Communication scientifique
Séance du 15 janvier 2002

Apport de la génétique dans les cardiomyopathies

MOTS-CLÉS : cardiomyopathies. génétique.
Genetics of cardiomyopathies
KEY-WORDS : genetics.. myocardial diseases

M. Komadja

Résumé

Les cardiomyopathies sont des maladies du muscle cardiaque d’origine inconnue. Elles sont associées à une forte morbidité, marquée par des poussées d’insuffisance cardiaque à l’origine d’hospitalisations récurrentes et d’une mortalité élevée par insuffisance cardiaque ou mort subite. On distingue les cardiomyopathies hypertrophiques caractérisées par un épaississement anormal des parois ventriculaires, familiales dans plus de 50 % des cas et les formes dilatées, caractérisées par une dilatation progressive des cavités cardiaques, familiales dans environ 30 % des cas. Différents gènes ou loci chromosomiques sont maintenant identifiés dans les formes familiales. Des gènes de susceptibilité sont également reconnus dans les formes sporadiques de cardiomyopathie dilatée. Enfin, des gènes modificateurs influençant le profil évolutif ou la présentation clinique de la maladie ont été identifiés dans ces deux variétés. L’analyse des facteurs génétiques prédisposant à ces états pathologiques est prometteuse : elle devrait permettre une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires qui sous-tendent la maladie ; une identification précoce des patients à risque de développer ces affections afin d’entreprendre une prise en charge précoce et l’essor de la pharmacogénétique dans l’insuffisance cardiaque.

Summary

Cardiomyopathies are diseases of cardiac muscle of unknown origin and responsible for a high morbidity and mortality by sudden death or progressive heart failure. The two main forms are ; hypertrophic cardiomyopathies characterized by an increased thickness of ventricular walls which are familial in more than 50 % of cases ; dilated cardiomyopathies with a progressive cardiac dilatation which are familial in approximately 30 % of cases. Different genes or chromosomal loci are associated with familial forms of cardiomyopathies. Susceptibility genes have also been recognised in sporadic cases of dilated cardiomyopathy. Finally, modifier genes which influence progression or clinical presentation of the disease have been identified. Identification of genetic factors associated with cardiomyopathies has promising perspectives : A better understanding of molecular mechanisms underlying the disease ; early identification and management of patients at risk allowing ; development of pharmacogenomics in heart failure.

L’insuffisance cardiaque représente l’étape ultime d’un grand nombre de maladies cardiaques. La compréhension des facteurs associés au développement ou à la progression de la maladie a beaucoup évolué et le rôle de facteurs génétiques a ainsi été mis en évidence dans une cause fréquente d’insuffisance cardiaque, les cardiomyopathies. Celles-ci sont définies comme des maladies primitives du muscle cardiaque ; on en distingue deux principales variétés : les formes hypertrophiques et les formes dilatées.

LA CARDIOMYOPATHIE HYPERTROPHIQUE

La cardiomyopathie hypertrophique (CMH) se caractérise par une hypertrophie du ventricule gauche, prédominant sur le septum inter-ventriculaire, survenant en l’absence de toute cause connue [1]. Les progrès récents de la génétique moléculaire dans ce domaine ont permis d’établir les bases physiopathologiques de la maladie, et ils nous apportent les outils qui permettent d’en réévaluer le spectre clinique. Ces données sont issues pour bonne partie du réseau français d’étude des cardiomyopathies hypertrophiques que nous coordonnons.

Épidémiologie et fréquence des formes familiales

Après avoir été longtemps sous-estimée, la prévalence de la CMH a été évaluée à 0,2 % dans une population adulte jeune. Les études échographiques menées dans les années 80 ont indiqué que les formes familiales représentaient environ 50 % des cas.

L’identification d’un certain nombre de mutations de novo , ainsi que l’expression tardive de la maladie lorsque certains gènes sont impliqués, permettent en outre de penser que cette fréquence est sous-évaluée. Au sein de ces familles, le mode de transmission est presque toujours autosomique dominant même si d’autres modalités ont pu être évoquées.

