Communication scientifique
Séance du 9 janvier 2001

A propos du tissu chondroïde

MOTS-CLÉS : cartilage, croissance et développement. croissance osseuse. mandibule, croissance et développement. microradiographie. ostéotomie.
About chondroid tissue
KEY-WORDS : bone development. cartilage, growth and development. mandible, growth and development. microradiography. osteotomy.

A. Dhem

Résumé

Pratiquement impossible à mettre en évidence dans les coupes à la paraffine, le tissu chondroïde est régulièrement absent des chapitres de traités d’histologie consacrés à la croissance du squelette alors qu’il est un constituant essentiel de celui-ci. La microradiographie de coupes épaisses non décalcifiées et la coloration en surface à l’aide de bleu de méthylène sont les mieux à même de le mettre en évidence. L’analyse histomorphométrique du degré de minéralisation a permis d’établir que la calcification du tissu chondroïde est significativement différente de celle des autres tissus calcifiés. Toutes les techniques morphologiques disponibles indiquent qu’il représente une entité propre, à la fois différente du cartilage calcifié et de toutes les variétés connues de tissus osseux. Se déposant avant toute ébauche osseuse au niveau des régions classiquement considérées comme d’origine membraneuse, le tissu chondroïde est également présent en de nombreux points du squelette fœtal et notamment au niveau de la région symphysaire de la mandibule ainsi que des sutures du crâne. Il est également possible de le reproduire expérimentalement par des ostéotomies d’allongement.

Summary

Nearly impossible to evidence with classical paraffin sections, chondroid tissue is regularly absent in the chapters of texbooks dealing with skeletal growth in which however it represents one of the major constituents. Microradiograph and methylene blue surface staining of thick undecalcified sections are the most suitable methods to reveal the presence of chondroid tissue. Moreover, all the methods used clearly indicate that this tissue is different from both calcified cartilage and woven bone or lamellar bone.The simultaneous presence, within the chondroid tissue matrix, of collagen type I, specific for bone tissue, and type II, specific for cartilage enables also to distinguish chondroid tissue from all the other calcified tissues. The presence of chondroid tissue in both fetal mandibular symphysis and in the sutural spaces of the skull strongly suggests that the same biomechanical stresses have the same consequences, i.e. the growth of the tongue separates the hemimandibles and the development of the brain has the same effect on the sutural areas. Experimental production of chondroid tissue is obtained in the space appeared between the bone fragments submitted to a continuous distraction. Finally, since the first cranial vault is also constituted by chondroid tissue islets, it has to be concluded that bone tissue is always secondary in its origin, i. e., after hyaline cartilage in endochondral ossification and after chondroid tissue in membranous ossification.

INTRODUCTION

Traditionnellement, l’histologie est fondée sur l’examen de coupes de 7 microns d’épaisseur obtenues après enrobage à la paraffine. Dans le cas particulier du tissu osseux, la réalisation de telles coupes n’est possible qu’après décalcification. Ainsi privé de son constituant essentiel, le minéral, le tissu osseux n’a jamais pu livrer le secret des manifestations biologiques qui lui sont propres.

Seules des coupes épaisses, non décalcifiées et obtenues par sciage, ont contribué au progrès des connaissances dans le domaine des tissus calcifiés. Permettant de recueillir des documents qui poussent la résolution des clichés radiographiques jusqu’à l’échelle microscopique [1] et appelés pour cette raison microradiographies, ces coupes ont également été capables de fournir des données dynamiques sur l’allure des phénomènes d’ostéogenèse et de résorption ostéoclastique [2, 3] par l’administration de marqueurs fluorescents de la calcification [4, 5].

Pratiquement impossible à détecter dans les coupes à la paraffine, le tissu chondroïde est, aujourd’hui encore, absent des chapitres de traités consacrés à la croissance du squelette [6] alors qu’il est un constituant essentiel de celui-ci.

