Rapport
Séance du 1 juillet 2008

08-08 Propositions pour une politique française de coopération sanitaire avec les pays en voie de développement

MOTS-CLÉS : coopération internationale. pays en développement.. politique sanitaire
Proposals for French policy on health cooperation with developping countries
KEY-WORDS : developing countries.. health policy. iinternational cooperation

Jean Sénécal (au nom d’un groupe de travail)

Résumé

Il est nécessaire de développer la coopération sanitaire avec les pays d’Afrique et d’Asie auxquels nous lie un long passé et qui constituent un apport important à la francophonie. De plus leur situation sanitaire s’est plutôt dégradée ces dernières années. D’autre part, l’apparition de maladies nouvelles pouvant provoquer des dommages internationaux impose une défense collective qui nécessite une aide aux pays sous-équipés pour assurer l’efficacité du réseau sanitaire international. Les réflexions du groupe ont porté essentiellement sur le thème important de la formation du personnel en rappelant, pour débuter, quelques principes. Tous les projets de coopération doivent être établis en partenariat avec les autorités du pays et s’intégrer dans le plan général de développement du pays. La coopération doit être pragmatique, tenir compte de l’environnement et les projets de formation s’adaptés aux données démographiques, épidémiologiques et socio-économiques. Dans le passé, l’effort sanitaire a porté essentiellement sur les centres hospitaliers et il s’agit maintenant de développer le réseau des soins de santé primaires, ce qui nécessite un rééquilibrage, difficile, des crédits. L’accès aux médicaments nécessite une politique pharmaceutique visant à développer l’usage des médicaments génériques essentiels. Les contraintes financières conduisent à limiter la formation des personnels pleinement qualifiés et à former des auxiliaires acceptant plus facilement des postes en zone rurale. Il faut tenir compte des acteurs de la médecine traditionnelle et en particulier des matrones. La participation de la population favorise la réussite des projets. Cette participation peut même être financière (mutuelles locales). Les programmes des formations des personnels de santé doivent insister sur les données de santé publique et comporter des stages de plusieurs mois dans des centres de santé avancés. Actuellement, la plupart des pays ont une faculté de médecine nationale et la coopération médicale doit porter surtout sur la formation des spécialistes et sur la formation continue. Les stages à l’étranger sont toujours une des méthodes de base de la coopération. Ces stages doivent faire l’objet d’un contrat d’objectifs personnalisé assurant l’avenir professionnel du candidat. A coté des formations médicales et paramédicales, la formation de techniciens sanitaires, de gestionnaires, de laborantins doit être développée. La recherche apporte un appui indispensable à l’enseignement. Dans ces pays la recherche doit être, en priorité, opérationnelle.

Summary

It is necessary to develop health cooperation with African and Asian countries with which we have historical ties and that are an important part of the French-speaking world. Their health situation has tended to deteriorate in recent years. In addition, the emergence of new pandemic diseases calls for collective defenses, and this means providing assistance for underequipped countries in order to ensure the effectiveness of the international healthcare system. The think tank focused mainly on the importance of healthcare staff training, and underlined certain basic principles. All such cooperation must be established in partnership with the national authorities and be integrated into the country’s overall development plan. Cooperation must be pragmatic and training projects must take into account local demographic, epidemiological and socio-economic conditions. In the past, most resources were channeled to the hospital sector. What is needed now is to develop the primary health care system, and this requires a difficult redistribution of funds. Access to drugs necessitates a pharmaceutical policy based on the use of generic essential drugs. Financial constraints mean that training should be reoriented away from fully qualified personnel and towards assistants who are more willing to accept posts in rural areas. Traditional healers, and especially matrons, must not be overlooked. Participation of the population is crucial, and may even take the form of a financial contribution, through local mutual healthcare funds for example. Training programs for healthcare personnel should stress public health and include courses of several months in advanced healthcare centers. Currently, most countries have national faculties of medicine, and medical cooperation should focus on specialist training and continuous education. Training courses abroad are still a cornerstone of cooperation and must be part of candidates’ individual career plans. In addition to medical and paramedical staff, training efforts should not overlook hygienists, administrators, and laboratory technicians. Research (mainly applied research) is an important substrate for teaching activities. L’Académie nationale de médecine a créé un groupe de réflexion sur la politique française de coopération sanitaire avec les pays en voie de développement pour reprendre la terminologie adoptée par les organisations internationales. Celles-ci distinguent maintenant, en fonction du PNB et de la dette, les « less developped countries » (LDC) et les « least less developped countries » (LLDC), les plus déshéritées. En France, nous distinguons les zones de solidarité prioritaires (ZSP) et les hors zones. Le groupe a fait siennes les conclusions du rapport présenté par le professeur Gentilini au Conseil économique et social et en particulier celle insistant sur la nécessité de développer la coopération avec les pays d’Afrique et d’Asie auxquels nous lie un long passé et qui constituent un apport important à la francophonie. D’ailleurs leur situation sanitaire s’est plutôt dégradée ces dernières années. De plus au cours des dernières décennies, de nouvelles maladies sont apparues. De 1978 à 2000, trente-neuf agents infectieux capables de provoquer une maladie humaine ont été identifiés. Les plus célèbres sont les virus de la grippe aviaire et du SRAS. Ces maladies nouvelles pouvant provoquer des dommages internationaux nécessitent une défense collective. C’est le rôle du réseau sanitaire international d’assurer cette défense qui, pour être efficace, se doit d’aider les pays en développement aux ressources insuffisantes (Journée mondiale de la Santé 2007). Les réflexions du groupe ont porté essentiellement sur le thème important de la formation du personnel. Auparavant il a paru nécessaire de rappeler quelques principes.

