Publié le 24 novembre 2020

Avis de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France : SARS-CoV-2 : sensibilité des espèces animales et risques en santé publique

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SARS-CoV-2 : sensibilité des espèces animales et risques en santé publique

Avis de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France

Jeanne BRUGÈRE-PICOUX, Yves BUISSON et Jean-Luc ANGOT

 

 

En décembre 2019, l’apparition de la Covid-19 (Coronavirus disease 2019) dans la ville chinoise de Wuhan inscrivait un nouvel épisode dans l’histoire des franchissements de la barrière d’espèce. En montrant une homologie de 96,2 % avec le coronavirus RaTG13 présent chez la chauve-souris fer à cheval (Rhinolophus affinis), l’analyse du génome du virus émergent, le SARS-CoV-2, confirmait l’origine animale de cette nouvelle maladie.

Toutefois, si cette émergence semble provenir d’un marché d’animaux vivants sauvages et domestiques de Wuhan, on ne connaît pas précisément l’origine de la contamination humaine par le SARS-CoV-2. Lors du syndrome respiratoire aigu (SRAS) apparu en 2002 dans la province de Guangdong, également dû à un coronavirus émergent (le SARS-CoV-1) issu d’un marché d’animaux vivants, les civettes palmistes masquées (Paguma larvata) d’origine sauvage avaient été rapidement incriminées comme hôte intermédiaire entre la chauve-souris et l’Homme. Mais à Wuhan, il n’a pas été possible d’identifier l’hôte intermédiaire du SARS-CoV-2, l’hypothèse du Pangolin (Manis pentadactyla et Manis javanica) n’ayant pas été démontrée avec certitude.

Bien que la pandémie actuelle de Covid-19 démontre une étroite adaptation du SARS-CoV-2 à l’espèce humaine, la spécificité d’hôte n’est pas exclusive, de nombreuses espèces animales domestiques ou sauvages étant sensibles à l’infection. Après un premier cas de contamination d’un chien de compagnie par l’Homme observé à Hong Kong le 26 février 2020, de nombreuses infections animales d’origine humaine ont été rapportées, le plus souvent sporadiques. Dans le sens inverse, aucune transmission du SARS-CoV-2 à l’Homme n’a été décrite jusqu’à présent à partir d’animaux de compagnie ou d’élevage domestique (bovins, ovins, porc, volailles), à l’exception des visons d’élevage. Dans ce cas particulier, la contamination de 12 personnes à partir de visons infectés dans les fermes d’élevage au Danemark était due à une souche mutante de SARS-CoV-2 qui aurait pu compromettre l’efficacité des vaccins préparés à partir du virus originel, justifiant l’abattage préventif de la totalité de ces élevages.

La cible des vaccins en cours de développement est, en tout ou partie, la glycoprotéine de surface S (S pour spicule ou spike) qui intervient dans l’attachement du virus à la cellule hôte, la fusion membranaire et son entrée dans la cellule. L’attachement résulte de l’interaction entre un site de liaison situé sur la protéine S, le receptor binding domain (RBD), et un récepteur situé à la surface de la membrane cellulaire, l’angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2). Le RBD du SARS-CoV-2 aurait une affinité qui s’étendrait aux récepteurs ACE2 présents dans différentes espèces animales de compagnie (chiens, chats, furets) ou d’élevage (bovins, moutons, chevaux). La barrière d’espèce n’est donc pas imperméable, tant pour le SARS-CoV-1 que pour le SARS-CoV-2, tous deux d’origine zoonotique [1]. Son franchissement par le SARS-CoV-2 a été observé dans les conditions naturelles ou expérimentales chez les animaux de compagnie (chiens, chats, furets), les animaux de laboratoire ou les animaux de la faune sauvage captive ou non. En cas de co-infection des animaux de compagnie, la possibilité de recombinaisons entre les coronavirus pathogènes canins ou félins et le SARS-CoV-2 ne peut être exclue.

