Rapport
Séance du 6 mars 2007

07-10 Prélèvements d’organes sur donneur à cœur arrêté

MOTS-CLÉS : collecte de tissus et d’organes.. prélèvement biologique. transplantation
Organ procurement from non-heart-beating donors
KEY-WORDS : specimen handling. tissue and organ harvesting.. transplantation

Christian Cabrol (au nom d’un groupe de travail et de la Commission XV — Éthique et droit)

Résumé

En dépit des efforts déployés pour favoriser le don d’organes, la pénurie persistante est préjudiciable aux malades en attente de transplantation. Depuis 1968 et jusqu’à présent, le prélèvement a été limité aux donneurs à cœur battant en état de mort cérébrale. Dans le sillage des expériences étrangères, la loi française a ouvert depuis août 2005 une voie nouvelle, celle des « décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » autorisant le prélèvement « des reins et du foie ». Dans cet esprit, l’Agence de la biomédecine a soumis à notre groupe de travail un protocole de prélèvement dont l’expertise est ici proposée. Les donneurs potentiels sont des victimes d’accidents, de suicides, d’anoxies ou d’hémorragies cérébrales en arrêt cardiaque irréversible, rebelle à toutes les tentatives de réanimation. Ils répondent à trois des quatre groupes de la classification de Maastricht (la catégorie III, celle de l’arrêt programmé des soins, est exclue du protocole). Le prélèvement obéit aux mêmes règles juridiques : consultation du registre des refus, entretien avec les familles confirmant la non-opposition du défunt. Dans le cas contraire, la loi indique qu’ « il est mis fin aux mesures prises pour assurer la conservation des organes » (Ces mesures doivent avoir été mises en route en urgence pour parer à la souffrance des organes soumis à une ischémie chaude). Dans une première étape, l’Agence de la biomédecine a prévu de se limiter à la * Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : Membres de l’Académie : MM. C. CABROL (Président), Y. LOGEAIS, Y. CHAPUIS, B. LAUNOIS, J.D. SRAER, I. GANDJBAKHCH, D. LOISANCE, R. KÜSS (Président d’Honneur †). Invités : Mmes S. ESTANOVE, I. CAUBARRÈRE, C. ANTOINE, MM. B. LOTY, A. TENAILLON, J.M. DUBERNARD, H. BISMUTH. transplantation rénale. Neuf centres français ont souscrit au protocole et ont été agréés. Il s’agit donc d’une expérience pilote conçue avec prudence comme un gage de sécurité dans la perspective d’une extension ultérieure. Les publications des équipes étrangères font état de résultats comparables à ceux des transplantations effectuées à partir des donneurs classiques. En conclusion, le groupe de travail considère que cette initiative mérite d’être encouragée car elle est susceptible de diminuer la regrettable pénurie d’organes qui pénalise les nombreux patients qui demeurent en attente de transplantation.

Summary

The growing gap between organ requirements and their availability from brain-stemdead donors has led to a re-examination of the use of non-heart-beating donors (NHBD). Many non French centers are now using such donors to expand their organ pool. In France, the relevant law was modified in 2005 in order to authorize kidney and liver donation by NHBD donors. Accordingly, the Biomedicine Agency has established a program of formal viability assessment. The protocol recommends that this practice be restricted to kidney transplantation first, before being extended to liver transplantation in a second phase. NHBD donors are defined using the Maastricht classification. Currently, the French program includes groups I, II and IV but excludes group III. Donors are patients in intractable cardiac arrest, despite intensive resuscitation, after accidents, suicide, anoxia or stroke. Organ retrieval obeys the usual legal rules : in particular, a national donation refusal registry is consulted and the relatives’ formal consent is required. The results of NHBD transplantation in Europe, the USA and Japan are comparable to those obtained with brain-stem-dead donor organs. The French transplantation working group recommends that this experience be extended in order to reduce the organ shortage and the number of patients on the waiting list.