Partenariat — La politique de coopération doit répondre à une demande des dirigeants des pays auxquels elle s’adresse. En corollaire, ceci nécessite une définition claire de la politique sanitaire du pays, une volonté et une implication politiques des dirigeants pour l’application des mesures envisagées et leur maintenance. Sinon, toute politique de coopération sanitaire risque, à terme, d’être inefficace et, tôt ou tard, d’être reprochée à la France par les pays concernés. Il ne nous appartient pas de décider à la place des dirigeants des pays avec lesquels nous coopérons mais de faire avec eux. Toutefois, les responsables des pays peuvent être influencés par les exemples étrangers et en réclamer l’équivalence pour le prestige du pays. Il peut-être difficile pour un ministre de rejeter une offre qui lui est faite pour un objectif non inclus dans le plan de développement.

La réforme de la coopération française (2004) fixe une liste de sept stratégies sectorielles proposées par l’Ambassadeur de France aux autorités du pays pour concertation et élaboration d’un document cadre de partenariat (DCP) dont certains concernent la santé.

La politique sanitaire. — La politique sanitaire doit être intégrée dans le plan général de développement du pays et tenir compte, notamment, des program- mes concernant l’éducation et l’agriculture. Trop souvent les projets sanitaires échouent pour ne pas avoir été confortés par un projet éducatif et un projet de développement agricole. Une première étape de la coopération peut être d’apporter une aide à la décision. Étant donné l’évolution et la complexité des problèmes, certains pays ont créé des centres de recherche sur la politique de développement.

Il faut différencier l’aide au développement des échanges culturels, scientifiques et techniques.

L’aide au développement sanitaire doit viser la fourniture de services de soins à l’ensemble de la population. C’est une priorité qui cependant n’exclue pas la création de quelques pôles d’excellence à la condition d’une bonne répartition des ressources. Une politique de coopération doit être pragmatique si elle ne veut pas conduire à des échecs frustrants pour tous. Elle doit tenir le plus grand compte de l’environnement (climat) et des infrastructures des pays concernés :

eau, électricité, routes, transports, communications. Une politique de coopération dans le domaine de la santé doit non seulement se préoccuper des investissements initiaux en matière de bâtiments, d’équipements ou de dotations en médicaments essentiels, mais aussi de leur maintenance. De même dans les activités de formation, il faut prévoir l’accompagnement.

Les critères de décisions . Une politique de santé se base essentiellement sur un certain nombre de données démographiques, sanitaires, socioéconomiques (cf. annexe 1). Ces données diffèrent considérablement selon la richesse du pays et il convient de se garder d’appliquer aux pays en voie de développement des plans valables pour les pays riches. La situation dans les pays en voie de développement est caractérisée par une fécondité et une mortalité élevées, en particulier chez les femmes enceintes et chez les enfants qui constituent 40 % de la population. Ceci explique la priorité donnée aux problèmes mère-enfant (objectifs pour le développement du millénaire — ODM). Les maladies dominantes sont les maladies transmissibles, bactériennes (tuberculose, typhoïde…), parasitaires (paludisme, bilharziose, onchocercose…), virales (sida) et les maladies nutritionnelles (marasme, kwashiorkor).