Infections animales à SARS-CoV-2

1. Animaux de compagnie (chats, chiens, furets)

1.1. Contamination naturelle (chiens, chats): dans les conditions naturelles, l’infection par le SARS-CoV-2 a été observée chez des animaux contaminés par leur propriétaire. Il s’agissait de cas sporadiques, soit asymptomatiques, soit révélés par des signes cliniques mineurs (difficultés respiratoires avec toux, diarrhée, vomissements …) bien contrôlés par le traitement. Depuis le mois de février, plusieurs pays ont déclaré la maladie : Chine (2 chiens et un chat à Hong-Kong), Belgique (4 chats), États-Unis (31 chats et 24 chiens), France (2 chats), Espagne (2 chats), Allemagne (1 chat), Russie (1 chat), Royaume-Uni (un chat), Japon (4 chiens), Chili (un chat), Canada (un chien), Brésil (un chat), Danemark (un chien), Italie (un chien) [2, 3, 4].

Les échantillons (nasopharynx, cavité buccale, fèces) testés par RT-PCR ont été généralement positifs pour le SARS-CoV-2, démontrant la contamination de ces animaux mais ne préjugeant pas de leur infection ni de leur infectiosité.

Une étude française réalisée conjointement par des médecins, des vétérinaires et des virologues a permis de montrer pour la première fois une circulation significative du SARS-CoV-2 dans une population d’animaux de compagnie (34 chats et 13 chiens) dont les propriétaires étaient atteints de Covid-19 [5]. L’enquête utilisant plusieurs tests sérologiques (technique Luminex dirigée contre trois protéines virales différentes et séroneutralisation) a révélé́ une prévalence élevée (21% à 53%) d’anticorps spécifiques chez les chiens et les chats de propriétaires infectés par le SARS-CoV-2, alors qu’un seul chat s’est révélé positif dans le groupe d’animaux témoins (22 chiens et 16 chats), dont les propriétaires étaient indemnes de Covid-19. Ces données sont plus démonstratives que celles publiées jusqu’à présent en Chine, à Hong Kong et en Italie, mais aucune différence significative n’a pu être mise en évidence entre les chats et les chiens. Elles relancent le débat sur le rôle des animaux de compagnie dans la propagation du SARS-CoV-2, en particulier via la contamination des membres du foyer familial mais des études virologiques restent nécessaires pour caractériser le processus infectieux chez ces animaux et préciser leur capacité d’excrétion virale.

1.2. Contaminations expérimentales (chat, chien, furet): plusieurs essais de reproduction expérimentale de la Covid-19 ont montré que l’on pouvait infecter le furet (qui est aussi un animal de compagnie) et le chat, beaucoup moins le chien [6, 7, 8]. Ces expériences ont permis de noter la possibilité de recontaminations par contact d’animaux témoins chez le chat [9] et surtout chez le furet [10].

2. Animaux domestiques d’élevage

Dans des conditions expérimentales, les porcs et les volailles s’avèrent résistants à toute inoculation par le SARS-CoV-2 [7], alors que le lapin (qui est aussi un animal de compagnie ou de laboratoire) s’est révélé sensible [11].

En Allemagne, l’inoculation de six bovins a permis de noter une très faible sensibilité, la réplication du virus n’étant constatée que chez deux d’entre eux, avec séroconversion malgré la présence d’anticorps dirigés contre le coronavirus bovin (BCoV), mais sans transmission aux trois bovins mis au contact des animaux inoculés [12].

3. Animaux de laboratoire

D’autres animaux de laboratoire se sont révélés sensibles au SARS-CoV-2 : le hamster doré (Mesocricetus auratus) [13] et le macaque rhésus (Macaca mulatta) [14]. En revanche, les souris et les rats de laboratoire se sont avérés résistants au SARS-Cov-2 [15].

4. Animaux de la faune sauvage

4.1. Faune sauvage en parcs zoologiques ou en liberté: aux États-Unis, 4 tigres et 3 lions, contaminés vraisemblablement par l’Homme dans un zoo du Bronx, ont présenté des symptômes respiratoires discrets [16]. Depuis, un tigre et un puma ont été aussi déclarés infectés.

Expérimentalement, la souris sylvestre (Peromyscus maniculatus), de la famille des Cricetidae, très répandue dans toute l’Amérique du Nord et réservoir de l’agent de la maladie de Lyme s’est révélée sensible au SARS-CoV-2 [17]. En Allemagne, 9 chauves-souris (roussettes ou Rousettus aegyptiacus) ont été aussi inoculées et ont répliqué le virus dans leurs premières voies respiratoires, contaminant aussi par contact une des trois chauves-souris testées [7].