Gènes impliqués et études fonctionnelles

Depuis l’identification en 1990 du premier gène impliqué dans la CMH, codant la chaîne lourde bêta de la myosine, neuf autres gènes ont été identifiés (Tableau 1).

Tableau 1. — Gènes responsables de cardiomyopathies hypertrophiques.

Locus

Gène

Référence 14q11-q12 Chaîne lourde β de la myosine (MYH7) Geisterfer (1990) 1q3 Troponine T cardiaque (TNNT2) Thierfelder (1994) 15q2 α-Tropomyosine (TPM1) Thierfelder (1994) 11p11.2 Protéine C cardiaque (MYBPC3) Carrier (1995 ; Watkins (1995) 12q23-q24 Chaîne légère régulatrice de la myosine (MYL2) Poetter (1996) 3p21 Chaîne légère essentielle de la myosine (MYL3) Poetter (1996) 19p13-q13 Troponine I cardiaque (TNNI3) Kimura (1997) 15q14 Actine cardiaque (ACTC) Mogensen (1999) 2q31 Titine (TTN) Satoh (1999) 7q3 γ2-Protéine kinase AMP-dépendante (PRKAG2) Gollob (2001) L’hétérogénéité génétique est encore accentuée par les nombreuses mutations identifiées au sein de ces gènes (>150 au total), aucune ne prédominant par sa fréquence [2]. La plupart des mutations sont des mutations faux-sens (modifiant un seul acide aminé de la protéine), mais d’autres mutations ont également été retrouvées (aboutissant habituellement à un codon stop avec synthèse d’une protéine tronquée), en particulier dans le gène le la protéine C cardiaque [3]. Tous ces gènes ont en commun de coder des protéines du sarcomère et un certain nombre d’études fonctionnelles ont été réalisées pour préciser les mécanismes par lesquels les mutations conduisent à la CMH. Les analyses in vitro retrouvent pour la plupart une altération de la fonction des sarcomères (unité contractile de base de la cellule cardiaque). La production d’animaux transgéniques a permis d’observer le développement d’un phénotype très similaire à celui observé chez l’homme, avec une altération initiale de l’hémodynamique (relaxation) suivie d’anomalies histologiques puis ensuite d’une dilatation atriale ou d’une hypertrophie ventriculaire [2]. L’ensemble de ces résultats suggère que les mutations entraînent une altération primitive de la fonction des sarcomères, avec défaut de production d’énergie, suivie d’une hypertrophie compensatrice.

Pénétrance et expressivité de la maladie

Les données issues d’études pré-moléculaires indiquaient que la maladie apparaissait pendant l’enfance ou l’adolescence, donnant lieu à une hypertrophie qui ne progressait plus chez l’adulte. L’identification de mutation responsable de la mala-
die dans diverses familles a rapidement conduit à la mise en évidence de « porteurs sains », c’est-à-dire d’individus cliniquement sains (au regard des critères conventionnels) mais porteurs de mutation, y compris chez l’adulte, ces « porteurs sains » représentant près de 30 % des adultes [4].

Relations phénotype-génotype

Étant donnée la grande variabilité d’expression clinique de la maladie, des études ont été menées pour déterminer dans quelle mesure l’hétérogénéité génétique de la maladie pouvait rendre compte de l’hétérogénéité clinique, ou phénotypique. Quelques relations ont ainsi pu être établies concernant les trois gènes les plus fréquemment impliqués dans la maladie (Myosine, Protéine C, Troponine T) [5-7]. Tous ces résultats pourraient se révéler particulièrement utiles dans l’évaluation du pronostic chez les patients atteints de CMH en permettant une prise en charge clinique plus adaptée et un meilleur conseil génétique. Ces résultats doivent cependant être considérés comme préliminaires et nécessitent confirmation dans la mesure où les populations étudiées sont faibles et aussi en raison de quelques exceptions aux règles précédemment décrites.

