Communication scientifique
Séance du 18 janvier 2005

Audit des pratiques obstétricales : influence sur la mortalité périnatale

Audit of obstetrical practices and prevention of perinatal deaths

Émile Papiernik, Martine Bucourt, Jennifer Zeitlin

INTRODUCTION

Dans notre époque marquée par une meilleure reconnaissance des droits des malades et par une crise médico-légale de grande ampleur, il est devenu indispensable que les professionnels et les institutions contribuant aux soins évoluent, vers des systèmes de réduction des risques sanitaires, en particulier une véritable prévention des accidents potentiellement évitables, [1, 2] comme l’ont fait les grands secteurs d’activité dans lesquels la sécurité est essentielle comme les transports aériens ou l’industrie nucléaire. Dans de nombreuses entreprises industrielles et commerciales existent des directions de la qualité, ce que peu d’entreprises de soins ont mis en place.

De fait, certains systèmes de prévention des accidents médicaux existent, même s’ils ne portent pas le nom de démarche de qualité. La présentation proposée porte sur une action de réduction des morts périnatales évitables à l’échelle de toutes les naissances d’un département, celui de la Seine-Saint-Denis, qui a commencé en 1989. Le mot audit est utilisé ici, selon l’usage proposé par la Société Européenne de Médecine Périnatale comme l’analyse systématique et critique de la qualité des soins, incluant les procédures et les résultats [3].

La demande initiale est venue de l’autorité politique du département, le Conseil Général, lequel, selon la loi sur la décentralisation de 1983, est responsable de la protection maternelle et infantile qui doit, définir les actions à entreprendre dans le domaine et examiner les résultats chiffrés de cette politique, en particulier les taux de mortalité périnatale et de mortalité infantile publiés par l’INSEE. Or entre 1982 et 1986, le taux de mortalité périnatale avait stagné dans ce département, contrastant avec la baisse constante constatée depuis 1945, début de la politique de Protection Maternelle et Infantile au niveau national, et avec la poursuite de la baisse des taux de mortalité périnatale dans les départements voisins d’Ile-de-France comme les Hauts-de-Seine.

La proposition faite aux responsables du Conseil Général de réaliser un audit des pratiques professionnelles des obstétriciens, des sages femmes et des pédiatres à partir de l’analyse des morts fœtales et des morts néonatales a été acceptée, après avis favorable obtenu des présidents des conseils de l’ordre des médecins et du conseil de l’ordre des sages femmes. Cet audit a pris la forme d’une analyse des causes de la mort, en vue d’envisager la possibilité de les éviter, sous le nom de Programme Périnatalité. Le Conseil Général du département a financé ce travail et continue à financer une « action périnatalité » qui en est le prolongement.

PATIENTES ET MÉTHODES

Le programme périnatalité a été lancé par le Conseil Général avec la constitution d’un comité de pilotage, d’un conseil scientifique et d’une équipe permanente au sein
du conseil général, ayant en charge la réalisation de l’intervention, depuis la mise au point du protocole, la réalisation des enquêtes, jusqu’à l’analyse et la présentation des résultats.

L’ensemble de l’action périnatalité du département a comporté trois phases, une première d’analyse des causes des morts périnatales et de leurs mécanismes, la seconde phase de mise au point des actions collectives de réduction des morts périnatales évitables, la troisième phase, qui se poursuit, a permis de faire fonctionner un mécanisme permanent d’amélioration continue de la qualité des soins autour de la naissance par une conférence de mortalité-morbidité entre tous les services, se réunissant tous les deux mois.

La population étudiée a été celle des naissances à partir de 22 semaines d’aménorrhée, (que les enfants soient vivants ou mort-nés), observées dans le département, ce qui représente 22.000 naissances par an en moyenne. La phase 1 décrite ci-dessous a inclus 67.819 naissances du 1/10/1989 au 30/9/1992. L’analyse des résultats de la politique de transferts des mères avant un accouchement prématuré a porté sur les naissances du 1/10/1998 au 31/3/1999. L’évaluation des résultats de l’action de réduction des morts périnatales a porté sur une première cohorte de 50.101 naissances du 1/1/1996 au 30/6/1998, puis sur une seconde cohorte de 21.474 naissances du 1/9/98 au 31/8/1999.