L’amélioration de l’environnement (eau potable, collecte et destruction des ordures, latrines), l’éducation sanitaire et nutritionnelle et les vaccinations sont les méthodes recommandées pour les combattre. A ce tableau pathologique de base il convient d’ajouter des maladies telles les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète, les accidents, sans oublier les maladies émergentes qui peuvent survenir partout ailleurs.

L’épidémie de SIDA est un fait relativement nouveau et dramatique qui est venu concurrencer les projets concernant les femmes enceintes et les enfants.

L’effort technique et financier de notre coopération s’est porté vers le SIDA et l’accès aux médicaments. Il faut également tenir compte des programmes régionaux inter étatiques pour lutter contre certaines endémies (onchocercose).

La structure du service de santé : la politique de santé d’un pays est de fournir des soins à l’ensemble de sa population. C’est pour répondre à ce besoin que l’Assemblée mondiale de la santé réunie à Alma Ata en 1978, a préconisé le développement des soins de santé primaires. Ces soins de santé primaires sont « les soins essentiels de santé, fondés sur des méthodes et des techniques pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables, rendues universellement accessibles à toutes les familles de la communauté avec leur pleine participation et d’un coût que les communautés des pays peuvent assurer à tous les stades de leur développement dans un esprit d’auto responsabilité et d’auto détermination ».

La nécessité de la participation de la population et de la restructuration des services de santé devait être confirmée en 1987 par ce qu’on a appelé l’initiative de Bamako.

Il s’agit donc d’installer une infrastructure couvrant toute la population et d’y appliquer un certain nombre de mesures répondant aux problèmes et aux possibilités du pays avec la participation de la population.

Cette infrastructure de base est le préalable nécessaire à l’application de certains programmes : programme élargi de vaccinations (PEV), programme de réhydratation par voie orale dans les diarrhées de l’enfant, programme des médicaments essentiels.

Cependant, dans le large éventail des actions qu’il est possible de mener, la création ou le développement de pôles lourds (centres hospitaliers, chirurgie spécialisée, instituts de recherche) ont le plus de retentissement politique et médiatique. Ils sont susceptibles de tirer vers le haut l’activité des soins dans le pays concerné et correspondent souvent mieux à l’expertise des hospitalouniversitaires qui s’occupent de coopération.

Les systèmes de santé de la plupart des pays en développement donnent une place prépondérante aux hôpitaux. L’analyse des dépenses de santé publique montre que la plus grande partie (75 %) des sommes disponibles va aux hôpitaux.

Le fonctionnement de l’hôpital, qui représente la moitié du prix de construction, par an, doit être assuré par le gouvernement local. L’expérience montre qu’il ne peut y faire face.

L’hôpital a d’autres effets secondaires. Il attire les médecins, les détournant des postes de l’intérieur (zones rurales) et les amène à réclamer des crédits qui, chichement accordés, ne les satisfont pas. L’hôpital, installé dans une grande ville, ne dessert qu’une faible partie de la population qui vit encore en grande partie en zone rurale, loin des structures sanitaires. Jusqu’à ces dernières années, la coopération française en matière de santé, est restée trop médicohospitalière. Mais la restructuration des services de santé est un problème difficile qui nécessite un rééquilibrage des crédits entre les centres hospitaliers et le réseau des soins de santé primaires.

L’accès aux médicaments

Les médicaments jouent un rôle primordial dans les soins de santé. Ils offrent une réponse simple à condition d’être disponibles, accessibles et correctement utilisés.

Aujourd’hui, un quart de la population mondiale n’a toujours pas accès aux médicaments essentiels et on estime que dix millions de personnes décèdent chaque année d’infections courantes pour lesquelles on dispose de médicaments.

Ceci justifie la nécessité d’une politique pharmaceutique nationale et internationale et explique la stratégie de l’OMS d’intégrer la notion de médicaments essentiels dans le système national de soins.