En abordant pour la première fois l’étude histologique et microradiographique de la mandibule humaine en croissance, nous avons tout naturellement pensé qu’il y avait autant de raisons valables de s’intéresser à l’une ou l’autre extrémité de chaque hémi-mandibule. Toutefois, s’il fut rapidement évident que le cartilage condylien de la mandibule n’est pas un véritable cartilage de croissance mais une structure qui se compare à un noyau épiphysaire en voie de développement ou à l’extrémité dite non fertile d’un petit os long [7], la région de la symphyse offrait à considérer des aspects qui, pour nous, étaient tout à fait nouveaux et méconnus.

Les tissus calcifiés qui bordent chaque hémi-mandibule pour constituer la région symphysaire sont très particuliers et en tout cas très différents, à la fois de l’os fibreux réticulé, propre au squelette en croissance, ou à du cartilage calcifié comme celui qui s’observe dans les piliers ostéo-cartilagineux formés par ossification endochondrale [8].

Sur le plan bibliographique, il fallut remonter au siècle dernier pour trouver mention de ce tissu qui n’avait jamais attiré notre attention auparavant. En 1876, Brock [9] signale la présence, dans la mandibule fœtale du porc, d’un tissu qu’il propose d’appeler « Knorpelknochen » (littéralement : « os cartilagineux »). Peu après, Schaffer [10] donna le nom de « Chondroider Knochen » (os chondroïde) à ce même tissu. Par la suite, ces observations sont véritablement tombées dans l’oubli.

Le but de cet article est de montrer comment il est très facile, en s’aidant de la microradiographie de coupes épaisses, non décalcifiées et colorées ensuite en surface à l’aide de bleu de méthylène, d’identifier le tissu chondroïde et d’apporter des précisions sur son rôle dans la croissance du squelette.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

L’abondant matériel que nous avons examiné comprend 116 mandibules humaines provenant de fœtus, d’âge gestationnel variant de 4 à 36 semaines, et de nouveau-nés, des fragments de la voûte du crâne prélevés chez 15 sujets dont les âges sont compris entre 20 semaines de gestation et 9 mois après la naissance. Dans tous les cas, nous avons pris soin de ne retenir que des prélèvements dont il a été possible de s’assurer qu’ils étaient dépourvus de toute pathologie osseuse ou de malformations crâniofaciales.

Les animaux d’expérience comprennent 8 chatons, âgés de 10 jours, pour les études en microscopie électronique, et 10 jeunes chiens, chez qui des ostéotomies d’allongement ont été pratiquées.

Tous les prélèvements ont été disséqués de façon à conserver le périoste et les insertions musculaires éventuelles, puis ils ont été radiographiés sous diverses incidences.

Ils sont ensuite immergés dans du méthanol absolu en vue de subir une déshydratation poussée, préalable à l’inclusion au méthacrylate de méthyle (UCB, Bruxelles, Belgique), suivant la technique habituelle du laboratoire [11].

Des tranches d’environ 200 microns d’épaisseur, orientées suivant les trois plans orthogonaux, sont obtenues à l’aide d’une scie spéciale (type 32, Safag, Bienne, Suisse) munie d’une lame diamantée. Ces tranches sont ensuite amenées à une épaisseur uniforme de 80 microns par usure modérée sur un verre dépoli, constamment humecté de méthanol.

Une image microradiographique de chaque coupe est obtenue en la plaçant au contact d’un film à grain fin (Kodak, Spectroscopic Plate 649-0). Les rayons X mous sont produits par un tube Machlett à anode de tungstène et à fenêtre de béryllium d’un millimètre d’épaisseur. Le générateur 1 (Baltograph, BF 50/20, Balteau, Liège, Belgique) est réglé à 13 kV et 18 mA ; l’exposition dure 15 minutes pour une distance foyer-film de 61 mm.

1 Don du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS, Bruxelles, Belgique).

Les microradiographies sont développées, pendant 4 minutes, à la température de 20° C, dans du D19 (Kodak), fixées, rincées à l’eau courante et séchées à l’abri des poussières avant d’être montées, comme des préparations histologiques ordinaires, à l’aide de D. P. X. (BDH, Chemicals Ltd, Poole, Angleterre).