Les lieux de naissances étaient au nombre de 22 au début de l’action, dont 17 maternités privées sans service de pédiatrie (maternités de type 1), 5 maternités dans les hôpitaux publics dont une associée à un service de réanimation néonatale (maternités de type 3) et 4 associées à un service de pédiatrie sans réanimation intensive prolongée (maternités de type 2). Ce nombre a évolué du fait de la fermeture entre 1988 et 2000 de 7 maternités privées pour des raisons indépendantes de l’action périnatalité. Les équipes obstétricales du secteur public n’ont pas connu de changement notable dans le nombre des praticiens, mais la fermeture des maternités privées a réduit le nombre des praticiens en obstétrique, ceci malgré le regroupement de deux équipes dans l’une des maternités privées. De ce fait, l’activité des maternités publiques a considérablement augmenté, sans que le personnel soignant ni les budgets n’aient été adaptés.

Déroulement du programme périnatalité

La première phase de l’action est une étude cas/témoin, ayant eu pour objectif d’identifier tous les cas de mort fœtale et de mort néonatale et d’en déterminer les causes par : — une enquête auprès de la mère avant la sortie de la maternité, — l’étude du dossier obstétrical, — une autopsie du fœtus par le même fœtopathologiste, — une discussion du dossier avec l’obstétricien ou le pédiatre en charge de la mère ou de l’enfant pour définir le mécanisme lésionnel et leur connaître leur opinion sur l’évitabilité potentielle. Puis le dossier a été anonymisé. L’exhaustivité a été controlée par vérification des registres de chaque maternité. Pour chaque cas a été inclus un témoin afin de réaliser une étude des facteurs de risque de mortalitié
fœtale et de la mortalité néonatale par une comparaison cas et témoins, et leur mesure dans une régression logistique. Cette première phase a duré du 1/10/89 au 30/9/92. Elle avait été précédée par une période de préparation depuis septembre 1988 pour constituer un comité de pilotage réunissant sous les auspices du conseil général les réprésentants de chaque équipe obstétricale, du conseil de l’ordre des médecins et du conseil de l’ordre des sages-femmes. Un conseil scientifique a été mis en place, incluant un professeur de santé publique et des épidémiologistes. Le temps de préparation a été dévolu à la mise au point du protocole, à l’information des maires de toutes les communes du département pour les transports des corps des fœtus, à l’information des officiers d’état civil de chaque mairie, à la mise en place d’un accord avec le SAMU du département pour la connaissance des transferts d’enfants depuis les maternités vers les services de pédiatrie, à l’obtention d’un accord avec l’ACNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté).

Classement des causes de décès

Parmis les causes de décès ont en premier été identifiées les malformations congé- nitales, quel que soit le moment du décès, et en incluant dans le même groupe les interruptions médicales de grossesse pour malformation ; ces causes ont été considérées comme inévitables. Pour chacune des autres causes, les cas ont été regroupés autour d’un mécanisme principal, de telle sorte qu’une action pouvait éventuellement être proposée pour en prévenir la survenue : les causes obstétricales par difficulté mécanique ou anoxie perpartum, les causes liées à une hypertension artérielle maternelle, les causes placentaires, incluant les placenta proevia et les hématomes retro-placentaires, les infections in utero ou néonatales à germes figurés, le décès maternel. Un groupe de cas a été défini comme relevant de causes inconnues, lorsque le résultat fœto-pathologique ne donnait pas d’information sur le mécanisme du décès, enfin causes autres, quand la cause était connue, mais rare.

Analyse des facteurs de risque

La comparaison des cas et des témoins a permis de mesurer les facteurs de risque des morts fœtales, des morts néonatales, au moyen d’une analyse en regression logistique, permettant de définir la valeur prédictive de chaque facteur en tenant compte de tous les autres. Les facteurs de risque analysés ont été les prédicteurs habituels connus, mais aussi les facteurs de risque liés à l’organisation des soins, comme le site de naissance des enfants pour tenir compte de l‘organisation de la maternité, selon qu’elle était associée à un service de réanimation néonatale (type 3) ou à un service de pédiatrie sans réanimation (type 2) ou sans service de pédiatrie (type 1).