Gènes modificateurs

Du fait de la variabilité clinique intra-familiale, chez des individus qui sont donc porteurs du même gène muté, l’influence de facteurs génétiques additionnels et de facteurs environnementaux sur l’expression de la maladie est très probable. Le polymorphisme Insertion/Délétion du gène de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE) apparaît comme un gène modificateur puisque les individus porteurs du génotype D/D ont une masse ventriculaire gauche (VG) plus importante, et sont peut être exposés à une plus grande incidence de mort subite. L’analyse de familles dans lesquelles le gène majeur muté a été identifié indique cependant que ce lien entre le polymorphisme I/D de l’ACE et le degré d’hypertrophie n’est valable que pour certaines des mutations causales. Le rôle de polymorphisme génétique dans deux autres gènes a également été retrouvé : les gènes de l’endothéline 1 et du récepteur AT1 de l’angiotensine II.

Évaluation et révision des critères diagnostiques

L’une des implications cliniques de la génétique moléculaire des CMH est l’évaluation de la pertinence des critères diagnostiques habituellement utilisés. Les études pré-moléculaires présentaient l’inconvénient majeur de ne pas disposer de critères de référence, d’où des biais de recrutement importants. Quelques études se sont développées ces dernières années dans des familles de CMH avec mutation identifiée pour réévaluer les critères diagnostiques de la maladie, en utilisant le statut génétique comme critère de référence et les individus génétiquement sains comme groupe contrôle [4]. La spécificité de l’échographie et de l’ECG s’est ainsi révélée très bonne
(= 95 %) mais leur sensibilité particulièrement faible [4] (en raison de la fréquence des porteurs sains). Cependant, les « porteurs sains » présentent souvent des anomalies mineures, ce qui conduit au développement actuel d’études complémentaires pour analyser la valeur de critères additionnels. Chez l’enfant, cette stratégie a permis récemment d’identifier dans une population française quatre critères additionnels qui, lorsqu’ils sont associés aux critères conventionnels, permettent d’identifier près de 90 % des porteurs de mutation (contre un peu plus de 50 % avec les critères conventionnels), avec une spécificité qui reste bonne (95 %). Ceci ouvre la voie à une véritable révision des critères diagnostiques de la maladie.

Développement de consultations de conseil génétique

Les interrogations des patients et des familles, ainsi que les demandes des cardiologues traitants, ont conduit le réseau français d’étude des cardiomyopathies hypertrophiques à une réflexion approfondie sur le développement de consultations multidisciplinaires de conseil génétique qui soient spécifiques aux CMH. La première consultation a été créée au CHU de La Pitié-Salpêtrière en 1999, et d’autres se mettent actuellement en place. Le but est de donner l’information la plus complète et actualisée possible au travers d’une approche pluridisciplinaire qui fait intervenir le cardiologue, le généticien clinicien et le psychologue, au cours d’une même consultation. Les demandes concernent le plus souvent le diagnostic « prédictif », chez un sujet cliniquement « sain » qui souhaite savoir s’il est malgré tout « porteur sain », et le conseil diagnostic prénatal chez un couple dont l’un des membres est affecté par la maladie.

Orientations actuelles de la recherche

Malgré les progrès de la génétique moléculaire, les implications thérapeutiques apparaissent encore très lointaines. En revanche, des implications cliniques vont certainement se préciser, concernant l’amélioration de la performance diagnostique des outils cliniques pour mieux dépister les porteurs sains, le suivi de ces porteurs sains pour déterminer s’ils sont à risque de développer la maladie, l’approfondissement des relations phénotype-génotype pour préciser l’intérêt du génotypage dans la stratification pronostique des patients. Tous ces progrès devraient contribuer à l’amélioration de la prise en charge des patients et de leur information.

LA CARDIOMYOPATHIE DILATÉE

La cardiomyopathie dilatée (CMD) idiopathique se caractérise par une dilatation du ventricule gauche (et parfois du ventricule droit) associée à une altération de sa fonction contractile [1]. Il s’agit d’une des principales causes d’insuffisance cardiaque et de la première indication de transplantation cardiaque à égalité avec les cardiopathies ischémiques.