Les coupes sont ensuite colorées en surface à l’aide de bleu de méthylène en solution aqueuse à 1 %, tamponnée à pH 4,8 par du biphtalate de potassium 0,1N, comme décrit précédemment [12].

OBSERVATIONS

Quel que soit l’endroit où il est observé, le tissu chondroïde présente partout le même aspect microradiographique (Fig. 1). Dès le faible grossissement, il apparaît disposé en travées à peu près parallèles entre elles ou en îlots, contenant de nombreuses lacunes cellulaires larges, irrégulières et parfois confluentes, avec une substance fondamentale dont le degré de minéralisation est très élevé par comparaison avec celui des tissus calcifiés voisins [13].

En microscopie ordinaire, l’examen de coupes épaisses, non décalcifiées et colorées en surface à l’aide de bleu de méthylène, fait constater que chaque cellule est entourée de deux lacunes concentriques (Fig. 2) : l’une, petite et arrondie, semblable à une logette chondrocytaire, l’autre, périphérique et parfois marquée par des précipités granulaires, correspond à la limite de la calcification visible sur la microradiographie.

L’analyse histophotométrique du degré de minéralisation, effectuée à partir de microradiographies de coupes prélevées dans la mandibule d’un enfant de 2 mois, a permis d’établir que la calcification du tissu chondroïde est significativement diffé- rente de celle de l’os lamellaire, de l’os fibreux réticulé, du cartilage calcifié, de la dentine et de l’émail [14].

Le recours aux techniques d’immunofluorescence indirecte et d’immunoperoxydase [15] a montré que le tissu chondroïde contient du collagène de type II dans les zones péricellulaires et une grande quantité de collagène de type I, réparti dans toute la matrice. Par conséquent, de ce point de vue également, le tissu chondroïde est différent du tissu osseux, qui ne contient pas de collagène de type II, mais aussi du cartilage hyalin, où le collagène de type I est absent.

Les images obtenues en microscopie électronique sont, elles-aussi, tout à fait spécifiques du tissu chondroïde [16].

La production expérimentale de tissu chondroïde est également possible en recourant à des ostéotomies d’allongement [17]. Cette expérience permet en outre de préciser que ce tissu apparaît dans des conditions biomécaniques radicalement différentes de celles qui sont à l’origine du tissu cartilagineux. Le tissu chondroïde se dépose au niveau de l’espace créé par l’allongement alors que la production de cartilage est induite par des forces de compression.

FIG. 1. — Microradiographie (x 35) d’une coupe transversale dans la suture métopique d’un enfant décédé à l’âge de 4 mois. Les flèches recourbées désignent des travées et des îlots de tissu chondroïde.

FIG. 2. — Coupe transversale (x 450), colorée en surface à l’aide de bleu de méthylène, dans la symphyse mandibulaire d’un nouveau-né à terme. Les flèches blanches désignent les précipités granulaires caractéristiques de la calcification du tissu chondroïde.

DISCUSSION-CONCLUSION

Rien ne permet d’affirmer que le tissu chondroïde est un tissu de transition appelé à se transformer en tissu osseux. Toutes ses caractéristiques morphologiques indiquent, sans exception, que le tissu chondroïde constitue une entité propre, intermé- diaire entre le cartilage et le tissu osseux [15]. Le marquage bicolore en fluorescence après administration, à huit jours d’intervalle, de tétracycline et de sulfonate sodique d’alizarine, précise qu’il apparaît directement et qu’il ne subit aucun remaniement ultérieur [18].

Le devenir du tissu chondroïde est uniquement déterminé par les phénomènes de croissance. Les ébauches squelettiques grandissent en se renouvelant sans cesse. De ce fait, le tissu chondroïde mis en place en premier lieu est appelé à disparaître par résorption ostéoclastique et à être remplacé par de l’os lamellaire.