4.2. Élevages de faune sauvage

4.2.1 Chiens viverrins (Nyctereutes procyonoides) : des chercheurs de l’Institut Friedrich Loeffler en Allemagne ont montré que les chiens viverrins (canidés élevés en Chine pour leur fourrure) étaient sensibles au SARS-CoV-2 (ce qui n’est pas étonnant puisqu’ils étaient sensibles au SARS-CoV-1) et qu’ils pouvaient contaminer par contact direct d’autres chiens viverrins sans pour autant avoir présenté des signes cliniques. Ces animaux peuvent être considérés comme des hôtes intermédiaires potentiellement impliqués dans la propagation de la Covid-19 [18]. S’il n’existe pas d’élevages importants de chiens viverrins en Europe comme en Chine, on peut retrouver ces animaux à l’état sauvage après qu’ils aient été relâchés dans la nature ou se soient évadés de zoos ou de laboratoires (où ils sont notamment utilisés dans les études sur la rage). Connus pour être les principaux vecteurs du virus rabique dans certaines forêts de l’Europe de l’Est, ils sont considérés comme des nuisibles sur tout le territoire français (Arrêtédu 24 mars 2014).

4.2.2. Visons: si la contamination sporadique ou expérimentale de certaines espèces animales n’induit pas de risque démontré de contamination de l’Homme, il n’en est pas de même pour les élevages de visons. Dans ces élevages, les virus SARS-CoV-2 ne sont pas plus contagieux ou plus virulents, mais ils circulent rapidement dans les bâtiments et chez les personnes habitant à proximité des exploitations. La contamination rapide des visons dans un élevage s’explique par la grande sensibilité des mustélidés (loutres, blaireaux, martres, zibelines, putois, fouines, visons, furets) aux virus à tropisme respiratoire. Par ailleurs l’élevage des visons, réalisant une forte densité animale dans un bâtiment fermé, favorise la production d’aérosols infectants et la contamination rapide de la totalité des animaux, voire du personnel d’élevage.

 

Infections des visons d’élevage par le SARS-CoV-2

1. Pays autres que le Danemark ayant déclaré l’infection dans des fermes de visons :

1.1. Pays-Bas(128 fermes de visons) : c’est le premier pays ayant annoncé la contamination de fermes de visons par le SARS-CoV-2 (2 le 26 avril, 33 au 14 août puis 52 au 14 septembre). Deux millions de visons ont alors été éliminés, les autorités néerlandaises souhaitant avancer l’interdiction des élevages de visons avant l’échéance prévue en 2024. Dès le 1er septembre, les premiers cas humains contaminés par les visons sont signalés [19] : 66 des 97 employés de ces fermes testés sont testés positifs pour le SARS-CoV-2, le séquençage du génome entier révélant dans 47 cas des variants apparentés au vison [20]. Ces observations confirment le risque d’un réservoir de SARS-CoV-2 représenté par les élevages de visons infectés [24]. Malgré les mesures de biosécurité, dont l’abattage des animaux, le nombre de fermes infectées continue de progresser (62 le 6 octobre, 70 le 29 octobre) sans que l’on connaisse l’origine exacte des contaminations. Selon l’épidémiologiste hollandaise vétérinaire Francisca Velkers, « le polar n’est pas encore résolu».

1.2. Espagne: le 16 juillet 2020, les 100 000 visons d’un élevage comprenant 90% d’animaux positifs sont abattus.

1.3. États-Unis: au 30 octobre 2020, 11 fermes ont été déclarées infectées dans 3 États du 26 juillet au 29 septembre, plusieurs personnes travaillant dans ces fermes ayant été testées positives au SARS-CoV-2 [20].

1.4. Italie: le 27 octobre, une ferme de visons est déclarée infectée (2 échantillons positifs pour le SARS-CoV-2 en août 2020). Le gouvernement italien s’est limité à la surveillance des cas cliniques (alors que beaucoup d’animaux infectés peuvent être asymptomatiques). Cependant l’interdiction d’urgence des fermes de visons est demandée au Premier ministre et au Ministre de la santé.