La seconde phase a eu pour objectif d’exploiter les résultats de la connaissance des mécanismes de décès pour définir des règles d’action permettant d’en réduire le nombre. Pour cela, l’analyse de chaque cas a été présenté à un groupe de discussion constitué par les réprésentants de chaque équipe obstétricale et pédiatrique, sous forme anonyme, en lui demandant de classer la cause du décès selon son mécanisme, et de définir pour chaque grande cause la ou les méthodes d’une possible prévention
et le plus souvent au prix de mesures de correction de l’organisation des soins. Cette seconde phase a débuté avec la préparation d’un premier colloque interne en novembre 1991, portant sur l’analyse des résultats selon la cause des décès survenus au cours des 18 premiers mois de l’action périnatalité. Elle a duré jusqu’à la présentation d’un second colloque final de présentation des résultats et des actions proposées en novembre 1993.

Les causes des morts périnatales ont été séparées en 5 groupes, selon la durée de grossesse, et selon l’existence ou non d’un retard de croissance fœtale. L’objectif poursuivi a été de mettre en évidence pour la ou les deux premières causes dans chacune des 5 catégories une ou deux actions de correction. Cette réunion régulière des professionnels a constitué de fait un nouvel organisme dénommé « staff intermaternités ». Les propositions du groupe de discussion ont été approuvées par le comité scientifique et par le comité de pilotage et sont devenues les « propositions d’action périnatale » du département, qui ont été présentées à l’ensemble des professionnels au colloque de novembre 1993.

L’une des propositions du groupe de discussion a été de demander au conseil général de continuer le financement de l’action périnatalité incluant le maintien du salaire du médecin fœto-pathologiste et d’un petit nombre d’enquêteurs pour vérifier l’exhaustivité des recueils d’information sur les naissances. Cette demande a été acceptée par le Conseil Général, ce qui a rendu possible la mise en œuvre d’une troisième phase non prévue dans la proposition initiale.

La troisième phase, non prévue au départ, mais résultant d’une demande des professionnels du département a débuté après le colloque de novembre 1993. Elle dure encore et consiste en la poursuite de réunions du « staff intermaternités » tous les deux mois. Les dossiers des morts fœtales ou néonatales continuent à être présentés par le médecin fœto-pathologiste, mais d’autres événements indésirables sont aussi présentés et discutés comme les dépistages des malformations et des anomalies chromosomiques, les complications du diabète gestationnel, les transferts d’enfants en réanimation. La principale évolution technique a été l’abandon de l’anonymat pour la présentation des dossiers grâce à l’instauration d’un climat de confiance, comme pour les discussion dans un service, avec néanmoins, le maintien de l’anonymat pour les informations entrées dans la base de données informatisée ou sous forme de document papier. C’est ce groupe organisé de discussions entre les professionnels (staff intermaternité) qui a été l’organe de discussion entre les obsté- triciens et les pédiatres pour la mise au point des transferts maternels avant un accouchement très prématuré de préférence aux transferts post-natal des enfants nés prématurés.. Cette réunion a ainsi été à l’origine de la constitution d’ un réseau entre tous les professionnels concernés par la naissance dès 1993, en avance sur le modèle qui deviendra obligatoire par les décrêts de périnatalité d’octobre 1998.

Le groupe permanent de ce réseau fait un compte rendu public chaque année auquel sont invités tous les professionnels concernés.

Les résultats de la 3ème phase ont été mesurés de trois façons complémentaires.

La première mesure des résultats a été obtenue par le suivi des chiffres de l’Institut de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), permettant une comparaison du type avant/après la mise en place de l’action périnatalité La seconde mesure a porté sur la mise en œuvre de la décision prise par les professionnels de transférer les mères avant un accouchement très prématuré (avant 33 semaines), vers une maternité de type 3.

La troisième mesure a comporté l’analyse des données de mortinatalité et de la mortalité néonatale établies directement à partir de données collectées par l’équipe de périnatalité du département. Pour obtenir la validité des données, il a été nécessaire de modifier le certificat de santé du 8ème jour de vie, cerficat obligatoire en France depuis 1972, mais comportant des questions à reponse pouvant être ambiguë, du fait de la non distinction entre une réponse négative et une absence de réponse. Elles ont été remplacées par des questions appelant à une réponse par oui, non ou réponse inconnue., Par ailleurs pour un petit nombre d’enfants, en particulier les enfants transférés, on ne disposait pas de certificat rempli par les pédiatres.

