs, souvent accompagnées de crampes, exacerbées par l’exercice.

Des fasciculations des membres s’accompagnent de myokimies. L’hyperexcitabilité nerveuse « modérée » s’accompagne d’after discharges (décharges suivant la stimulation nerveuse) sur l’électromyogramme mais sans activité véritablement continue des unités motrices. La prescription de carbamazépine améliore partiellement les symptômes. Ces formes sont à séparer des fasciculations le plus souvent isolées avec électromyogramme normal, évoluant sur un terrain anxieux, le plus souvent chez l’homme adulte [18] 11 fois sur 12 chez l’homme à un âge moyen de 46,3 ans dans une série personnelle.

Une sémiologie pseudo-myotonique caractérise une forme plus marquée [6]. Des contractures distales paroxystiques sont à l’origine de spasmes carpopédieux, parfois étiquetés « tétanie normocalcémique » et même de spasmes laryngés [19]. La sudation est excessive. L’électromyographie montre des fibrillations, des décharges myokimiques, des décharges prolongées d’unités motrices. La carbamazépine amé- liore considérablement les symptômes. A un degré de plus s’observent des formes rigides dénommées de façon imagée (syndrome du tatou, chevalier en armure). La posture est enraidie avec contracture permanente à prédominance distale, flexion des poignets, extension des mains [20]. Les réflexes ne sont pas obtenus du fait de la contracture. Une hypertrophie musculaire, conséquence de l’hyperactivité, s’installe dans ¼ des cas. L’hyperidrose est très importante.

Enfin des cas, comparables à la première observation de Morvan, comportent d’importantes manifestations centrales [3] : insomnie majeure, hallucinations, confusion, délire, troubles de la mémoire récente, dysautonomie (transpiration excessive, incontinence urinaire, constipation, arythmie cardiaque) ayant pu faire considérer ces formes comme proches de l’encéphalite limbique. La mort se produit en quelques semaines.

Electromyographie

L’hyperactivité nerveuse périphérique se traduit sur les tracés électromyogra— phiques par des activités spontanées [21] : fibrillations (contraction de fibres musculaires isolées non visibles cliniquement exprimées par des potentiels brefs de moins de 5 millisecondes), fasciculations (potentiels spontanés d’unité motrice isolés ou groupés, visibles cliniquement), myokimies (décharges brèves et répétées d’unités motrices à un rythme uniforme interrompu par une période de silence, visibles sous la peau sous forme d’ondulations intermittentes). Les doublets sont des doubles décharges de potentiels d’unités motrices de même taille. Ils deviennent parfois triplets ou multiplets. L’hyperactivité neuromusculaire est faite de bouffées de potentiels d’action nés dans l’axone moteur pulsant à un rythme élevé (150 à 300 Herz) pendant quelques secondes, à début et fin souvent brusques. Ajoutée aux activités spontanées, la stimulation d’un tronc nerveux est à l’origine de postdécharges de potentiels en nombre variable. Les modifications électromyographiques sont de degré divers selon les cas. Le point de départ de l’hyperactivité spontanée a été considéré depuis Isaacs [6,22] comme siégeant dans les ramifications distales du nerf moteur périphérique sur trois arguments d’ordre topographique :

l’hyperactivité est déclenchée par la contraction volontaire ou la percussion nerveuse, elle se poursuit durant le sommeil, l’anesthésie générale, ou après un bloc nerveux proximal (ce qui élimine une origine haute), elle est abolie par le curare (ce qui est en faveur d’un point de départ dans la jonction neuromusculaire). Dans de rares cas [23, 24] l’abolition de l’activité par bloc nerveux proximal avait fait suspecter une origine plus haute mais cette dernière est peu probable.