Les médicaments peuvent varier selon les besoins des pays et l’OMS en publie régulièrement la liste. Le principe est d’acheter les médicaments au niveau international, c’est-à-dire au coût le plus bas. Ces médicaments seront ensuite répartis par le gouvernement dans les centres de santé. Là, ils seront vendus deux fois le prix d’achat, ce qui permet de renouveler le stock, d’assurer les frais de transport et de maintenance, et même parfois de laisser un petit bénéfice pour le centre. La distribution, en théorie, dépend d’un infirmier qui doit respecter un ordinogramme sans avoir à porter de diagnostic. Il vaudrait mieux réserver la distribution aux médecins plus à même d’adapter la prescription correspondant à un diagnostic.

L’approvisionnement doit être centralisé pour stopper ou au moins limiter l’usage des contrefaçons, des reventes illicites, des détournements.

Pour ce faire, il est recommandé de promouvoir des médicaments essentiels génériques, choisis en commission et de proposer des contrôles d’innocuité et de qualité nécessaires.

La distribution suppose des réseaux fiables en termes de rapidité de transport, de condition de stockage et de dispensation individuelle.

L’objectif de recherche est de créer sur place des médicaments adaptés aux besoins locaux avec des formes pharmaceutiques spécifiques : effets retards pour les régions difficiles d’accès, facilités d’administration (voie orale), d’identification aisée pour les différencier des substances inactives. Il convient de rechercher une interférence avec les médecines traditionnelles.

 

Les contraintes financières

Mis à part les pays ayant des ressources propres, le budget des pays en développement est limité et les crédits de santé insuffisants pour couvrir tous les besoins. Une bonne gestion pourrait éviter le gaspillage et obtenir une meilleure utilisation des ressources, mais cela n’empêchera pas la nécessité de faire des choix d’autant plus difficiles que les ressources des pays sont faibles.

Depuis quelques années, en application de la doctrine de Bamako, la population est appelée à participer à l’application du plan et même à contribuer financièrement à sa réalisation. Plusieurs enquêtes ont en effet montré que les dépenses privées pour la santé étaient supérieures à celles de l’Etat. Ainsi, les femmes achètent souvent, au marché, des médicaments inefficaces, périmés, voir dangereux. De cette constatation est née la politique du médicament essentiel. Les centres de santé disposent d’un certain nombre de médicaments que les malades peuvent acheter à bas prix. Ce système peut s’étendre et comporter, par exemple, un forfait maternité couvrant la grossesse, l’accouchement et la première année de vie. Dans certains pays, la population a créé et fait fonctionner des mutuelles assurant un certain nombre de soins grâce à une contribution financière.

La politique des micro-crédits vise également à développer la participation de la population.

Formation du personnel

L’aide à la formation des personnels de santé est une des méthodes efficaces de la coopération sanitaire avec les pays en développement. Cette formation doit répondre aux préalables décrits dans la première partie du rapport, c’est-à-dire répondre aux besoins de la population et tenir compte des possibilités financières. Trop souvent, le personnel formé ne peut être utilisé en raison de l’insuffisance du budget de fonctionnement et, plus que de faiblesses des ressources humaines, il faut parler de limites budgétaires.

La collaboration à la formation du personnel de santé dans les pays en voie de développement a beaucoup évolué au cours du siècle dernier. Dès 1920 était créée à Dakar une école formant en quatre ans des médecins africains qui pendant des années ont travaillé efficacement à côté des médecins militaires français. Des écoles du même type étaient créées à Alger, Tunis, Rabah, Tananarive, Hanoi, Pondichéry et Phnom Penh. Depuis, peu à peu, la formation d’enseignants du pays s’est développée aboutissant à la création de facultés de médecine nationales.

Actuellement, la plupart des enseignants de ces facultés de médecine sont du pays et certains d’entre eux ont été nommés professeurs, d’abord par le Comité Consultatif des Universités françaises, puis ensuite par le CAMES (Centre Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur).

 

Malheureusement, nombreux sont ceux qui, ainsi formés, sont entrés dans les organisations internationales (OMS, UNICEF, …) ou se sont expatriés.

On peut espérer que le corps enseignant étant d’origine locale, les programmes de formation s’adapteront mieux aux conditions du pays, ce qui jusqu’à présent n’a pas été le cas : les programmes étaient strictement ceux des pays occidentaux dans la crainte qu’un programme adapté soit considéré comme un enseignement au rabais.