ÉPIDÉMIOLOGIE

La cardiomyopathie dilatée (CMD) idiopathique est la plus fréquente des cardiomyopathies. L’incidence de la maladie est évaluée aux États-Unis à 6 pour 100 000 habitants et la prévalence à 36 pour 100 000 habitants. Ces chiffres issus d’études rétrospectives, sont probablement nettement sous-évalués puisque les cas asymptomatiques ou modérément symptomatiques ne sont pas ou peu représentés. La maladie survient trois fois plus fréquemment chez l’homme et le sujet de race noire, en comparaison avec la femme et le sujet de race blanche.

GÉNÉTIQUE DES CMD FAMILIALES MONOGÉNIQUES

La fréquence des formes familiales de la maladie

Elle a longtemps été sous-estimée faute d’étude prospective. Le travail prospectif de Michels et coll. est le premier à avoir montré la part non négligeable de ces formes familiales puisque dans une population de 59 probants, 12 avaient des apparentés au premier degré atteints, soit 20 % des cas [8]. Plusieurs études ultérieures ont confirmé cet ordre de grandeur (environ 25 %).

La transmission

Elle se fait le plus souvent sur le mode autosomique dominant [8] mais d’autres sont possibles. Diverses études ont rapporté une transmission récessive liée à l’X, plus rarement un mode de transmission autosomique récessif, enfin parfois une transmission mitochondriale.

Le phénotype (expression clinique)

L’analyse précise du phénotype indique qu’au sein même des formes à transmission autosomique dominante, plusieurs entités peuvent être distinguées : la CMD « pure » ou isolée (la plus fréquente) ; la CMD associée à des troubles de conduction auriculo-ventriculaire ou des tachyarythmies (précédant habituellement l’apparition de la CMD) ; enfin la CMD associée à des manifestations extracardiaques : une myopathie fruste, une élévation isolée des CK sériques, une surdité.

Pénétrance de la maladie

Elle apparaît incomplète chez l’adulte mais celle-ci n’a été évaluée pour le moment qu’indirectement. Dans des familles françaises de CMD à transmission autosomique dominante, la pénétrance est de 72 % chez l’adulte, et l’âge de début de la maladie est significativement influencé par le sexe (début plus précoce chez l’homme) [9].

Identification des gènes et locus

La maladie se révèle génétiquement hétérogène avec un grand nombre de gènes ou locus identifiés comme responsables de la maladie (Tableau 2) et revue in [10].

La première anomalie génique a été identifiée en 1993 dans une famille atteinte de CMD avec un mode de transmission lié au chromosome X [11]. Il s’agissait d’une délétion de la région 5′ intéressant la région promotrice et le premier exon du gène codant la dystrophine. Ce gène est impliqué dans les dystrophies musculaires de Duchenne et Becker, qui comportent souvent une cardiomyopathie, mais dans la famille étudiée par Muntoni il n’y avait pas de signes de myopathie squelettique (en dehors d’une élévation de la créatine kinase sérique). Des études ultérieures ont confirmé l’implication de ce gène avec la mise en évidence de courtes délétions (exons 45 à 49, 48-49, 49 à 51), mutations ponctuelles (site d’épissage du premier intron, exons 9 et 29), ainsi qu’une duplication (exons 2 à 7).

Tableau 2. — Gènes et loci responsables de cardiomyopathies dilatées familiales.

Transmission

Locus

Gène

Référence

Autosomique dominant 1q32 Troponine T cardiaque Kamisago (2000) 14q11 Chaîne lourde β de la myosine Kamisago (2000) 9q22-q31 ?

Jha (2001) 2q31 Titine Gerull (2001) 2q14-q22 ?

Jung (1999) 2q35 Desmine Li (1999) 5q33-q34 δ-sarcoglycane Tsubata (2000) 6q12-q16 ?

Sylvius (2000) 9q13-22 ?

Krajinovic (1995) 15q14 Actine cardiaque Olson (1998) + Prolapsus valvulaire 10q21-23 ?

Bowles (1996) mitral + BAV/arythmies 1p1-q1 Lamines A/C Fatkin (1999) 3p22-25 ?

Olson (1996) +Dystrophie musculaire 6q23 ?

Messina (1997) + Surdité 6q23-24 EYA4 Schönberger (2001) Lié à l’X Xp21 Dystrophine Muntoni (1993) BAV : bloc auriculoventriculaire.