Au point de vue de la signification de la présence de tissu chondroïde, relevons tout d’abord la ressemblance frappante entre la région symphysaire en croissance [19] et une suture du crâne, comme la suture métopique [20]. Il n’est pas douteux que des aspects identiques correspondent à des situations physiologiques comparables.

Dans la symphyse mandibulaire, la croissance des hémi-mandibules est sans cesse contrariée par celle de la langue. De même, au niveau du crâne, la fusion des ébauches osseuses en regard est empêchée par le développement du cerveau [20].

La présence du tissu chondroïde dans le processus coronoïde de la mandibule en croissance, au niveau de l’insertion du muscle temporal [21], relève du même mécanisme.

Une autre constatation, bien plus importante encore au plan fondamental, est celle que nous avons relevée au niveau de la voûte fœtale humaine en croissance. Etant donné que la première ébauche de celle-ci n’est pas mise en place, contrairement à ce qui est classiquement décrit [22] par ossification membraneuse, mais qu’elle est initialement constituée d’îlots de tissu chondroïde [23], il faut en conclure que le tissu osseux est, par essence même, toujours d’origine secondaire. Dans l’ossification endochondrale, le tissu osseux n’apparaît qu’après la formation d’une ébauche de cartilage hyalin et, dans l’ossification membraneuse, il se développe à partir du tissu chondroïde.

Pareille constatation est loin d’être dépourvue d’intérêt. Le traitement de l’ostéoporose, ce mal si répandu aujourd’hui par la longévité accrue que les progrès de la médecine ont offert à un nombre sans cesse croissant de personnes, prend un éclairage nouveau. Corriger la disparition du tissu osseux implique en effet, nécessairement, ce qui est probablement impossible, le dépôt initial soit de tissu chondroïde, soit de cartilage. Il est donc évident, dans ces conditions, qu’il faut tout mettre en œuvre pour éviter la perte de tissu osseux qui, par nature, est irrémédiable.

Ainsi s’explique aussi cette réflexion de Donath et Courvoisier [24] : « la masse osseuse n’a que très peu tendance à augmenter ; une fois qu’elle est abaissée à des valeurs pathologiques, il est extrêmement difficile de la faire remonter ».

REMERCIEMENTS

Ces recherches ont été subsidiées à l’aide du Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS, Bruxelles, Belgique) et du Fonds de la Recherche Scientifique Médicale (FRSM, Bruxelles, Belgique). Nous tenons à exprimer nos plus vifs remerciements à nos élèves, les Professeurs Madame Michèle Goret-Nicaise sans qui ce travail n’aurait jamais été possible, Monsieur Benoît Lengelé ainsi qu’à Madame Claudette Dubois-Benoît, pour son dévouement et sa remarquable compétence technique.

BIBLIOGRAPHIE [1] AMPRINO R . — Rapporti fra processi di recostruzione e distribuzione dei minerali nelle ossa. I.

Ricerche eseguite col metodo di studio dell’assorbimento dei raggi Roentgen.

Zeitschr. Zellforsch., 1952, 37, 144-183.

[2] DHEM A. — Le forage des canaux de Havers.

Rev. Chir. Orthop. , 1965, 51, 583-593.

[3] DHEM A. — Le remaniement de l’os adulte. Thèse Univ. Louvain, Bruxelles, Ed. Arscia, Paris, Maloine, 1967.

[4] GHOSEZ J. P. — La microscopie de fluorescence dans l’étude du remaniement haversien. Arch.

Biol. , 1959, 70 , 169-178.

[5] COUTELIER L., DHEM A., VINCENT A. La microscopie de fluorescence dans l’étude de l’ossification endochondrale.

Bull. Acad. Roy. Méd. Belg., VIIe série, 1963, 3, 675-689.

[6] BLOOM W., FAWCETT D. W. — A textbook of histology. 11e éd., Philadelphie, Londres, Toronto, WB Saunders Co, 1986.