Arguments en faveur d’une origine autoimmune

Une physiopathologie autoimmune est progressivement apparue compatible avec beaucoup de tableaux d’hyperexcitabilité neuromusculaire, basée sur plusieurs ordres d’arguments cliniques. L’association à des maladies dysimmunes diverses est loin d’être rare. Les plus fréquemment notées sont les thymomes [25, 26, 27, 28] les thymomes eux même compliqués de myasthénie autoimmune [29], les syndromes paranéoplasiques des cancers bronchiques à petites cellules [30, 31], les syndromes myasthéniques induits par la pénicillamine [32], la présence de bandes oligoclonales dans le liquide céphalo-rachidien [7].Les effets favorables des thérapeutiques immunosuppressives sont un argument d’importance qu’il s’agisse de plasmaphérèses [33, 34], d’immunoglobulines par voie veineuse, des traitements à long terme par prednisolone ou azathioprine. Enfin des rémissions spontanées, souvent observées dans l’évolution des maladies autoimmunes, sont connues [35].

Bloc des canaux potassium voltage-dépendant

Le mécanisme éventuel par lequel un facteur autoimmun pourrait entraîner une activité neuromusculaire continue a été suggéré par divers auteurs [11, 13, 12]

FIG. 1.

soupçonnant un blocage des canaux potassium voltage dépendant par des dépôts d’anticorps.

A l’état normal la prolongation de potentiel d’action génère une dépolarisation qui entraîne l’ouverture des canaux sodium voltage-dépendant avec brève entrée de Na+ dans le neurone puis leur inactivation, enfin l’ouverture des canaux potassium voltage dépendant avec sortie rapide du K+ conduit à une repolarisation membranaire (Figure 1).

On pouvait donc imaginer que des anticorps inactivant les canaux potassium voltage dépendant (et favorisant l’entrée de calcium voltage dépendant) empêcheraient la repolarisation et entraîneraient une dépolarisation prolongée expliquant l’hyperactivité continue. Plusieurs preuves d’un tel mécanisme ont été progressivement apportées par l’expérimentation. La présence d’anticorps anti-canal potassium chez des patients et leurs transfert passif à la souris [36] provoque une augmentation des quanta d’acétylcholine dans la jonction neuromusculaire. Cet effet est analogue à celui des substances bloquant les canaux potassium voltage dépendant (4.aminopyridine et 3-4 Diaminopyridine ou encore alphadendrotoxine marquée à l’Iode125). L’activité spontanée serait ainsi générée dans le nœud de Ranvier en raison de la diminution de nombre des canaux potassium voltagedépendant, plutôt que de leur disparition totale. En outre l’application d’immunoglobuline G des patients sur le ganglion de la racine dorsale du rat, de même que l’application d’aminopyridine bloqueur des canaux potassium, entraîne une activité continue [36].

La preuve directe de suppression des courants issus des canaux potassium est apportée par la technique du patch-clamp [37] analysant l’effet du sérum des patients sur une lignée cellulaire particulière (modèle neuronal des cellules PC12).

Les techniques de Western Blot et d’immunomarquage [38] confirme que le sérum des patients réagit avec les terminaisons nerveuses intramusculaires et non avec la plaque motrice ou la fibre musculaire. Une précision complémentaire utilisant la technique de patchclamp sur une autre lignée cellulaire : chinese Hamster Ovary (Cho K cells), montre que le sérum des patients réduit électivement le courant 1 potassique sans altérer la cinétique des canaux et n’a aucun effet sur les courants sodiques [39]. Ainsi l’origine dysimmunitaire de beaucoup de syndromes d’hyperactivité nerveuse continue apparaît établie. Une série de 60 patients tous porteurs de fasciculations et de crampes [40] est séparée en 2 groupes selon la présence (42 cas) ou non (18 cas) de décharges myokimiques (doublets, triplets, multiplets) sur le tracé électromyographique. L’immunoprécipitation avec l’alphadendrotoxine marquée par iode125 détecte des anticorps anticanal potassium voltage dépendant dans 38 % des cas du premier groupe et dans 28 % des cas du second groupe, ce qui autorise à considérer les 2 groupes comme de pathogénie autoimmune [40].