1.5. Suède: au 24 octobre 2020, le premier cas est déclaré dans une ferme dont le propriétaire, son père et tous les animaux sont testés positifs au Covid-19. Le 6 novembre, 9 autres fermes sont déclarées infectées mais les suédois annoncent qu’ils n’ont pas l’intention d’éliminer leurs 40 élevages de visons (soit 600 000 animaux) à ce stade car 80% de ces animaux vont être tués dans les prochaines semaines pour la production de la fourrure, la collecte des peaux se faisant avec des mesures de biosécurité.

1.6. Grèce: le 13 novembre 2020, 2 fermes sont déclarées infectées [21].

1.7. France : sur les 4 élevages de visons encore présents dans notre pays et qui étaient placés sous surveillance vétérinaire, l’un situé en Eure-et-Loir a été déclaré infecté le 22 novembre 2020. L’abattage de la totalité des 1 000 animaux encore présents sur l’exploitation et l’élimination des produits issus de ces animaux a été ordonnés. Dans les trois autres élevages, l’un est indemne et les analyses sont encore en cours pour les deux autres.

 

2. Cas particulier des élevages de visons au Danemark

Premier producteur mondial de visons, avec 1138 fermes, le Danemark, a déclenché l’alarme le 4 novembre 2020 en annonçant qu’il abattait tous les troupeaux de visons du pays pour arrêter la propagation d’un SARS-CoV-2 mutant dans cette espèce, ce virus ayant franchi la barrière d’espèce en contaminant l’Homme (12 cas humains répertoriés). Le risque principal lié à cette mutation était de compromettre la protection vaccinale escomptée des vaccins en cours de développement. Les scientifiques danois ont effectivement observé que les anticorps dirigés contre le virus SARS-CoV-2 chez les personnes convalescentes ne protégeaient pas complètement contre ce virus mutant.

2.1. Évolution de l’infection virale dans les élevages danois de visons: les premiers cas de contamination, vraisemblablement d’origine humaine, sont déclarés en juin 2020 dans trois fermes de visons qui sont alors éliminées par précaution. La recherche du virus étendue au niveau national dans 10% des troupeaux de visons, soit 125 fermes, se révèle négative. Puis une surveillance est mise en œuvre avec prélèvement d’échantillons toutes les 3 semaines à partir de la semaine 30. Un décret est émis (décret 1172 du 17 juillet 2020 sur la COVID-19 chez les animaux à fourrure) pour prévenir l’infection des troupeaux de visons et la transmission éventuelle à l’Homme. Une quatrième ferme est déclarée infectée le 14 août, 6 autres le 3 septembre. Les Danois décident de ne plus dépeupler les fermes. Le 18 septembre, les autorités danoises s’inquiètent du risque de contamination du vison vers l’Homme et annoncent les premières mesures de biosécurité destinées à réduire la propagation du SARS-CoV-2 dans les élevages. Le terme de « zones à risque » où l’augmentation des cas humains paraît corrélée aux zones à forte densité de population de visons est même utilisé. Puis, comme aux Pays-Bas, alors que les Danois n’abattaient plus les visons des fermes infectées, le nombre de foyers s’accroit dangereusement (105 fermes au 19 octobre, 175 au 29 octobre et 205 fermes le 5 novembre). À la date du 28 octobre, le gouvernement n’envisage toujours pas l’élimination des élevages. Quelques jours plus tard, l’annonce brutale d’une transmission de virus mutants du vison à l’Homme et pouvant présenter un risque pour la santé publique, justifiait la décision drastique d’abattre près de 17 millions de visons soit l’ensemble des fermes danoises.