Parallèlement, on assiste à une diminution, voire une disparition de l’assistance technique française. Les affectations de longue durée sont devenues l’apanage des organisations humanitaire. La suppression en 1997 du service national a entraîné la disparition des VSNA (volontaires du service national actif) cependant très utiles. Actuellement, ces affectations sont remplacées par des séjours de courte durée lors de catastrophe ou de guerre. C’est dans cette optique que le Pharo a créé un brevet de médecins des missions extérieures.

C’est donc dans ce contexte évolutif qu’il convient d’envisager la coopération française pour la formation. En premier, il appartient aux dirigeants du pays de fixer le nombre de médecins, de sages-femmes, d’infirmiers que le pays peut accueillir dans l’immédiat et dans l’avenir.

Devant la difficulté d’affecter ces personnels diplômés dans les centres ruraux, les pays ont souvent recours à du personnel auxiliaire. Par personnel auxiliaire on entend un personnel ayant une formation de base et une formation technique plus courtes que le personnel pleinement qualifié. C’était le cas des médecins africains ou des « felchers » en Union soviétique Actuellement plusieurs pays forment des agents techniques de santé (ATS), sorte de supers infirmiers appelés à remplacer le médecin dans certains actes. Le plan doit aussi tenir comte de la médecine traditionnelle : des guérisseurs, des matrones, des « médecines locales.

Certains ont préconisé de coopter le guérisseur dans l’équipe de santé. On peut alors orienter ses activités en particulier vers d’éducation sanitaire.

Cependant, cela n’est pas toujours facile à réaliser surtout quand le guérisseur use de pratiques culturelles, de magie, qui s’opposent alors aux actions officielles et peuvent retarder des thérapeutiques plus actives.

Les matrones (accoucheuses traditionnelles) jouent un rôle important dans une action de proximité. Il en existe toujours une ou deux par village et elles jouissent d’une grande autorité. Souvent d’ailleurs, elles sont les femmes du chef du village. Elles peuvent être formées, c’est d’ailleurs ce que recommandent l’OMS et l’UNICEF. Cette formation doit être essentiellement pratique, portée sur l’hygiène et être donnée à la maternité la plus proche du domicile de la matrone (maternité du centre de santé du district). A la fin du stage, une trousse (type hygea, fournie par l’UNICEF) est remise à la matrone. Elle contient le minimum nécessaire à l’accouchement y compris du matériel stérile qui sera renouvelé lorsque la matrone viendra déclarer la naissance à la maternité. Dans certains cas, il est possible de demander à la matrone de dépister certaines anomalies. Elle peut également être utilisée dans d’autres activités préventives en particulier dans la surveillance de la santé des enfants.

La médecine traditionnelle (qu’on peut encore appeler médecine complémentaire ou parallèle), se rapporte « aux pratiques, méthodes, savoir, croyances en matière de santé, qui impliquent l’usage à des fins médicales de plantes, de parties d’animaux et de minéraux, de thérapies spirituelles, de techniques et d’exercices manuels, séparément ou en association pour soigner, diagnostiquer, prévoir les maladies ou préserver la santé ».

En Afrique, jusqu’à 80 % de la population a recours à cette médecine.

Bien que l’industrie pharmaceutique ait étudié les « médecines » utilisées par les guérisseurs et en ait tiré quelques médicaments actifs, il est encore possible que certaines plantes aient quelques vertus curatives. Devant le coût élevé des médicaments et leur rareté, il peut être utile d’utiliser cette phytothérapie locale.

Les facultés de médecine ont comme objectifs principaux :

d’une part, former des médecins pour les services hospitaliers. Certains deviendront spécialistes, enseignants et chefs de service, d’autre part, former des médecins essentiellement pour les postes ruraux. Ces derniers seront responsables d’un centre de santé de district (sous-préfecture) desservant vint à cinquante mille habitants vivant dans des conditions difficiles.

C’est une tâche bien différente de celle d’un médecin de ville européen.

C’est un métier difficile, ce qui explique le peu d’enthousiasme des jeunes pour ces postes de « brousse ». Une meilleure rémunération, l’obligation de servir quelques années en zone rurale à la fin des études sont des solutions. Des organisations telles « Santé Sud » ont pour objectif de faciliter l’installation des jeunes médecins dans les postes de brousse.

On peut aussi espérer qu’une modification des programmes d’enseignement leur montrant l’importance de leur rôle dans la population, leur fonction de chef d’une équipe, la participation à des recherches, le plus souvent opérationnelles, pourraient améliorer leur motivation.