On a obtenu que les certificats soient tous remplis par un contrôle de l’exhaustivité sur les livres d’accouchements dans chaque maternité. Enfin on a ajouté un certificat portant sur les autres issues de grossesse, morts nés ou avortements tardifs à partir de 22 semaines, qui ne sont pas inclus dans le certificat du 8ème jour.

RÉ SULTATS

La première phase de l’action, l’enquête de mortalité périnatale, a porté sur 1.005 décès étudiés, avec une période de grossesse d’inclusion débutant à 22 semaines depuis le premier jour des dernières règles, jusqu’à 28 jours de vie après la naissance, pour 67.819 naissances du 1/10/89 au 30/9/1992.

Les morts liées à des malformations congénitales léthales et aux interruptions volontaires de grossesse pour malformation congénitale ou anomalies chromosomique, au nombre de 226 ont été exclues de l’analyse d’évitablité.

Hors malformation congénitale les morts périnatales sont au nombre de 779. Les cas et les mécanismes en cause sont distribués de façon très différente selon la durée de grossesse et l’existence ou non d’une anomalie de la croisance fœtale. Le tableau 1 décrit les principales causes de décès pour les cinq catégories de durée de grossesse, de 22 à 27 semaines, de 28 à 36 semaines sans retard de croissance fœtale ou avec retard de croissance fœtale les naissances à terme (37 semaines de grossesse ou plus) sans retard de croissance fœtale ou avec retard de croissance fœtale. Les résultats de l’étude des facteurs de risque de mortalité fœtale et néonatale par la technique de régression logistique sont décrits dans le tableau 2 pour les facteurs de risque liés à la structure de la maternité et pour les naissances de moins de 33 semaines, montrant de très importantes différences du risque de mort fœtale pendant l’accouchement et dans les premiers 28 jours de vie en fonction du type de la maternité. À noter que

TABLEAU 1. — Distribution par causes des décès fœtaux et néonataux (hors malformations congé- nitales et interruptions médicales de grossesse), observés du 1/10/1989 au 30/9/1992, (première phase de l’action de périnatalité).

Durée de 22/27 28/36 28/36 37 semaines 37 semaines grossesse semaines semaines semaines et plus et plus Présence ou non Croissance Retard de Croissance Retard de d’un retard fœtale croissance fœtale croissance de croissance fœtale normale fœtale normale fœtale Causes obstétricales 11 11 9 46 9 Hypertension artérielle 20 10 38 10 6 Placenta 34 48 28 23 8 Infections 69 33 15 12 8 décès maternel 0 2 0 3 0 Inexpliquées 38 20 47 27 19 Autres

TABLEAU 3. — Mesures de prévention proposées lors de la phase 2 en fonction de la durée de grossesse et de l’existence ou non d’un retard de croissance fœtale.

Durée de 22/27 28/36 28/36 37 semaines 37 semaines grossesse semaines semaines semaines et plus et plus

Croissance

Retard de

Croissance

Retard de fœtale croissance fœtale croissance normale fœtale normale fœtale

Causes Améliorer la obstétricales surveillance des accouchements Hypertension Améliorer la artérielle prise en charge des femmes hypertendues Placenta Organiser les transferts des mères vers les maternités de type 3 Infections Commencer Améliorer la plus tôt la prévention de prévention, la prématuorganiser les rité, transferts des mères vers les maternités de type 3 Inexpliquées Améliorer la Améliorer la Améliorer la reconnaissurveillance reconnaissance des des 2 derniè- sance de retards de res semaines l’hypotrophie croissance fœtale de croissance fœtale communes à l’ensemble des praticiens du département, au lieu des normes proposées par les vendeurs d’appareils d’échographie, qui sont différentes entre elles selon le fournisseur de l’appareil. Ce n’est donc pas une idée technique nouvelle qui est proposée mais une meilleure utilisation d’une information collectée par l’examen échographique et mal utilisée jusque-là. Une proposition complémentaire des professionnels quand un retard de croissance fœtale est reconnu est également nouvelle, c’est une démarche d’information du collègue obstétricien quand un échographiste reconnaît une anomalie lors de son examen, au lieu de rendre le résultat à la femme sans commentaire.

