Communication scientifique
Séance du 23 janvier 2001

Conclusions et recommandations

J.L. de Gennes

Conclusions et recommandations

Jean-Luc de GENNES Pour clore cette importante séance qui, à la faveur de ces brillants exposés bien documentés et bien coordonnés entre eux, donne la mesure des progrès fulgurants acquis ces dix dernières années tant au plan de la compréhension de la physiologie biomoléculaire des lipoprotéines qu’à celle de leur pathologie couramment impliquée dans les complications cardiovasculaires de l’athérosclérose qui occupent toujours une place prédominante dans l’espérance et la qualité de vie de notre population, comme dans le coût considérable du traitement de ces complications qui figure en place prioritaire dans notre budget de Santé, des conclusions sont à tirer.

La toute première mesure de prévention concerne l’amélioration du dépistage, en temps utile, des désordres lipidiques sanguins, que je défends personnellement depuis bientôt… trente ans. Après avoir repris conscience, encore aujourd’hui, du rôle de la transmission génétique que je n’ai cessé de montrer, de publier et de promouvoir tout au long de ces années, l’Académie se doit, me semble-t-il, d’apporter sa caution officielle et d’engager une action propre dans ce sens, spécialement pour que ce dépistage en temps utile indispensable à une prévention primaire efficace et non déjà trop compromise par le temps perdu, soit suffisamment précoce, aux fins de débuter une prise en charge diététique puis thérapeutique qui, dorénavant, offre de grands espoirs. La deuxième mesure urgente de prévention primaire à prendre en charge par l’Académie est également directement inspirée par la révision des acquis génétiques actuels exposés par le docteur Pascale Benlian au début de cette séance. Elle vise à mieux avertir et sensibiliser nos concitoyens et le corps médical tout entier aux efforts à nettement renforcer encore pour tirer tout le bénéfice d’enquêtes génétiques mieux réalisées sur le plan des dosages sanguins : afin d’élargir, sur tous les apparentés au premier degré, les dépistages d’anomalies semblables. De ce qui a été détaillé dans les trois premiers exposés (docteurs Pascale Benlian, John Chapman et Frédéric Fredenrich), et de ce que l’on sait aujourd’hui, il ressort qu’en dépit d’une hérédité dominante de la plus grande partie des désordres lipidiques familiaux athérogènes, encore près de 50 % d’entre eux ne sont pas dépistés et donc restent ignorés avant la première alerte cardiovasculaire, qui risque qui plus est, d’être mortelle d’emblée.

La troisième recommandation est, dans un sens, une redite, déjà maintes fois énoncée par moi-même, par l’ARCOL puis par l’ANAES. Le dosage isolé de cholestérol total, à moins qu’il ne soit très élevé à 3 mg/l ou plus, n’est pas un critère
suffisant au dépistage d’une anomalie lipidique susceptible d’être athérogène. Il doit être obligatoirement assorti, sur le même prélèvement sanguin, d’un dosage associé de triglycérides et d’HDL cholestérol. Le coût en est modique, environ 99 F.

L’illustration de cette nécessité ressort clairement de l’ensemble des rapports pré- sentés.

La dernière recommandation est de ne jamais perdre de vue l’objectif recherché par la correction en temps utile des anomalies lipidiques. Celui-ci est en effet l’unique justification du dépistage, qui doit être situé donc en temps utile : c’est-à-dire environ 20 ans avant les premières alertes cardiovasculaires, dont la date peut être déduite et prédite en fonction du type et de l’intensité des anomalies lipidiques révisées ici même, et leur plus ou moins grande aggravation issue du cumul des autres facteurs de risque (tabagisme, hypertension artérielle, diabète, surpoids, suralimentation, sédentarité, etc).

L’objectif final reste en effet le maintien de l’intégrité artérielle à tous les niveaux :

coronaires en priorité, mais aussi vasculaires cérébraux, aortiques, artéritiques des membres inférieurs… d’ailleurs souvent plus ou moins combinés. Il consiste à prévenir le processus athérogène (prévention primaire), ou à tout le moins le ralentir, le stabiliser, voire contribuer à sa régression, ce qui n’est plus impossible aujourd’hui, grâce aux données toutes récentes, suggestives à ce propos et évoquées dans cette séance. Pour parvenir à ce but, la correction totale des anomalies lipidiques, simultanément à l’éradication et/ou la correction des autres facteurs de risque et si possible dans tout le nycthémère, est essentielle. Cette entreprise passe nécessairement par un diagnostic clinique et biologique parfait du désordre lipidique en cause, et si besoin, comme on l’a vu, par le recours, demandé avec tout le discernement requis, à certains tests génétiques bien ciblés, capables de mener jusqu’à l’identification précise de certains défauts génétiques plus rares, indécelables autrement en pratique.

Le coût de cette entreprise thérapeutique, bien menée au long cours, est loin d’être aussi exorbitant que communément estimé : si l’on veut bien penser que le coût quotidien du traitement pharmacologique, s’il devient impératif de l’adjoindre au traitement diététique, reste manifestement inférieur au coût quotidien du (ou des) paquet(s) de cigarettes qu’il convient de bannir. D’autant que l’économie de santé, issue d’une telle prévention bien menée, est proprement inchiffrable en regard des catastrophes humaines, personnelles, familiales et professionnelles évitées, ainsi que des coûts, infiniment plus élevés, notamment des actes majeurs de chirurgie cardiovasculaire ou de radiologie interventionnelle qui seraient ainsi réduits (et qui le sont d’ailleurs déjà).

Tous ces éléments se doivent d’être pris en compte : pour une évaluation pleinement objective et non biaisée des progrès très importants rapportés dans cette réunion, dans la compréhension et le traitement de l’athérosclérose… à origine si souvent dyslipidémiques, reconnue ou méconnue. Ce type de prévention cardiovasculaire est déjà largement démontré plus que prometteur, comme l’ont bien validées les études
citées par les docteurs Éric Bruckert et Jean-Charles Fruchart. Donc, il convient sans plus attendre de renforcer l’engagement de tous dans ce sens en commençant par un dépistage plus précoce et plus rentable, pour leur traitement en temps utile de toutes les dyslipidémies athérogènes.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 77-79, séance du 23 janvier 2001