Le programme de base doit donc faire une large part aux taches de santé publique et aux soins de santé primaires : statistiques et épidémiologie, grandes endémies, problèmes nutritionnels, planification sanitaire, organisation des services de santé, éducation sanitaire, L’enseignement théorique doit être complété par des stages dans des centres de santé ruraux, aménagés pour accueillir les étudiants comme cela a été fait au Sénégal (Khombole et Diara), en Guinée (Maferinyah), en Côte d’Ivoire (Attekoy), au Mali (Bamako).

 

Les spécialistes

L’organisation des spécialités médicales dans les pays en développement a généralement été envisagée sur le modèle de ce qui existe dans les nations occidentales. Cette attitude a conduit à de nombreux échecs en raison d’une prise en compte insuffisante des réalités démographiques, économiques, culturelles et politiques.

Les spécialistes sont en nombre insuffisant et principalement concentrés dans la capitale. Même dans ces grandes villes les spécialistes sont frustrés en raison des mauvaises conditions de travail, ce qui favorise l’exode dans les pays équipés.

Une deuxième constatation est l’insuffisance et la médiocrité habituelle des infrastructures de spécialité en particulier des appareillages dont la maintenance se révèle coûteuse et difficile. Les patients éprouvent de grandes difficultés à avoir accès aux soins spécialisés. Certes, l’éloignement de leur domicile et la faiblesse des infrastructures sont en cause mais également, il faut tenir compte de la faiblesse des ressources financières des patients qui rend souvent inabordables les explorations complémentaires et la thérapeutique.

Pour rompre l’isolement du malade, il a été recommandé de créer des centres secondaires de spécialité ce qui est le plus souvent irréalisable. On peut aussi former le médecin, voire l’infirmier ou l’aide technique de santé à certaines activités de diagnostique et de soins même chirurgicaux. La création de cliniques privées a été encouragée par le ministère de la coopération française dans le but de diminuer les évacuations sanitaires d’urgence vers la France avec le risque de créer une médecine à deux vitesses.

La première démarche est donc de déterminer quelles sont les spécialités nécessaires : en dehors des services hospitaliers d’aide au diagnostique (biologie, imagerie médicale) sont retenues généralement, la chirurgie générale et l’obstétrique, la pédiatrie, la médecine générale, la santé publique. Le programme doit naturellement s’adapter aux conditions des zones rurales du pays.

Les autres personnels

A côté des médecins, des infirmiers et des sages-femmes, d’autres catégories de personnel interviennent dans le maintien de la santé. Leur formation est apparue plus tard et est encore peu développée.

Les agents techniques d’assainissement

La formation d’agents techniques d’assainissement se justifie par l’importance des problèmes d’assainissement. Leur rôle est d’assurer et de contrôler la fourniture d’eau potable, la construction et l’entretien des latrines, la collecte et la destruction des ordures, de lutter contre les insectes vecteurs : donc, d’améliorer l’environnement en espérant rompre la chaîne de transmission des maladies infectieuses, parasitaires et virales.

Les gestionnaires

Pour administrer certes les hôpitaux mais aussi les centres de santé et toute la structure de santé. Une formation de ce type a été initiée dans trois pays par l’Ecole Nationale de la Santé Publique de Rennes.

Les techniciens de laboratoire (comme ceci a été exposé à l’Académie par

Nelly Marchal).

Méthodes de coopération

Plusieurs méthodes de coopération peuvent être envisagées.

En premier les missions d’experts qui longtemps ont constitué la méthode de base de la coopération.

Le petit nombre d’enseignants locaux justifiait l’envoi d’enseignants pour collaborer à la mise au point des programmes et participer à leur application.

Ces missions effectuées par des enseignants en activité, avaient l’inconvénient de grouper l’enseignement de la discipline sur quinze à vingt jours, bouleversant les programmes des autres enseignements et imposant aux étudiants (et aux enseignants) 45 heures et même plus par semaine.

Le système anglais consistant à envoyer en mission de plusieurs mois des professeurs en retraite remédiait à ces inconvénients et permettait à l’enseignant d’obtenir une meilleure connaissance du pays et d’assurer une certaine continuité d’action.

Actuellement, l’objectif de telle mission n’est plus d’intervenir dans l’enseignement de base mais de contribuer à la formation des formateurs aux méthodes pédagogiques modernes, de collaborer à la formation des spécialistes et à la formation continue.