L’objectif

En dépit des mesures prises par les organismes chargés de l’organisation des greffes de tissus et d’organes (successivement France Transplant, l’Etablissement Français des greffes, récemment l’Agence de la Biomédecine), afin de favoriser le don et l’augmentation d’organes disponibles, l’écart entre le nombre de bénéficiaires retenus par une sélection préalable et les patients effectivement greffés reste dans notre pays préoccupant et parfois dramatique. En 2005 sur 11 907 personnes en attente de greffes, seules 4 240 ont pu être greffés et 295 sont décédés pendant leur attente. Cette pénurie ne peut que s’aggraver car nombre de patients en dialyse rénale n’ont pas été inscrits sur la liste d’attente.

Afin d’augmenter le nombre d’organes disponibles l’Agence de la Biomédecine se fondant en particulier sur l’expérience encourageante de plusieurs pays étrangers, (Belgique, Hollande, Royaume Uni, Japon, Espagne) a estimé que des personnes décédées de mort encéphalique après arrêt cardiaque persistant, pouvaient être donneurs d’organes, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Rappelons qu’il n’y a en effet qu’une seule mort, la mort encéphalique qu’elle soit primitive ou secondaire à l’arrêt cardiaque.

L’agence de la Biomédecine a ainsi mis en place un tel protocole de prélèvement qui a été soumis pour information à notre groupe de travail sur les transplantations d’organes.

L’application de ce protocole posant un certain nombre de questions, notre groupe a procédé à l’audition de nombreuses personnalités compétentes et à l’étude de toutes les références disponibles pour présenter à notre Académie le résultat de son enquête et répondre à ces questions.

La loi permet-elle de tels prélèvements ?

La loi ne permettait jusqu’en 2005 les prélèvements que sur les personnes en mort encéphalique à hémodynamique conservée, c’est à dire à cœur battant.

Un décret 2005-949 du 2 août 2005 autorise désormais les prélèvements d’organes et de tissus « sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » (voir annexe I). Les termes de ce décret ont été soumis au Conseil d’Etat qui les a validés.

Quels seront les organes susceptibles d’être prélevés ?

Les expériences étrangères ont porté sur les reins, le foie et les poumons. Mais en France l’arrêté du 2 août 2005 (Art. 1er) précise que « les organes qui peuvent être prélevés sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant sont le rein et le foie » (Voir annexe II).

L’Agence de la Biomédecine a décidé dans le cadre d’une étude de faisabilité et compte tenu des données internationales qui concernent essentiellement les prélèvements rénaux, de n’envisager dans un premier temps que les prélèvements de reins.

Quels seront les donneurs éventuels ?

Il s’agit de victimes d’accidents, d’anoxies, suicides, hémorragies cérébrales, en arrêt cardiaque irréversible.

Ces donneurs ont été classés en quatre catégories lors d’un congrès à Maastricht en 1995 et concernent les personnes présentant :

— Catégorie I, un arrêt cardiaque constaté en dehors de tout secours médical ou para médical et s’avérant immédiatement ou secondairement irréversible.

— Catégorie II, un arrêt cardiaque survenu en présence des secours, dont la réanimation après massage cardiaque et respiration artificielle s’avère vouée à l’échec.

— Catégorie III, un arrêt cardiaque irréversible survenu après arrêt programmé des soins (en France selon la procédure établie par la loi du 21 avril 2005).

— Catégorie IV, un arrêt cardiaque irréversible survenant au cours d’un état de mort encéphalique primitive, pendant sa prise en charge en réanimation.

Dans son protocole l’agence de la Biomédecine n’a retenu que les catégories I, II et IV.

La catégorie III (arrêt cardiaque après arrêt des soins), qui représente dans certains pays étrangers la source de prélèvement la plus importante et la plus facile à organiser, n’est pas envisagée pour le moment en France afin d’éviter toute confusion entre une décision d’arrêt de soins et l’intention d’un prélèvement d’organe.

Quelles seront les modalités de prélèvement ?

Ces modalités de prélèvement sont définies dans le moindre détail qu’il s’agisse du recueil du consentement, des délais à respecter en matière de tentative de réanimation cardiaque, des modalités de préservation des organes et des limites imposées à leur utilisation (voir annexe III).