2.2. Apparition de variants du SARS-CoV-2 chez des visons: après l’abattage des trois premiers troupeaux infectés, deux mutations du gène codant la protéine S1 (spike) du virus SARS-CoV-2 pouvant présenter un danger pour la santé publique ont été signalées dès le 4 septembre par le Statens Serum Institut (SSI). L’analyse virologique (13% des 37967 isolats humains soit 5102, ont été séquencés jusqu’à présent) a identifié 214 cas humains (soit 4,2% des virus séquencés) dus à des virus variants liés aux visons, ces cas n’étant pas épidémiologiquement liés à un seul élevage de visons. Deux virus variants présentant une modification du gène codant la protéine S1 ont été identifiés : le virus variant F-spike, avec une mutation Y453F, correspondant au foyer 1 (cluster 1) et le virus variant DFVI-spike, avec une combinaison de 4 mutations (69-70deltaHV, 453F, 692V et 1229I) au foyer 5 (cluster 5) [20, 22]. D’autres virus variants isolés des foyers 3 et 4 font actuellement l’objet d’études approfondies. Contrairement au variant F-Spike qui présente peu de différences avec le SARS-CoV-2 non mutant, le variant DFVI-spike se réplique avec des titres infectieux importants aussi bien en culture cellulaire que chez les personnes infectées ; cependant, parmi les 12 cas diagnostiqués en août et septembre, ce variant ne s’est pas montré plus pathogène que le SARS-CoV-2 classique. Les premiers essais de neutralisation du variant DFVI-spike par le sérum de personnes convalescentes ont permis de noter une différence selon le taux des anticorps sériques : seuls les sérums ayant un taux d’anticorps élevé avaient une activité neutralisante. Bien qu’il s’agisse de résultats préliminaires nécessitant des études complémentaires, cette constatation, associée au passage de ce variant chez l’Homme, a déclenché l’alerte du 4 novembre 2020.

2.3. Mesures de santé publique adoptées par le gouvernement danois: le 5 novembre, le Danemark renforce les mesures de biosécurité en confinant la population, soit 280 000 habitants de la région des fermes concernées par le variant (foyer 5), jusqu’au 3 décembre [23]. Le ministre de la Santé Magnus Heunicke déclare que la moitié des 783 cas humains de Covid-19 dans le nord du Danemark étaient liés au vison. Les habitants des sept municipalités concernées du nord du Jutland sont fortement encouragés à ne pas quitter leur région, à se faire dépister et à travailler à leur domicile, avec interdiction de se rendre dans la zone de restriction, arrêt des transports en commun (bus, trains), fermeture des musées, des bibliothèques, des piscines et des gymnases et limitation des rassemblements publics à un maximum de 10 personnes.

 

Les mutations du SARS-CoV-2 chez l’animal représentent-elles un risque ?

Selon le rapport européen sur les virus variants liés au vison [20], les informations disponibles au Danemark et aux Pays-Bas ne démontrent pas un risque accru de contagiosité par rapport aux autres virus humains, même si des incertitudes subsistent, tous les cas n’étant pas détectés et tous les virus n’étant pas séquencés. Ainsi la probabilité d’une infection par les variants liés au vison est évaluée comme faible pour la population générale, modérée pour les populations des zones à forte concentration d’élevages de visons et très élevée pour les personnes exposées aux fermes de visons.

Les mutations mineures sont fréquentes chez les coronavirus car il s’agit de virus à ARN. Depuis son émergence, le SARS-CoV-2 a accumulé des mutations par rapport à la première souche (Wuhan-Hu-1) séquencée en janvier 2020, la protéine S étant la plus importante à considérer dans le contexte d’une protection immunitaire. Cependant elles sont souvent sans conséquence importante. Il est rare qu’un nouveau variant donne naissance à un nouveau clade génétique se propageant à l’échelle mondiale, mais l’adaptation à la transmission dans les populations de visons pourrait offrir un avantage sélectif dans les régions où l’activité d’élevage de visons est pratiquée. La mutation Y453F du virus variant F-spike, trouvée à la fois au Danemark et aux Pays-Bas, a également été détectée sporadiquement dans des séquences russes, sud-africaines, suisses et américaines sans lien avec le Danemark et les Pays-Bas. Cela pourrait indiquer que cette mutation survient chez l’Homme ou qu’il existe une transmission sporadique non détectée du vison à l’Homme [20]. Il est également possible que les employés des fermes de visons, parfois d’origine étrangère, favorisent une propagation transfrontalière de ces variants lorsqu’ils voyagent ou retournent dans leur pays d’origine, comme c’est le cas pour d’autres souches du SARS-CoV-2.