Le développement de l’informatique ouvre de nouvelles perspectives (télé médecine).

Les stages demeurent une méthode de base de la coopération.

Il peut s’agir de stages dans les pays voisins. C’est le cas en Afrique où le développement de services médicaux dans certaines capitales est suffisant pour assurer, en partie, la formation d’un spécialiste.

Mais les plus importants sont les stages à l’étranger et en particulier en France.

Pour les pays en voie de développement, le stage en France doit être réservé à des médecins sélectionnés pour qui sera établi un contrat personnel d’objectifs assurant la carrière du stagiaire.

 

Une autre forme de coopération est de collaborer à la formation continue en participant à des journées ou des séminaires nationaux ou internationaux dont le programme associe des données locales à des interventions étrangères portant sur les progrès en médecine et le développement des techniques, malheureusement difficilement applicables, aux pays en développement.

Des échanges d’étudiants sont intéressants en créant des liens entre les deux pays concernés. Des échanges de professeurs sont également possibles à un niveau supérieur mais sont encore peu développés. Ce sont surtout les pays en voie de développement qui réclament la venue de conférenciers étrangers.

Le jumelage entre villes peut favoriser la coopération.

La coopération peut encore prendre d’autres formes : rédaction de polycopiés, dotation à la bibliothèque, formation aux moyens audio-visuels…

La recherche

Les activités de recherche sont nécessaires pour valoriser un bon enseignement.

L’établissement d’un programme entre un laboratoire occidental et un laboratoire de pays en développement (programme Nord-Sud Campus) est un moyen, non seulement de stimuler les activités du chercheur local, mais aussi de lui fournir des moyens supplémentaires pour faire fonctionner son laboratoire.

En effet, trop souvent les chercheurs ayant reçu une très bonne formation à l’étranger, de retour au pays, se trouvent avec des crédits insuffisants pour assurer un minimum de fonctionnement de leur laboratoire.

D’autre part, pour les pays dits du nord, c’est la possibilité de mieux appréhender les données des pays en développement.

Dans certains pays existent déjà des centres de recherches de très haut niveau (Instituts Pasteur, Institut du paludisme à Bamako….) qu’il faut maintenir et développer. Parallèlement, doit se développer une recherche opérationnelle visant à une meilleure connaissance de la situation sanitaire et à l’évaluation des mesures proposées. Ce type de recherche trouve bien sa place dans les centres avancés où ces recherches peuvent être effectuées par des étudiants préparant leur thèse sous la direction d’un professeur du CHU. Cette approche nécessite, comme nous l’avons déjà vu, une bonne formation en santé publique et en épidémiologie au cours des études de base Les écoles doctorales régionales, créées dans certains pays, permettent d’initier, sur place, les jeunes à la recherche.

 

ANNEXE — 1

DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES ET SOCIO ÉCONOMIQUES

Pays industrialisés Pays sous-équipés Guinée RCA Population totale 5 millions < à 15 ans 20- 25 % 35-40 % 40 % > 60ans 18-20 % 4 à 6 % 4.75 % Taux brut de natalité 10-15 ‰ 40-50 ‰ 55 ‰ 44 ‰ Indice synthétique de 1.3-1.9 6 à 8 6.1 5.9 fécondité (ISF) Nombre d’enfants/femme Accroissement 0 ou moins 2.5 à 3.5 % 2.4 % 2.3 % Espérance de vie 75-80 ans 35-45 ans 43 ans Population rurale 15-20 % 70 à 80 % 76 % 73 % Habitants au km2 Guinée forestière :

52 Haute Guinée : 9 PNB /Habitant 10000 à 20000 300 à 500 USD 350 USD 330 USD USD Scolarisation 98 % 30 à 50 % 41 % garçons 59 % garçons 30 % filles 39 % filles INDICATEURS SANITAIRES ET ÉPIDÉMIOLOGIQUES

Pays industrialisés Pays sous-équipés Guinée RCA ISF 1.3-1.9 6 à 8 6.6 5.4 Taux brut mortalité 10-15 ‰ 40 à 50 ‰ 50 ‰ 44 ‰ Mortalité maternelle 0.02 ‰ 6 à 8 ‰ 6 ‰ 6 ‰ Mortalité infantile 6-12 ‰ 100-200 ‰ 150 ‰ 131 ‰ 0-1 an

Dont mortalité Néonatale 77,6 ‰ 0-6 Jours

Dont mortalité post-néonatale 77.4 ‰ 7-28 jours

Mortalité 1 à 5 ans 3 à 5 ‰ 150-225 ‰ 170 ‰ 95-170 = 30 pays dont 21 africains 94-31 = 29 pays dont 14 africains < à 30 = 38 pays dont 0 en Afrique Pathologies :

• malnutrition (marasme — Kwashiorkor) • Maladies transmissibles Combattues par :

• Assainissement du milieu (eau, matières usées,…) • Éducation sanitaire et nutritionnelle • Vaccinations.