A ce sujet plusieurs autres questions se posent :

• Est-on sûr que les temps retenus dans le protocole concernant l’ancienneté de l’arrêt cardiaque, la durée du massage ou ses équivalents et les tests de non reprise de fonction cardiaque sont suffisants ?

Oui , il s’agit de références internationales et les délais ont été portés au maximum.

• Est-il licite d’entreprendre des manœuvres effractives (montée d’une sonde de Gillot ou circulation extracorporelle) destinées seulement à la préservation des organes, avant que les proches du défunt aient pu confirmer la non opposition de ce dernier de son vivant au don d’organes ?

En réalité cette éventualité ne diffère pas dans son principe de ce qui est réalisé dans le cadre de la mort encéphalique à cœur battant, procédure admise et pratiquée en France depuis 1968. Dans ce dernier cas en effet après la constatation du décès, en l’absence d’inscription du défunt sur le registre national des refus, la réanimation est poursuivie et adaptée uniquement à la préservation des organes en vue de greffes éventuelles et ceci dans l’attente de l’entretien avec les proches pour recueillir la non-opposition du défunt de son vivant.

Par ailleurs cette question semble parfaitement traitée par l’Art. R. 1232-4-3 du décret du 2 août 2005 qui précise : «

Il est mis fin aux mesures médicales prises avant le prélèvement pour assurer la conservation des organes d’une personne, dont la mort a été dûment constatée, s’il apparaît, au vu du témoignage
des proches de cette personne recueilli en application de l’article L. 1232-1, qu’elle avait manifesté de son vivant une opposition au don d’organes. » (voir annexe I).

• La place d’un tel donneur potentiel dans les services de réanimation, imposera t’elle au médecin un rôle qu’il juge ne plus être le sien après le décès du patient ?

Non, car il est toujours possible de transférer ce donneur potentiel dans un secteur spécialisé en fonction de l’organisation hospitalière locale.

• Est-on assuré de la qualité des greffons prélevés dans ces conditions particulières ?

Oui, car le protocole élaboré par l’Agence de la Biomédecine permet de s’en assurer et de pratiquer des tests d’évaluation de la fonction des reins prélevés.

• Ces prélèvements particuliers sont ils susceptibles d’inquiéter le receveur ?

Non . Les receveurs répondant aux critères de sélection et inscrits sur la liste nationale d’attente sont dûment avertis et consentants.

• Ces méthodes de préservation entraîneront des coûts importants en matériel, nombre, compétences, formation et disponibilité du personnel. Comment les coûts seront ils assurés dans un contexte de limitation budgétaire ?

Ces coûts sont envisagés par le Ministère de la Santé dans le cadre d’un forfait spécifique. Et de plus l’Agence de la Biomédecine dans un premier temps limitera l’expérience à certains centres.

Mais alors dans quels centres doivent être réalisés ces prélèvements sur donneur à cœur arrêté ?

Sur recommandation du Comité d’éthique de l’Etablissement français des Greffes, l’Agence de la biomédecine a décidé dans une phase d’étude de faisabilité, de ne commencer, dans un premier temps, ce type de prélèvement que dans un nombre restreint de sites pilotes, disposant des moyens appropriés, déjà expérimentés dans la prise en charge de donneurs d’organes et de leurs proches et ayant signé avec l’Agence une convention.

Ces sites pilotes sont actuellement au nombre de neuf dont les CHU de :

Angers, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Strasbourg et à Paris, les hôpitaux Saint Louis, Kremlin Bicêtre et Pitié Salpetrière.

De plus ces centres sont retenus pour une expérience initiale d’un an débutant fin 2006 et au terme de laquelle une évaluation précise décidera soit de l’arrêt de l’expérience, soit de sa prolongation pour une évaluation complémentaire, soit enfin de l’élargissement à d’autres centres.

Ces neuf centres devront se plier à un protocole rigoureux, (annexe III) et régulièrement contrôlé. Seul le CHU de Lyon a actuellement réuni l’ensemble des conditions nécessaires et a débuté cette activité dans le deuxième semestre 2006 et signé la convention avec l’Agence de la biomédecine.