Le premier gène responsable de formes autosomiques dominantes a été identifié en 1998. Il s’agit du gène codant l’actine cardiaque, localisé sur le chromosome 15 [revue in 10]. Deux mutations faux sens (Arg312His et Glu316Gly) ont été trouvées dans deux petites familles non apparentées. Les mutations affectent la protéine sarcomérique de la bande Z dont on sait qu’elle est en interaction avec le cytosquelette. Ce gène paraît en fait rarement impliqué dans les CMD familiales puisque des études ultérieures n’ont pas trouvé de mutation dans diverses populations, notamment françaises [12], soit au total plus de 130 cas-index (formes familiales) et 195 cas sporadiques [12].

Le gène de la desmine, codant une protéine des filaments intermédiaires, apparaît également responsable de formes familiales autosomiques dominantes. La mutation Ile451Met a été identifiée dans une seule famille et le gène paraît rarement impliqué dans les CMD [12]. Récemment, plusieurs mutations ont été décrites dans le gène codant, la chaîne lourde de la myosine cardiaque. Le gène des lamines A/C est responsable de CMD associées à un phénotype particulier, Fatkin et coll. ont identifié une mutation dans 5 familles (5 mutations faux-sens) où la CMD s’associe à des troubles de conduction auriculo-ventriculaire ou des dysfonctions sinusales ou encore des troubles du rythme supraventriculaires [13]. Plus de 50 % des malades dans ces familles avaient été appareillés par stimulateur cardiaque. Ces troubles de conduction/rythme ont la particularité d’apparaître avant le début de la CMD. Ce gène, codant des protéines de l’enveloppe nucléaire, est également responsable de certaines myopathies comme la maladie d’Emery-Dreifuss ou la dystrophie des ceintures.

Plus récemment encore, le gène codant le delta-sarcoglycane a été identifié comme responsable de formes autosomiques dominante de CMD. L’examen clinique neuromusculaire était normal. La protéine appartient au complexe des glycoprotéines associées à la dystrophine (DAG).

D’autres localisations génomiques ont été trouvées sans que les gènes soient encore identifiés [revue in 10]. Il faut ajouter le locus trouvé tout récemment sur le chromosome 6q12-q16 dans une grande famille française [14].

Comment ces mutations aboutissent à la maladie ? La réponse est purement spéculative en l’absence de données expérimentales. Il faut d’abord remarquer que les gènes impliqués codent des protéines du cytosquelette régissant les interactions entre la membrane plasmique, le sarcomère, la membrane nucléaire. Les hypothèses physiopathologiques qui prévalent actuellement, de part la nature des gènes impliqués, sont :

— une anomalie de transmission de la force de contraction générée par le sarcomère (aux sarcomères/myocytes adjacents) ;

— une anomalie des protéines contractiles ;

— une perte de stabilité du noyau.

GÉNÉTIQUE DES CMD SPORADIQUES

Les formes non familiales de CMD constituent la grande majorité des cas et la maladie est ici considérée comme multifactorielle avec composante génétique vraisemblable.

On distingue parmi les facteurs génétiques impliqués dans ces formes sporadiques, d’une part des gènes de susceptibilité (Tableau 3) qui représentent des facteurs de risque de développer la maladie (l’analyse porte sur des études cas-témoins), d’autre part des gènes modificateurs (Tableau 4) qui modulent l’évolution de la maladie lorsque celle-ci est apparue (l’analyse porte notamment sur les courbes de survie de Kaplan-Meier).

Tableau 3. — Cardiomyopathies dilatées et gènes de susceptibilité.

Gène

Polymorphisme

Odds-rati CI 95 %

Référence

PAF acetyl-hydrolase G994T 1,9 (1,3-2,9) Ichihara (1998) SOD 2 Vall6Ala 2,30 (1,27-3,33) Iroi (1999) HLA-DR DRB1*1401 3,46 (1,99-4,93) Iroi (1999) ETA Exon 8 C/T 1,9 (1,2-3,0) Charron (1999) Tableau 4. — Cardiomyopathies dilatées et gènes modificateurs.