[7] DHEM A., GORET-NICAISE M. — Rôle du cartilage condylien dans la croissance mandibulaire.

Arch. Anat. Histol. Embryol. norm. et exp. , 1979, 62 , 95-102.

[8] VINCENT J., DHEM A. Etude microradiographique de l’ossification endochondrale. Acta

Anat., 1960, 40 , 121-129.

[9] BROCK J. Ueber die Entwicklung des Unterkiefers der Säugethiere . Z. Wiss. Zool. , 1876, 27 , 287-318.

[10] SCHAFFER J. — Die Verknöcherung des Unterkiefers und die Metaplasiefrage. Ein Beitrag zur Lehre von der Osteogenese. Arch. Mikr. Anat. , 1888, 32 , 266-377.

[11] VINCENT J. — Recherches sur la constitution de l’os adulte. Thèse Univ. Louvain, Bruxelles, Ed.

Arscia, 1955.

[12] DHEM A., PIRET N. — Remarques à propos de la résorption ostéoclastique. Bull. Assoc. Anat. , 1975 , 59 , 157-162.

[13] GORET-NICAISE M., DHEM A. — Presence of chondroid tissue in the symphyseal region of the growing human mandible. Acta Anat. , 1982, 113 , 189-195.

[14] GORET-NICAISE M., DHEM A. — Comparison of calcium contents of different tissues present in the human mandible. Acta Anat. , 1985, 124 , 167-172.

[15] GORET-NICAISE M. — Identification of collagen type I and type II in chondroid tissue.

Calcif.

Tissue Int. , 1984, 36 , 682-689.

[16] GORET-NICAISE M., DHEM A. Electron microscopic study of chondroid tissue in the cat mandible.

Calcif. Tissue Int ., 1987, 40 , 219-223.

[17] LENGELÉ B., SICILIANO S., NYSSEN-BEHETS C., DHEM A., DELLOYE C. Differential mechanical induction of chondroid tissue and cartilage in distraction osteogenesis.

Ital. J. Anat. Embryol., 1999, 104 , Suppl. 1, 396.

[18] GORET-NICAISE M. — La croissance de la mandibule humaine : conception actuelle. Thèse Univ.

Louvain. Nauwelaers, Leuven, 1986.

[19] GORET-NICAISE M . — La symphyse mandibulaire du nouveau-né : étude histologique et microradiographique.

Rev. Stomatol. Chir. Maxillofac ., 1982, 83 , 265-272.

[20] DHEM A., DAMBRAIN R., THAUVOY Ch., STRICKER M. Contribution to the histologic and microradiographic study of the craniosynostosis.

Acta Neurochir. , 1983, 69, 259-272.

[21] GORET-NICAISE M. — Influence des insertions des muscles masticateurs sur la structure mandibulaire du nouveau-né. Bull. Assoc. Anat ., 1981, 65 , 287-296.

[22] POIRIER P. — Traité d’anatomie médico-chirurgicale. Paris, Vve Babé et Cie, 1892.

[23] GORET-NICAISE M., MANZANARES M.C., BULPA P., NOLMANS E., DHEM A. — Calcified tissues involved in the ontogenesis of the human cranial vault. Anat. Embryol., 1988, 178 , 399-406.

[24] [24] DONATH A., COURVOISIER B. — Détermination in vivo du minéral osseux. In : Symposium

CEMO. I. Exploration morphologique et fonctionnelle du squelette (B. Courvoisier et A.

Donath, éds.) p. 1-7, Médecine et Hygiène , Genève, 1976.

DISCUSSION

M. Jean CAUCHOIX

Une communication sur un sujet d’anatomie est trop rare pour ne pas être notée et même saluée particulièrement puisque M. Dhem nous livre, non pas la primeur, mais la synthèse de ses travaux sur le sujet. Le tissu chondroïde a de grandes analogies avec le cartilage qui, bien que différent par ses composants collagènes, a la même finalité (la production d’os trabé- culaire) et l’on peut se demander s’il ne peut être considéré comme une forme métaplasique du cartilage. Vous avez constaté la présence de tissu chondroïde dans les foyers d’ostéotomie d’os long réalisés, selon Ilizarov, dans un but d’allongement squelettique. Doit-on remettre en question la notion classique de la guérison d’une fracture passant par un stade cartilagineux, précédant la calcification pour la formation du cal osseux ?