Les rapports publiés jusqu’à présent sur les mutations du SARS-CoV-2 n’apportent pas de données scientifiques précises laissant présager un risque réel pour la santé publique. Mais si rien ne permet de conclure que ces mutants représentent un réel danger pour l’Homme et pour l’efficacité des vaccins futurs, le principe de précaution a prévalu. Si la peur suscitée par l’émergence d’un nouveau variant pouvant infecter l’Homme n’est pas nouvelle, l’histoire des récentes épidémies nous rappelle que cette peur n’est parfois pas justifiée. Ainsi la « grippe aviaire » apparue en 2003 n’a pas provoqué de pandémie car le virus A/H5N1 n’a pas réussi à s’adapter à l’espèce humaine et à se transmettre de personne à personne. Mais le risque de recombinaison génétique reste beaucoup plus élevé parmi les virus grippaux de type A, du fait de la structure segmentée de leur génome, que parmi les coronavirus.

Dans ce contexte, l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) a rapidement publié un avis [20] recommandant :

– de détecter précocement, dans une approche « une seule santé» impliquant les autorités de santé animale et publique, l’infection par le SARS-CoV-2 des visons et les cas humains liés aux élevages de visons, afin de réagir rapidement et de mettre en place de mesures de biosécurité ;

– d’améliorer la détection précoce des mutations en vue de signaler rapidement toute mutation préoccupante avec un partage régulier des séquences dans des bases de données ouvertes ;

– de tester tous les cas suspects d’infection chez les visons, les travailleurs agricoles ou les personnes ayant visité une ferme de visons pendant la période d’incubation et de séquencer les isolats de SARS-CoV-2 ;

– de renforcer les mesures de biosécurité et de contrôle des travailleurs agricoles et des personnes ayant accès à des locaux où sont gardés les visons en les testant régulièrement par RT-PCR, pour réduire les risques de transmission d’un virus de l’Homme à l’animal ou inversement ;

– d’assurer une surveillance stricte des élevages de visons (examens des animaux malades et autopsie des animaux morts), surveillance des fermes indemnes ;

– d’effectuer un génotypage systématique de tous les isolats de SARS-CoV-2 provenant d’animaux infectés (chats, chiens, et surtout les visons) dans la zone des fermes atteintes ;

– de détruire les visons et les peaux brutes des élevages infectés ;

– d’interdire la circulation des visons vivants et des peaux brutes transformées en 2020.

 

Malgré une évaluation limitée du risque pour la santé publique du virus variant DFVI-spike lié au vison du fait du faible nombre de cas humains rapportés et des données scientifiques accessibles jusqu’à présent l’Académie nationale de médecine et l’Académie vétérinaire de France recommandent :

– de mener les études supplémentaires pour évaluer le risque présenté par le virus variant DFVI-spike ;

– si ces études révèlent que ce variant risque d’échapper à la réponse immunitaire développée contre le SARS-CoV-2, d’évaluer les implications potentielles pour le diagnostic, le traitement et le développement de vaccins contre la Covid-19 ;

– de surveiller toute nouvelle mutation du SARS-CoV-2 dans la protéine S, liée au vison ou non, afin de pouvoir adapter les vaccins à ces mutations comme cela a eu lieu en médecine vétérinaire pour la bronchite infectieuse aviaire depuis des décennies.

– de ne pas limiter la surveillance aux fermes d’élevage visons, mais de l’élargir aux autres espèces animales (domestiques ou sauvages) pour éviter la possibilité d’installation d’un réservoir animal occulte du SARS-CoV-2 ;

– de renforcer les mesures de biosécurité recommandées vis-à-vis des animaux [24], et plus particulièrement des visons [25] ;

– d’améliorer la coordination entre les secteurs de la santé animale, humaine (y compris la santé et la sécurité au travail), dans un contexte « une seule santé » afin de développer des stratégies efficaces de lutte contre la pandémie de Covid-19 [26].