Canalopathies potassiques voltage-dépendant d’origine génétique, non immunologique

Les syndromes d’hyperactivité nerveuse non rattachables à une origine autoimmune sont plus rares : d’origine toxique (venins de serpent, insecticides, aurothérapie, mercure) ou mécanique (myokimies post-radiques, syndrome du petit palmaire [41].

Parmi ces syndromes sans anomalie immunologique décelable mais cliniquement identiques sont les syndromes d’origine génétique : maladie de Charcot Marie [42] et surtout ataxie périodique de type 1, de transmission autosomique dominante. On connaît deux variétés d’ataxie périodique dominantes. Le type 1 est marqué par des épisodes d’ataxie cérébelleuse soudaine durant quelques secondes à quelques minutes. Entre les accès persistent des myokimies à type d’hyperactivité nerveuse continue et parfois à une épilepsie partielle. Le type 2 est en fait d’accès ataxiques prolongés, durant plusieurs heures. Entre les épisodes persiste un syndrome cérébelleux d’évolution régressive. Si ce type 2 est du à une mutation du gène du canal calcium (chromosome 19 p. 13), le type 1 qui comporte une hyperexcitabilité nerveuse permanente dépend d’une mutation du gène d’une sous-unité des canaux potassiques voltage-dépendant (sous-unité Kv 1.1.). La sémiologie de l’hyperexcitabilité continue a une certaine ressemblance aux mouvements spontanés de la drosophile « agitée » (Shaker Drosophila) qui est porteuse d’un gène mutant pour les canaux potassiques voltage-dépendant [43].

Dans ce groupe dit « Shaker », les mutations ponctuelles du gène de la sous-unité Kv 1-1 des canaux potassiques [figure 2] sont à l’origine aussi bien d’ataxie périodique dominante de type 1 isolée, que d’ataxie périodique associée à des myokimies persistantes ou même de myokimies isolées persistantes sans ataxie périodique [8].

Parmi les nombreuses familles de canaux potassiques voltage dépendant trois types de mutation sont connues (tableau 1) : KCNA, correspondant au type Shaker

FIG. 2.

TABLEAU 1. — Parmi les nombreuses familles de canaux potassium voltage-dépendant, trois types de mutations sont connus.

(Ataxie épisodique type 1), KCNQ correspondant au syndrome d’allongement de 1 l’espace QT, KCNQ et Q correspondant aux convulsions néonatales bénignes de 2 3 transmission dominante.

Dans le type Shaker, la sous-unité des canaux potassiques voltage dépendant KV 1.1 joue un rôle important dans la repolarisation de la terminaison nerveuse motrice.

Une mutation ponctuelle du gène de cette sous-unité (sur le chromosome 12 p. 13) peut être à l’origine [8, 9] d’ataxie périodique, d’hyperactivité nerveuse continue ou de crise d’épilepsie. La sous-unité Kv1-1 mutée a un effet négatif sur la fonction du canal potassium et empêche la repolarisation neuronale. Ainsi une analyse de ce gène apparaît nécessaire dans les hyperexcitabilités non immunologiques.

A la recherche d’un nom

La pléthore des dénominations et des éponymes caractérisant le syndrome d’hyperactivité nerveuse continue est source de confusion nosologique [44, 40]. Certains termes paraissent à éviter, car cliniquement inappropriés, par exemple ceux qui comportent le mot de myotonie (myotonie, myokimie, hyperidrose de Gamstorp, neuromyotonie de Mertens), d’autres par ce qu’ils sont peu spécifiques (syndrome du tatou, gaspillage de quanta, pseudomyotonie, tétanie normocalcémique ou myokimies idiopathiques généralisées [45]).

Trois appellations pourraient être préférées :

Le syndrome d’Isaacs rendant hommage à la description princeps de la forme rigide, à son rattachement à un point de départ dans les ramifications nerveuses distales et à son traitement par les anti-épileptiques.