Le tissu chondroïde est, au plan histologique, intermédiaire entre l’os et le cartilage. De ce fait, la question de sa métaplasie en tissu cartilagineux a été très tôt posée. Mais, jamais rien n’est venu étayer cette hypothèse dans les faits. Les foyers d’ostéotomie réalisés selon la méthode d’Ilizarov nous ont permis de montrer que le tissu chondroïde se met en place à la suite des tractions exercées alors que le cartilage ne se développe qu’à la suite de compressions. Nous ne pensons pas qu’il y ait lieu de remettre en cause la notion classique de la guérison d’une fracture. Le tissu chondroïde qui a été décrit dans le cal en est, comme le cartilage, un constituant transitoire, préparatoire au dépôt de tissu osseux.

M. Jacques-Louis BINET

Quelle est l’origine cellulaire du tissu chondroïde ? Quels sont les rapports entre ces cellules et celles produisant le collagène ? Peut-on cultiver ces cellules ?

Avec nos élèves, MM. Goret-Nicaise et B. Lengelé, nous avons montré, grâce à des greffes isotopiques, isochrones d’encéphale de caille chez le poulet, que le tissu chondroïde, en plus d’une origine mésenchymateuse, dérive également de la crête neurale. Les caracté- ristiques ultra-structurales des chondroïdocytes sont plus proches de celles ostéoblastes que celles des chondrocytes. Les cellules du tissu chondroïde se développent en culture de tissu.

M. Louis AUQUIER

Que sait-on de l’innervation et de la vascularisation de ce tissu chondroïde ?

Nous ne possédons aucun renseignement à propos de l’innervation du tissu chondroïde.

Il est vrai que les coupes épaisses, non décalcifiées, se prêtent mal à l’histologie fine, nécessaire à la mise en évidence des fibres nerveuses. Nous vous remercions d’avoir attiré notre attention sur ce point auquel nous chercherons à apporter une réponse prochainement. Les îlots qui constituent le tissu chondroïde sont séparés les uns des autres par des bourgeons conjonctivo-vasculaires dans lesquels les éléments figurés du sang sont bien visibles.

M. Jean CIVATTE

Y a-t-il un rapport entre le tissu chondroïde et l’aspect plus ou moins chondroïde que peut prendre le tissu conjonctif dans certaines tumeurs dites mixtes ou à stroma remanié de la parotide ou de la peau ?

Le tissu chondroïde que nous avons observé dans le squelette en croissance présente effectivement les mêmes aspects que celui rencontré dans divers processus tumoraux.

M. Roger NORDMANN

Vos travaux sur le tissu chondroïde permettent-ils de fournir une explication à la genèse des crâniosténoses du nouveau-né ?

Nous avons eu l’occasion d’examiner, à l’aide de nos techniques, de nombreuses et diverses formes de crâniosténoses et nous avons ainsi pu constater que les structures mises en place dans ces affections sont toutes différentes de celles rencontrées dans un crâne normal. Nos observations suggèrent l’existence d’un trouble profond, probablement d’ordre génétique, à l’origine de ces anomalies.

M. Maurice MERCADIER

Peut-on cultiver le tissu chondroïde comme d’autres tissus ?

Le tissu chondroïde apparaît dans des cultures de périoste et de périchondre et sa présence a même été considérée comme parasite.

* Unité d’Anatomie humaine, Université Catholique de Louvain (UCL) — 15, Avenue des Alezans — B1150 Bruxelles. Tirés-à-part : Professeur Antoine DHEM, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 19 avril 2000, accepté le 15 mai 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 1, 81-89, séance du 9 janvier 2001