 

CONCLUSIONS et RECOMMANDATIONS

L’Académie nationale de médecine s’associe à la demande du Comité Economique et Social d’augmenter les crédits en faveur de la coopération sanitaire avec les pays en voie de développement, pour des objectifs précis.

Au terme de ses réflexions, l’Académie présente dix recommandations :

— la création d’une institution nationale (commission interministérielle ?), reliée au Premier Ministre pour assurer la cohérence des actions entreprises qu’elles soient internationales, nationales ou territoriales, publiques ou privées ;

— que parmi les documents cadres de partenariat (DCP) établis en collaboration avec les autorités du pays, ceux concernant la santé soient prioritaires ;

— une restructuration des systèmes de santé avec un rééquilibrage des crédits entre les centres hospitaliers, indispensables et les réseaux des soins de santé primaires couvrant toute la population, eux aussi nécessaires ;

— la poursuite d’une politique internationale du médicament dans lequel l’accès aux médicaments repose sur la sélection des seuls médicaments validés (AMN), le choix de génériques disponibles et la recherche d’associations synergiques ;

— que les projets de formation du personnel de santé soient bien conformes à la politique sanitaire retenue pour le pays, tenant compte non seulement des besoins mais aussi des possibilités en particulier financières et que l’intégration du programme dans le plan général de développement en assure la maintenance ;

— que les cursus de base des personnels de santé (médecins, infirmières, sage-femmes) fassent une large place aux techniques de santé publique dont l’enseignement pratique nécessite des stages dans des centres ruraux aménagés pour recevoir des étudiants ;

— qu’à côté des personnels pleinement qualifiés, soient formés des personnels auxiliaires qui accepteront plus facilement une affectation en zone rurale ;

— la formation, à côté des formations envisagées précédemment, de personnels intervenant dans la santé : techniciens sanitaires, gestionnaires, techniciens de laboratoires ;

— que les stages à l’étranger, une des méthodes de base de la coopération, fassent l’objet d’un contrat d’objectifs personnalisé assurant l’avenir professionnel du candidat ;

— L’Académie recommande le développement des programmes de recherches en priorité opérationnelles ;

 

Le groupe de travail suggère que soit créé à l’Académie un comité des pays en voie de développement.

Ce comité, dans un premier temps pourrait donner son avis sur des projets, qu’ensuite l’Académie pourrait parrainer.

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[7] GENTILINI M. — La coopération sanitaire française dans les pays en développement.

Conseil économique et social, 2006, 1 vol., 84 p.

[8] GODFRAIN J. — La coopération sanitaire française. Ministère de la coopération, 1996.

[9] GEORGY G. — Le petit soldat de l’empire. Ed. Fervane, 1992, 1 vol., 435 p.

[10] OMS — Les soins de santé primaires. OMS, Genève, 1978.

[11] OMS — L’utilisation des médicaments essentiels. Rapport technique, 1985.

[12] SENECAL J. — Définir la politique de coopération sanitaire de la France avec les pays sous-équipés. Quotidien Med ., 2002.

[13] UNICEF — L’initiative de Bamako : reconstruire les systèmes de santé. Unicef France, 1996, 20 p.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 1er juillet 2008, a adopté le texte de ce rapport avec une voix contre et une abstention.

 

<p>* Constitué de : MM. A † RMENGAUD, AUQUIER , BRUHAT, DUBOIS G., DULAS, Hugier, LASFARGUES, LAULNOIS, LE GALL J-Y, NAKAJIMA, NICOLAS J.P., PENE, PILET, REY, RICHARD-LENOBLE, SENECAL (Président), TILLEMENT. Invités : AMBROISE-THOMAS, GENTILINI, GOUAZE ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 6, 1287-1301, séance du 1er juillet 2008