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Les résultats de la 3ème phase portent d’une part sur les données de l’INSEE et d’autre part sur les données recueillies localement.

Sur les données de l’INSEE, le taux de mortalité périnatale du département de Seine-Saint-Denis a décliné de 12,7 pour 1.000 naissances en 1986 (avant la mise en place de l’action périnatalité) à 10,5 pour 1.000 en 1990 et à 6,5 pour 1.000 en 1993, en net contraste avec la stagnation des taux au cours de 6 années précédentes de 1981 à 1986. On note que pour la France entière, les taux ont décru de 10,4 pour 1.000 en 1986 à 8,4 pour 1.000 en 1990 et à 7,5 pour 1.000 en 1993. Ainsi le retard du département de Seine-SaintDenis a été comblé, devenant meilleur que la moyenne nationale.

Les résultats concernant les transferts des mères vers une maternité de type 3 en cas d’accouchement très prématuré avant 33 semaines sont présentés dans les tableaux 4a et 4b, le 4a décrivant l’évolution de la distribution de toutes les naissances selon le type de maternité et le 4b l’évolution des distributions des naissances avant 33 semaines selon le type de maternité. Ces tableaux permettent la comparaison de deux périodes, avant l’installation de la politique de transfert des mères, 1989/1992 et après la mise en œuvre de cette politique du 1/10/98 au 31/3/99.

Le tableau 4a montre qu’il y a eu diminution significative du nombre et de la proportion des naissances en maternité de type 1 de 59 % à 50 %, évolution expliquée par la fermeture de plusieurs maternités privées. Le tableau 4b montre que pour les accouchements de moins de 33 semaines il y a eu une réduction majeure des naissances de grands prématurés,(de moins de 33 semaines) en maternité de type 1 (de 49,0 % à 5.4 %), au bénéfice d’une massive augmentation des naissances de ces enfants dans les maternités de type 3, (de 13.0 % à 65.1 %). Mais ce tableau montre aussi que la diminution espérée de ces naissances en maternité de type 2 n’a pas été aussi forte, avec une persistance de naissances de moins de 33 semaines en maternité type 2 (28,9 % en 1998/99 contre 37,2 % en 1989/92).

Les résultats concernant la mortinatalité sont présentés en taux pour 1.000 naissances totales, sur le tableau 5. Pour les accouchements à terme un progrès modeste a été obtenu pour les morts in utero avant le début du travail, non significatif, mais un progrès important a été obtenu pour les morts perpartum passant de 0,59 pour 1.000 en 1989/92 à 0,22 pour 1.000 en 1996/98, et 0,28 pour 1.000 en 1998/99. Pour les naissances des prématurés de 28 à 36 semaines, les morts in utero avant le début du travail ont été réduites de 1/3 de 2.74 pour 1.000 à 1.77 pour 1.000, différence significative, la réduction des morts perpartum de 0,55 pour 1.000 en 1989/92 à 0,42 pour 1.000 en 98/99 n’est pas significative. Pour les naissances de 22 à 27 semaines, une réduction significative de 30 % a été mesurée pour les morts in utero avant le début du travail (passant de 1.33 pour 1.000 à 0.98 pour 1.000) et une réduction significative de 30 % pour les morts perpartum de 1.92 pour 1.000 à 1.35 pour 1.000.

Les chiffres de la mortalité néonatale ont nettement augmenté, mais la comparaison avec la période précédente est difficile car la définition des cas à inclure a changé en 79
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TABLEAU 4 a. — Sites de naissances pour toutes les naissances avant et après la mise en place de la régionalisation.

La répartition des naissances a significativement changé pour toutes les naissances avec une réduction des naissances en maternité de type 1, en maternités privées, alors qu’elles ont augmenté dans les maternités de type 2 et 3, en secteur hospitalier.

du 1/10/89 au 30/09/92 du 1/10/98 au 31/03/99 Maternité de naissance N % N % TYPE 1 40.394 (59,6) 5.207 (50,1) TYPE 2 22.887 (33,7) 4.162 (40,1) TYPE 3 4.248 (6,3) 983 (9,5) Domicile 290 (0,4) 29 (0,3) TOTAL 67.819 (100) 10.381 (100) TABLEAU 4 b. — Sites de naissances des enfants de moins de 33 semaines, avant et après la mise en place de la politique de régionalisation.