La canalopathie potassique autoimmune dont la démonstration progressive a été en grande partie le mérite du groupe de J. Newson-Davis, d’Angela Vincent et de leurs collaborateurs. Cette forme a une expression clinique et électromyographique tantôt modérée (syndrome de crampes et de fasciculations douloureuses bénignes sans activité continue véritable) tantôt plus sévère (forme avec contractures distales et décharges myokimiques sur le tracé électromyographique).

La maladie de Morvan enfin associant des manifestations centrales à la sémiologie précédente. Sa place nosologique n’est cependant pas définitivement établie. Si naguère ses relations avec l’acrodymie ont été évoquées du fait de l’importance des troubles vasomoteurs des doigts [46, 47], ses relations avec l’encéphalite limbique d’origine paranéoplasique ou non [50] sont suggérées [13], le lien commun étant la présence d’anticorps anticanaux potassiques voltage dépendant au cours de la maladie de Morvan [27, 13, 12] comme au cours de l’encéphalite limbique [48] malgré des différences cliniques importantes — notamment l’absence d’activité nerveuse continue dans la seconde — entre ces deux affections.

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DISCUSSION

M. Alain LARCAN

Je suis intéressé par le parallélisme avec l’acrodynie, affection plutôt pédiatrique, dite maladie de Selter-Swift-Feer, en fait décrite en France surtout par Chardin, Chomel et par Haushalter (de Nancy) et dont on peut penser que la chorée fibrillaire correspond à la forme adulte. Le syndrome végétatif central et les acrosyndromes sont très caractéristiques et se retrouvent ainsi que l’hypersudation dans les deux affections. On sait que l’acrodynie a été rapportée par vraisemblance à l’intoxication mercurielle (calomel) et ceci est retrouvé également dans les syndromes que vous avez détaillés. Je suis surpris que dans ces canalo-
pathies potassiques volto-dépendantes il n’y ait pas d’anomalies plus systématiques de l’électrocardiogramme. La tachycardie peut être rattachée au retentissement végétatif, ainsi d’ailleurs que le syndrome du QT long, mais il semble qu’il devrait y avoir si l’atteinte porte non seulement sur les neurones, mais aussi sur les cellules musculaires et myocardiques des troubles de la repolarisation comme elles sont schématisées dans les paralysies périodiques de différents types.

Les relations avec l’acrodynie ont été souvent discutées, en particulier dans la thèse de Coirault (Paris 1946) en raison d’une sémiologie acrale des membres supérieurs : sensation de brûlures des mains, douleurs et paresthésies distales, érythrœdème des mains, transpirations abondantes, tachycardie, angoisses. L’absorption de médicaments à base de mercure a été invoquée, à l’origine d’une hypothétique encéphalite à prédominance végétative. Les cas d’acrodynie infantile paraissent actuellement très rares. Des anomalies cardiaques sont présentes au cours de la maladie de Morvan en particulier des troubles du rythme avec tachycardie. De surcroît les anomalies génétiques de la sous unité Kv1.1 du canal potassique voltage dépendant entrent dans le groupe « Shaker » et voisinent avec les allongements de l’espace QT traduits par d’importants troubles du rythme et parfois par une mort subite.

M. Pierre RONDOT

Plusieurs cas de maladie de Morvan n’ont-ils pas été attribués à une intoxication mercurielle au temps où les injections de cyanure de mercure étaient pratique fréquente ?

L’intoxication mercurielle au cours du traitement de la syphilis, aussi bien par l’aurothé- rapie de la polyarthrite rhumatoïde ont été considérées naguère comme des facteurs étiologiques importants de la chorée fibrillaire. Un cas d’origine mercurielle a été plus récemment rapporté (1984).

M. Jean-Jacques HAUW

Savez-vous s’il existe des lésions cérébrales analogues à celles des encéphalites paranéoplasiques au cours des maladies de Morvan ?

Il n’existe à ma connaissance qu’un cas autopsié de maladie de Morvan. L’examen de l’encéphale ne montrait pas d’anomalies caractéristiques en dehors d’un aspect congestif de la région infundibulo-tubérienne (Fischer-Perrudon et al 1974).

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 2, 233-245, séance du 3 février 2004