 

Références

 

1- Leroy E et al. Transmission du Covid-19 aux animaux de compagnie : un risque à ne pas négliger. Bull Acad Vét de France 2020 ; http://www.academie-veterinaire-defrance.org/

2 – USDA. Confirmed cases of SARS-CoV-2 in Animals in the United States – Oct 14, 2020 www.aphis.usda.gov. (consulté le 12 novembre)

3 – Plateforme ESA. Covid-19 et animaux. Mise à jour au 28/09/2020. https://www.plateforme-esa.fr/ (consulté le 12 novembre)

4 – OIE. Covid-19 : events in animals. Updated 10 November 2020. Oie.int (consulté le 12 novembre)

5 – Fritz M et al. High prevalence of SARS-CoV-2 antibodies in pets from COVID-19+ households. One Health 11 (2021) https://doi.org/10.1016/j.onehlt.2020.100192

6 – Shi  J et al. Susceptibility of ferrets, cats, dogs, and other domesticated animals to SARS–coronavirus 2. Science 29 May 2020, Vol. 368, Issue 6494, pp. 1016-1020, DOI: 10.1126/

7 – Schlottau K et al. SARS-CoV-2 in fruit bats, ferrets, pigs, and chickens: an experimental transmission study. Lancet Microbe 2020; 1: e218–25 . July 7, 2020 https://doi.org/10.1016/ S2666-5247(20)30089-6

8 – Bosco-Lauth AM et al.  Experimental infection of domestic dogs and cats with SARS-CoV-2: Pathogenesis, transmission, and response to reexposure in cats. PNAS October 20, 2020 117 (42) 26382-26388;  https://doi.org/10.1073/pnas.2013102117

9 – Halfmann PJ et al. Transmission of SARS-CoV-2 in Domestic Cats. N Engl J Med. 2020 Aug 6;383(6):592-594. doi: 10.1056/NEJMc2013400. Epub 2020 May 13

10 – Richard, M et al. SARS-CoV-2 is transmitted via contact and via the air between ferrets. Nat Commun 11, 3496 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-17367-2

11 – Mykytyn, A. Z. et al. (2020). Susceptibility of Rabbits To SARS-CoV2. bioRxiv preprint. doi: https://doi.org/10.1101/2020.08.27.263988https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.08.27.263988v1

12 – Ulrich L. et al. Experimental Infection of Cattle with SARS-CoV-2. Emerg Infect Dis. 2020 Dec https://doi.org/10.3201/eid2612.203799

13 – Sia SF et al. Pathogenesis and transmission of SARS-CoV-2 in golden hamsters. Nature 583, 834–838 (2020). https://doi.org/10.1038/s41586-020-2342-5

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15 – Cohen J. Mice, hamsters, ferrets, monkeys. Which lab animals can help defeat the new coronavirus? Apr. 13, 2020. doi:10.1126/science.abc2335.

16 – McAloose D et al. From people to Panthera: Natural SARS-CoV-2 Infection in Tigers and Lions at the Bronx Zoo. mBio 11:e02220-20. https:// doi.org/10.1128/mBio.02220-20.

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18 – Freuling CM et al. Susceptibility of raccoon dogs for experimental SARS-CoV-2 infection. Emerg Infect Dis. 2020; 26, in press.  Doi: 10.3201/eid2612.203733.

19 – Oude Munnink BB et al. Jumping back and forth: anthropozoonotic and zoonotic transmission of SARS-CoV-2 on mink farms, bioRxiv preprint doi: https://doi.org/10.1101/2020.09.01.277152

20 – European Centre for Disease Prevention and Control. Detection of new SARS-CoV-2 variants related to mink – 11 November 2020. ECDC: Stockholm; 2020.

21 – https://www.aljazeera.com/news/2020/11/13/greece-find-covid-19-among-mink-at-two-farms

22 – Statens Serum Institut. Preliminary rapport on SARS-CoV-2 spike mutations arising in Danish mink, their spread to humans and neutralization data. SARS-CoV-2 spike mutations arising in Danish mink and their spread to humans. www.ssi.dk (consulté le 13 novembre 2020)

23 – https://www.dw.com/en/denmark-tightens-lockdown-over-mink-coronavirus-mutation/a-55513862

24 – Communiqué de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France du 23 juillet 2020 : Les animaux contaminés par le SARS-CoV-2 représentent-ils un risque pour l’Homme ?

25 – Communiqué de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France du 5 novembre 2020 : Mutation du virus SARS-CoV-2 chez les visons danois et mesures de précaution

26 – Leroy E. et al. The risk of SARS-CoV-2 transmission to pets and other wild and domestic animals strongly mandates a one-health strategy to control the COVID-19 pandemic. One Health · April 2020 DOI: 10.1016/j.onehlt.2020.100133