Le changement est très important avec une la quasi disparition de ces naissances en maternité de type 1, et une augmentation de ces naissances en maternité de type 3, alors que la réduction des naissances en maternité de type 2 est modeste.

1/10/89 au 30/9/92 du 1/10/98 au 31/03/99 Maternités de naissance N (%) N (%) TYPE 1 310 (49,0) 8 (5,4) TYPE 2 235 (37,2) 43 (28,9) TYPE 3
janvier 1993, par la nouvelle loi sur l’État Civil, en intégrant toutes les naissances vivantes avant 28 semaines (de 22 à 27 semaines d’absence de règles), qui n’étaient pas jusque-là décomptées dans les naissances.

DISCUSSION

L’objectif d’un audit de pratique dans le domaine de la sécurité à la naissance est d’identifier des « accidents évitables », en se fixant un objectif de réduction des accidents, par l’amélioration des pratiques médicales ou par la correction de dysfonctionnements dans l’organisation des soins. Ces méthodes ont été largement utilisées dans les pays du nord de l’Europe [4-9] mais aussi en France [10-11] avec une claire identification du facteur humain dans les accidents périnataux [12].

La technique de l’audit a été utilisée dans d’autres domaines de la pratique professionnelle médicale comme la chirurgie des artères coronaires dans les États de New York [13] et du Massachusetts [14]. L’objectif est toujours le même, améliorer les comportements des professionnels sur chaque geste, en démontrant l’effet négatif d’un geste ne répondant pas à une démarche de qualité [15].

L’audit est une démarche qui va à l’inverse de la recherche d’une culpabilité personnelle comme le fait la démarche judiciaire, et l’anonymat de la collecte de l’information est l’un des moyens de prouver aux participants qu’ils ne pourront pas être poursuivis ou inquiétés du fait de la connaissance du processus ayant abouti à un accident [16]. Il est difficile d’obtenir d’emblée un tel état d’esprit, mais nous avons montré que c’est possible, puisque les préventions initiales ont disparu au point de pouvoir présenter les cas sans la protection de l’anonymat, avec la même confiance que ce qui se produit dans une réunion de service.

Le simple fait d’observer la réalité en mesurant les résultats objectifs pourrait avoir un effet positif sur la pratique des professionnels. C’est ce que suggère notre travail par l’observation de la remarquable amélioration des chiffres de mortalité périnatale dans le département de la Seine-Saint-Denis mesurés par l’INSEE entre 1986 et 1993, par comparaison avec la stagnation des chiffres de 1981 à 1986, alors qu’aucune action spécifique de correction n’avait encore été mise en place, sinon celle d’examiner tous les cas.

En ce qui concerne l’effet des mesures décidées après la phase initiale d’analyse, il n’est pas possible d’attribuer l’amélioration des résultats aux seules mesures proposées, car parallélement de grands progrès ont modifié la pratique obstétricale et pédiatrique. Il faut noter d’ailleurs que les techniques obstétricales elles-mêmes ont peu progressé, comme la surveillance du rythme cardiaque fœtal déjà en usage auparavant, mais le changement le plus notable a porté sur les indications de césarienne devenues plus fréquentes pour l’ensemble des accouchements.

Il est donc possible de croire que l’amélioration des chiffres de mortinatalité ont bien été le fait d’une plus grande attention accordée par les obstétriciens et les sages 81
Bull. Acad. Natle Méd. , 2005, 189 , no 1, 71-85, séance du 18 janvier 2005 femmes aux signes d’alarme survenant pendant la grossesse ou pendant l’accouchement.