• A ce propos le choix d’un nombre limité de centres, ne risque t’il pas d’introduire une inégalité d’accès au greffon entre différentes parties du territoire national ?

Non, car cette limitation est conçue comme un gage de sécurité et permettra d’étendre le prélèvement à tous les centres qui le souhaitent et qui répondent aux critères du protocole.

CONCLUSION

Le protocole de prélèvement sur donneur à cœur arrêté proposé par l’Agence de la Biomédecine permet de donner des chances supplémentaires, dans un premier temps à tous ceux qui ont besoin d’une greffe rénale.

Ce protocole respecte toutes les dispositions légales et règlementaires et il satisfait à tous les critères éthiques et déontologiques.

Sur les publications internationales récentes, les résultats de la greffe rénale à partir de donneurs à cœur arrêté sont désormais comparables à ceux observés pour les greffes réalisées à partir de donneurs en mort encéphalique et à cœur battant.

Il apparaît donc à notre Groupe de travail que le prélèvement de reins sur donneurs à cœur arrêté doit être encouragé pour le bien des si nombreux receveurs en attente.

Ce rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academie-medecine.fr *

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 mars 2007, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.

COMMUNIQUÉ

Au nom du groupe de travail sur les transplantations d’organes **

Prélèvements d’organes sur donneur à cœur arrêté

Christian CABROL *

En dépit des efforts déployés pour favoriser le don d’organes, la pénurie persistante est préjudiciable aux malades en attente de transplantation. Depuis 1968 et jusqu’à présent, le prélèvement a été limité aux donneurs à cœur battant en état de mort cérébrale. Dans le sillage des expériences étrangères, la loi française a ouvert depuis août 2005 une voie nouvelle, celle des « décédés présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant » autorisant le prélèvement « des reins et du foie ».

Dans cet esprit, l’Agence de la Biomédecine a soumis à notre groupe de travail un protocole de prélèvement. Les donneurs potentiels sont des victimes d’accidents, de suicides, d’anoxies ou d’hémorragies cérébrales en arrêt cardiaque irréversible, rebelle à toutes les tentatives de réanimation. Ils répondent à trois des quatre groupes de la classification de Maastricht (la catégorie III, celle de l’arrêt programmé des soins, est exclue du protocole).

Le prélèvement obéit aux mêmes règles juridiques : consultation du registre des refus, entretien avec les familles confirmant la non-opposition du défunt.

Dans le cas contraire, la loi indique qu’« il est mis fin aux mesures prises pour assurer la conservation des organes » (ces mesures doivent avoir été mises en route en urgence pour parer à la souffrance des organes soumis à une ischémie chaude).

Dans une première étape, l’Agence de la biomédecine a prévu de se limiter à la transplantation rénale. Neuf centres français ont souscrit au protocole et ont été agréés. Il s’agit donc d’une expérience pilote conçue avec prudence comme *

Membre de l’Académie nationale de médecine ** Constitué de : Membres de l’Académie : MM. C. CABROL (Président), Y. LOGEAIS, Y. CHAPUIS, B. LAUNOIS, J.D. SRAER, I. GANDJBAKHCH, D. LOISANCE, R. Küss (Président d’Honneur).

Invités : Mmes S. ESTANOVE, I. CAUBARRÈRE, C. ANTOINE, MM. B. LOTY, A. TENAILLON, J.M.

DUBERNARD, H. Bismuth.

un gage de sécurité dans la perspective d’une extension ultérieure. Les publications des équipes étrangères font état de résultats comparables à ceux des transplantations effectuées à partir des donneurs classiques.

Le groupe de travail considère que cette initiative mérite d’être encouragée car elle est susceptible de diminuer la regrettable pénurie d’organes qui pénalise les nombreux patients qui demeurent en attente de transplantation. Elle permet de donner des chances supplémentaires, dans un premier temps, à tous ceux qui ont besoin d’une greffe rénale.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 6 mars 2007, a adopté le texte de ce communiqué à l’unanimité.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 3, 633-638, séance du 6 mars 2007