Gène

Polymorphisme

Survie

Référence

ACE I/D 49 % vs 72 % à 5 ans Andersson (1996) Bêta-2 AR I1164Thr 42 % vs 76 % à 1 an Liggett (1998) AMPD1 mut. Non sens OR 8,6 à 5 ans Loh (1999) ACE : enzyme de conversion de l’angiotensine.

Gènes de susceptibilité

Les premières études cas-témoins ont analysé le rôle du gène codant l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE), à travers le polymorphisme insertion/délétion situé dans l’intron 16. Une première étude a rapporté une association entre le polymorphisme I/D de l’ACE et la maladie (génotype DD plus fréquent chez les malades (35,7 % vs 24 %, p. 0,008, n = 112 cas et 79 contrôles) mais les résultats ont été mis en question en raison de biais méthodologiques (équilibre de HardyWeinberg non respecté par exemple). De plus, plusieurs études ultérieures ont toutes trouvé des résultats négatifs.

A partir de 1998, quelques études ont analysé le rôle potentiel d’autres gènes. Une absence d’association a été trouvée pour divers polymorphismes dans les gènes codant le TNF-alpha, le récepteur bêta-2 adrénergique. Une association a en revanche été trouvée dans une population japonaise entre la maladie et deux gènes codant pour des protéines impliquées dans le stress oxydatif : le Platelet Activating Factor (PAF) acetyl hydrolase (Odds ratio 1,9, CI 95 % 1,3-2,9 ; 122 cas et 226 témoins) et la superoxyde dismutase SOD 2 (OR 2,3 ; CI 95 % 1,27-3,33 ; 86 patients et 380 témoins). Une association avec un allèle du système HLA a également été trouvée (HLA-DRB1*104 ; OR 3,46 ; CI 95 % 1,99-4,93) [revue in 10]. Ces données concernent des études menées dans des populations japonaises et on ne sait pas encore si elles s’appliquent à d’autres populations.

L’étude CARDIGÈNE a permis d’identifier récemment le rôle du système des endothélines dans la maladie [15]. Cette étude multicentrique française a inclus 430 patients et 400 témoins, ce qui constitue la plus grande population de CMD idiopathiques réunie à ce jour dans une enquête génétique. Le polymorphisme C/T de l’exon 8 du gène codant le récepteur de type A aux endothélines est associé à la maladie dans cette étude cas-témoins puisque les patients homozygotes pour l’allèle T ont un plus grand risque de développer la maladie (OR 1,9 ; 95 % CI 1,2-3,01 ;

p. < 0,006) [15]. Ce polymorphisme est le premier gène de susceptibilité identifié dans une population européenne.

Gènes modificateurs

Par une approche différente, Andersson et coll. ont analysé le rôle du polymorphisme I/D de l’ACE sur l’évolution de la maladie [16]. Le génotype DD est ainsi apparu associé à un plus mauvais pronostic dans une population de 193 patients atteints d’insuffisance cardiaque idiopathique (survie à 5 ans : 49 % vs 72 %, p. = 0,0011). Ces résultats n’ont pas été retrouvés ultérieurement dans une population limitée de malades (99 patients) avec un suivi de 28 mois seulement en moyenne.

Deux autres gènes apparaissent associés au pronostic de la maladie : le gène codant le récepteur bêta-2 adrénergique (42 % de survie à 1 an vs 76 %) et l’adénosine monophosphate déaminase 1 (OR pour le risque de décès ou de transplantation cardiaque : 8,6 ; CI 95 % 3,05-23,87) [revue in 10], même si la méthodologie de cette dernière étude apparaît très discutable.

Orientations actuelles de la recherche

La recherche des facteurs génétiques impliqués dans les cardiomyopathies dilatées idiopathiques ne fait que commencer. Les résultats fournissent déjà une nouvelle approche de la physiopathologie de la maladie. Le mécanisme précis devra cependant être analysé par des études expérimentales ( in vitro , animaux transgéniques…).