Il est pour l’instant impossible d’interpréter correctement l’évolution des chiffres de mortalité néonatale. Ces chiffres ont été profondément modifiés, mais avec de telles évolutions dans les pratiques médicales que leur mise en relation des chiffres de mortalité néonatale avec une action isolée est impossible. En effet, c’est en même temps qu’ont été mis en place un grand changement dans l’organisation des soins et de nouvelles thérapeutiques. C’est après 1993 qu’a été mise en place dans le département l’idée nouvelle qu’il était préférable de transférer la mère avant un accouchement très prématuré vers une maternité associée à un service de réanimation néonatale plutôt que de transférer l’enfant prématuré après la naissance, mais aussi qu’ont été appliqués en pratique courante deux progrès techniques considérables comme la maturation prénatale du fœtus par le traitement corticoïde de la mère et l’utilisation courante d’un surfactant artificiel comme traitement néonatal immé- diat du nouveau né très prématuré.Ces deux techniques ont réduit d’un facteur important la gravité immédiate des détresses respiratoires enfants nés très prématurément.

À l’inverse les règles d’inclusion dans les déclarations de naissance des enfants à la limite de viabilité ont été modifiées par la loi sur l’État Civil de janvier 1993 pour inclure les enfants nés avant 28 semaines de grossesse et présentant un signe de vie Cette évolution légale a fait inclure dans les naissances des issues de grossesse jusque là considérées comme des avortements et dont la prise en compte a augmenté de façon importante les morts néonatales immédiates. De plus les pratiques des services de réanimation néonatale ont changé, avec dans certains cas, des décisions d’arrêts de soins, qu’il faut analyser plus en détail comme dans l’étude EPIPAGE [17] Ce que cette étude permet de mettre en évidence sans conteste, c’est la réalité de la mise en œuvre des tranferts de la mère dans une maternité de type 3 avant un accouchement très prématuré. Cette option qui n’était acceptée en France que dans la région des Pays de Loire, a reçu une très forte impulsion à partir des constats de l’action périnatalité de Seine-Saint-Denis présentés en Novembre 1993 et repris par le plan de périnatalité du gouvernement d’avril 1994, plan devenu obligatoire par les décrets de périnatalité du 9/10/1998.

Ce travail montre qu’il a été possible de mettre en œuvre ce que nous appelerions actuellement une revue de mortalité-morbidité, concernant une événement indésirable marquant comme la perte d’un enfant à la naissance, en obtenant la participation à cette action de tous les praticiens obstétriciens et pédiatres néonatologistes d’un département, qu’ils exercent dans le secteur privé ou dans le secteur public.

L’action a été rendue possible par l’engagement fort de l’autorité politique du département, par son exigence de qualité, mais aussi en offrant le financement adapté.

L’action a été acceptée et considérée comme positive par les praticiens dans la mesure où elle respectait la règle fondamentale de ne pas considérer l’événement 82
Bull. Acad. Natle Méd. , 2005, 189 , no 1, 71-85, séance du 18 janvier 2005 indésirable comme une faute mais comme une circonstance à analyser, pour en déduire des principes d’amélioration des pratiques et des organisations de soins.

REMERCIEMENTS

L’audit, depuis l’enquête périnatale initiale jusqu’aux actions actuelles qui lui font suite, a été financé par le Conseil Général du Département de la Seine-Saint-Denis.

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DISCUSSION

M. Maurice-Antoine BRUHAT

Peut-on reconnaître des facteurs concernant des défauts d’organisation et des facteurs plus proprement médicaux assurant une prédictibilité qui appellerait une démarche thérapeutique ?

Oui, des insuffisances d’organisation des soins ont été reconnus comme contributeurs à un excès de mortalité périnatale, comme le modèle d’organisation des maternités selon qu’elles sont associées à un service de réanimation néonatale (type 3) à un service de pédiatrie néonatale sans réanimation (type 2), ou ne disposent pas de service de pédiatrie adjacent (type1). L’excès de mortalité a été mesuré pour les enfants prématurés, alors que la structure des maternités n’a pas d’effet mesurable par la mortalité pour les enfants à terme. Cette constatation faite au cours de ce travail dans le département de la SeineSaint-Denis a été l’un des arguments pour faire accepter par la communauté des obstétriciens une nouvelle politique de transfert de la mère vers une maternité de type 3 en cas de menace d’accouchement très prématuré, avant 32 semaines d’absence de règles, politique rendue obligatoire par décision du gouvernement par les décrets de périnatalité d’octobre 1998.