Toutes ces connaissances pourraient conduire à une meilleure identification des sujets à risque de développer la maladie (gènes de susceptibilité) ou bien à haut
risque d’aggravation de celle-ci (facteurs génétiques pronostiques). La perspective enthousiasmante qui se profile est celle d’une prise en charge plus précoce et plus adaptée des patients dans le but de prévenir la progression de la maladie. Enfin, le développement de la pharmacogénomique, c’est-à-dire l’identification de sousgroupes de patients répondeurs à diverses classes pharmacologiques en fonction de leurs caractéristiques génétiques, représente un champ d’exploration majeur des années à venir.

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DISCUSSION

M. Raymond ARDAILLOU

L’étude de l’insuffisance cardiaque survenant dans les maladies héréditaires rares comme l’ataxie de Friedreich a-t-elle fourni des informations supplémentaires sur la physiopathologie de l’insuffisance cardiaque ? Dans le cas cité, quel est le rôle de la frataxine dont la mutation est associée à cette maladie ?

L’atteinte cardiaque de l’ataxie de Friedreich se caractérise par une hypertrophie ventriculaire. Le rôle physiologique et physiopathologique de la Frataxine demeure imparfaitement connu. De plus, le mécanisme moléculaire de la Frataxine (répétition de triplets) est très différent de celui observé dans les cardiomyopathies hypertrophiques (mutations ponctuelles ou cotons stops).

M. Maurice TUBIANA

Nous avons aussi connu cette phase d’efflorescence des publications signalant des altérations diverses sur les cellules malades et il a fallu du temps et des efforts pour distinguer les altérations causales et celles qui sont les conséquences puisque les cellules qui se trouvent dans de mauvaises conditions présentent une instabilité génique. L’autre problème que nous avons connu est de tirer trop de conclusions et nous avons appris la nécessité d’études thérapeutiques randomisées car, en leur absence, les conclusions sont très fragiles.

Il faut en effet être très prudent sur les interprétations à tirer des facteurs génétiques identifiés dans les études Cas-Témoins (gènes de susceptibilité aux maladies). La confirmation des résultats observés sur différentes cohortes de grande taille est très importante.

L’identification de sujets meilleurs répondeurs à telle ou telle cible thérapeutique ou exposés à des effets secondaires du fait de leur patrimoine génétique doit être fondée sur de grandes populations de malades. La robustesse des observations est en effet dépendante de la taille des échantillons étudiés.

M. André-Laurent PARODI

Ma question est d’ordre sémantique. Vous avez rappelé la définition de l’OMS (1995) des cardiomyopathies comme des maladies du myocarde associées à une déformation cardiaque.

Dans ces conditions, peut-on considérer, par exemple, une hypertrophie cardiaque consécutive à un état d’hypertension chronique comme une authentique cardiomyopathie ?

L’hypertrophie de l’athlète est considérée comme physiologique et l’architecture tissulaire est préservée alors que dans les cardiomyopathies hypertrophiques, il existe des anomalies marquées avec désorganisation de l’alignement des myocytes cardiaques et fibrose. Cliniquement, l’électrocardiographie permet souvent d’orienter vers une hypertrophie physiologique ou pathologique car le degré d’hypertrophie dans le deuxième cas est beaucoup plus marqué. Il existe cependant des cas litigieux où la génétique peut apporter une aide diagnostique. L’hypertrophie de l’hypertendu est considérée comme n’entrant pas dans le cadre des cardiomyopathies hypertrophiques. Cependant, il est probable que des facteurs génétiques favorisent chez l’hypertendu le degré d’hypertrophie.

M. Yves GROSGOGEAT

Dans les hypertrophies cardiaques, a-t-on pu mettre en évidence des mitoses comme des études enzymatiques récentes en ont objectivées dans les cœurs ischémiques ?

Des travaux expérimentaux suggèrent effectivement l’existence de mitoses, mettant ainsi fin au dogme de l’absence de possibilité de réplication des myocytes cardiaques. L’importance de ce phénomène n’est pas connue à ce jour


* Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service de Cardiologie, 47-83, bld de l’hôpital — 75651 Paris cedex 13 . Tirés-à-part : Professeur Michel Komadja, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 29 novembre 2001, accepté le 10 décembre 2001.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 1, 31-43, séance du 15 janvier 2002