M. Georges DAVID

Un des critères objectifs de l’amélioration de la sécurité dans une discipline donnée est l’évolution des primes d’assurance en responsabilité civile. Bien entendu, ce critère n’est applicable qu’au secteur privé puisque le secteur hospitalier est en auto-assurance. Dans l’expérience de la Seine-Saint-Denis, il y avait des cliniques privées et donc des médecins soumis aux primes d’assurances. Comment ont évolué, pour eux, les primes d’assurances ?

Je ne peux pas répondre à cette question, elle n’a pas été prévue dans notre recherche, mais je crois que les assureurs n’ont pas encore mis en place de régulation du montant des cotisations en fonction du risque précis de sinistralité mesuré pour chaque praticien ou pour chaque hôpital privé. Cependant les obstétriciens de ce département ont exprimé leur impression d’une réduction de leur crainte médico-légale, par la voix d’un responsable syndical. Ce qui est objectif, c’est que le risque de plainte a été réduit par la diminution importante des morts nés, mais aussi par l’évolution culturelle introduite par la démarche de recherche de la vérité sur la cause réelle du décès. Les praticiens ont pu ainsi connaître par la fœto-pathologie et par l’analyse collective du dossier la cause réelle du décès, ils ont pu dire cette vérité à la mère et au père.

M. Christian NEZELOF

Dans une expérience de pédo-pathologiste, j’ai pu constater que la mortalité néo-natale de 25 %, demeure sans explication scientifique, même après une confrontation anatomoclinique très attentive. Quelques affections récemment isolées, telles que les déficits en surfactant, ont apporté une réponse partielle. D’autres doivent être découvertes. Quel est le pourcentage, dans votre expérience, de morts inattendues demeurées sans explication ?

Notre travail de confrontation anatomo-clinique n’a effectivement pas pu définir de cause dans certains cas. Pour la période de trois ans initiale, le nombre de morts périnatales incluses dans notre analyse a été de 1.005, dont 151 ont été classées comme mort fétale in utero inexpliquée, malgré les autopsies, les examens de placenta (dont un prélèvement bactériologique) et les caryotypes.

M. Jacques-Louis BINET

Pourquoi une telle enquête n’est-elle pas pratiquée à l’AP-HP ?

Une telle enquête et la mise en place d’actions de correction n’a pas eu lieu à l’AP-HP, pour deux raisons, la première est que l’Institution ne l’a pas demandée, alors que en Seine-Saint-Denis, c’est l’autorité publique du département qui l’a exigée, la seconde raison est que les collègues ne sont pas d’accord pour un tel examen de leur qualité de travail si la demande vient de l’un d’entre eux. Par contre l’AP-HP confrontée à l’évolution des plaintes a décidé récemment de mettre en place un programme d’action pour l’identification et la gestion des évènements indésirables liés à la pratique médicale et de soins, dans le but de réduire leur fréquence et leur gravité. Cette action de prévention va utiliser des techniques très voisines de celles de l’action périnatalité de Seine-SaintDenis avec le projet de mise en place de revues de mortalité-morbidité dans tous les services, selon les recommandations de l’ANAES, et pour les évènements les plus graves, l’utilisation d’enquêtes approfondies selon des protocoles bien précis, non pas à la recherche d’une culpabilité, mais pour la mise en évidence de causes profondes tenant à l’organisation des soins, confiées à un bureau d’enquêtes-accidents à la façon du Bureau Enquêtes-Accidents de l’aviation civile.

Mme Monique ADOLPHE

Pourriez-vous nous préciser la durée de votre audit ? Cet audit s’est-il arrêté à une date précise ?

L’audit a débuté en 1987 par la mise en place d’un financement spécifique par le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, en particulier pour le salaire d’un médecin fœtopathologiste chargé des autopsies et de l’animation des réunions de confrontations anatomo-cliniques tous les deux mois, ce financement est toujours actuellement en place et l’action continue avec la réalisation des autopsies et des réunions de discussion des causes et des modalités pour faire mieux. Votre question, Madame me permets d’insister sur le fait que l’évaluation des pratiques professionnelles a un coût, à confronter avec la possibilité d’amélioration des résultats objectivement mesurée pour 22.000 naissances par an.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 1, 71-85, séance du 18 janvier 2005